La narration collective d'Alpes d’Azur, Grand Prix 2020
Comment fédérer les habitants et révéler le bien commun d’un territoire récent, peu légitime et riche d’un patrimoine naturel protégé ? C’est le défi qu’a relevé la communauté de communes Alpes d’Azur, lauréate du 32e Grand Prix de la communication publique et territoriale avec le conte « Félix et le trésor des Gorges rouges ». Alors que la distinction vient saluer une approche authentique de la narration de territoire, revenons sur les éléments remarquables de cette campagne de communication singulière.
Si les gorges de Daluis étaient contées...
En 1910, Félix quitte sa fiancée, Germaine, pour partir dans les gorges rouges de Daluis. Seulement, il ne revient jamais. Et Germaine refait sa vie… C’est une histoire qui aurait pu rester anodine. Mais en 2019, une jeune femme – Camille – découvre un panier avec toute une correspondance amoureuse entre Félix et Germaine. Intriguée par la dernière lettre de Félix dans laquelle il sous-entend avoir trouvé quelque chose qu’il va laisser pour Germaine, Camille décide, plus de 100 ans après, de partir à son tour dans les gorges à la recherche de Félix, de son trésor, et un peu aussi d’elle-même. Que va-t-elle découvrir ?
Telle est l’intrigue du conte de territoire « Félix et le trésor des Gorges rouges », initié par la communauté de communes Alpes d’Azur, gestionnaire de la réserve naturelle régionale des Gorges de Daluis. L’objectif du récit est de susciter l'adhésion des habitants au projet de réserve naturelle, et de valoriser les richesses locales. Il est lancé après deux années de concertation et de co-construction, pendant lesquelles les habitants participent à son élaboration en apportant leurs témoignages.
Un storytelling authentique : clé de la mobilisation locale
« Nous avons inventé les personnages de Félix et Camille grâce à ce que les habitants nous ont raconté du territoire, les photos et les textes qu’ils nous ont apportés », assure Stéphanie Larbouret, conservatrice de la réserve naturelle régionale des Gorges de Daluis. Pour ce faire, deux services civiques sont mis à disposition par la réserve naturelle. Jouant le rôle d’antennes, ils sont équipés d’enregistreurs et de scans, et vont à la rencontre des habitants pour recueillir leur vécu. En co-construisant son récit sur la base de ces témoignages réels et bien vivants, la communauté de communes Alpes d’Azur enracine son storytelling dans les terres rouges des pré-Alpes et réalise le tour de force de le rendre transparent, et partagé.
C’est – entre autres – cette mobilisation locale qui a séduit les membres du jury. « Ils ont su co-construire l’histoire avec les habitants, ils ont su mobiliser, ils ont su lier les paroles. Ils ont créé beaucoup d’humanité et beaucoup d’attentes au travers de ce récit. Cela a pris », commente Céline Pascual-Espuny, présidente du Grand Prix 2020. Pour Xavier Cazard, directeur de la Maison de la conversation et membre du grand jury, « la portée de la campagne sort de l’ordinaire. La mobilisation de l’ensemble du territoire est significative et porteuse de sens. Il y a du souffle, le talent s’exprime ».
Fédérer autour de l’imaginaire
Au-delà de l’élaboration collective, le parti pris est de construire un récit poétique, qui lie grâce à l’émotion. Céline Bernard, directrice d’Anecdoc – agence qui accompagne la collectivité dans la conception et la réalisation du dispositif –, explique le choix du ton : « Nous voulions fédérer une communauté autour de la réserve naturelle. Nous avons souhaité le faire, non pas autour des enjeux écologiques ou du patrimoine naturel, qui représentent le cœur de métier d’une réserve, mais autour de l’imaginaire. On voulait une histoire à laquelle on a envie de croire. On voulait même une histoire à laquelle on aurait envie de croire alors même qu’on sait qu’elle est fausse ! »
La communication, c’est aussi une approche émotionnelle de la manière de transmettre un message, de l’apporter à l’esprit des gens, de leur donner envie de s’engager…
Xavier Cazard
Alors que l’authenticité du récit pose les bases de la transparence et de la mobilisation, la tonalité poétique est largement saluée pour sa force d’union et de représentations. « C’est un objet communicant qui a un gros potentiel : il a réussi à travailler sur des communautés qui sont toutes jeunes, mais qui arrivent à trouver une identité collective, une histoire, une légende. Et puis c’est aussi ce côté poétique et un peu mystérieux qui a fait que cette campagne de communication s’est trouvée naturellement projetée comme Grand Prix », explique Céline Pascual-Espuny. À Xavier Cazard d’ajouter : « Cela donne à penser que la communication c’est aussi une approche émotionnelle de la manière de transmettre un message, de l’apporter à l’esprit des gens, de leur donner envie de s’engager… Là, il y a quelque chose de très fort qui s’est joué. »
Lâcher-prise institutionnel
« Nous ne voulions pas que ce soit un outil institutionnel classique. Mais un outil poétique, un outil décalé », confie Stéphanie Larbouret. En ce sens, le projet a bénéficié de la confiance et de l’engagement des acteurs institutionnels, qui ont su accepter la prise de risque et soutenir la créativité. « On n’aurait rien pu faire sans la prise de risque de la réserve et de la collectivité. Car – même s’il est mesuré et encadré – il y a un risque. On ne peut pas maîtriser la réaction des gens, on ne peut pas savoir à l’avance si ça va prendre ou pas. » Ce faisant, non seulement les porteurs de projet se sont donné les moyens – ensemble – que le pari prenne, mais les acteurs institutionnels ont joué le jeu en accordant toute leur confiance. « On a eu la chance de pouvoir être très à l’écoute du terrain et de ne pas avoir une approche trop rigide, trop contrainte du territoire. Même si le projet était construit, avec des tuteurs qui guidaient le travail, il fallait néanmoins se laisser modeler une fois sur le terrain. C’est rare de pouvoir aller aussi loin dans les propositions et la créativité. Le souffle a été permis parce que la collectivité a joué le jeu », reconnaît Céline Bernard.
Un dispositif de communication numérique bien orchestré
Un an avant la sortie du conte sous la forme d’une plateforme numérique, la page Facebook de Camille est lancée. Elle y raconte son aventure sur le territoire et tout ce qu’elle y découvre. Communément utilisé pour valoriser les archives historiques et muséales (voir la page Facebook du lieutenant François Thomas, celle de Léon Vivien ou encore de Louis Castel), le procédé de personnage fictif permet ici de créer une réelle communauté autour du projet, et devient un espace d’interaction où les habitants s’expriment et réagissent. « La page Facebook de Camille a environ 1 500 amis, et elle compte beaucoup de partages et de réactions. Elle a permis d’amorcer des échanges qui n’auraient pas eu lieu. Des interviews ont par exemple été menées suite à des commentaires postés sur la page », indique Stéphanie Larbouret.
Le web-récit donne envie de comprendre, et sa co-construction de s’investir.
Benjamin Teitgen
Au final, c’est au travers d’un web-récit que le fil narratif prend corps. Le site interactif felixetletresordesgorgesrouges.com propose une immersion dans le territoire tout en suivant les traces de Félix. Le choix d’une telle plateforme numérique s’est fait en lien avec les pratiques locales : « On a un territoire dynamique sur les outils numériques. Les écoles, les acteurs touristiques sont bien équipés. Et puis on travaille avec un centre social qui organise des ateliers numériques, ce qui facilite l’usage et l’appropriation du digital », précise Stéphanie Larbouret. L’outil permet également, grâce à son potentiel de « centre de ressources partagées », la valorisation des différents supports et contenus récoltés dans le cadre de la co-construction du récit : carte interactive, vidéos, photos, interviews, informations pratiques, etc. « Le web-récit donne envie de comprendre, et sa co-construction de s’investir. L’ensemble du dispositif est exécuté de manière très qualitative. Extrêmement bien fait, le parcours est très prenant. C’est un dispositif très bien exécuté, tant sur le fond que sur la forme », précise Benjamin Teitgen, responsable de l’information de Rennes Métropole et membre du grand jury.
Ce territoire a trouvé une façon de se mettre en valeur intelligemment, en montrant la gastronomie, le patrimoine, ce qui existe, la vie des gens, tout simplement.
Céline Pascual-Espuny
En enracinant son storytelling dans le vécu des habitants, et en mobilisant un dispositif de communication à la fois fin et complexe, la communauté de communes Alpes d’Azur parvient à créer une trame narrative authentique et poétique, suscitant par là même une forte adhésion. Pour Céline Pascual-Espuny, « ce territoire a trouvé sa trame, son récit, ses héros, ses narrateurs et surtout, il a trouvé une façon de se mettre en valeur intelligemment, en montrant la gastronomie, le patrimoine, ce qui existe, la vie des gens, tout simplement ».