La transition écologique et énergétique des territoires : la grande oubliée des démarches globales de communication publique ?
« La couverture médiatique de la recherche sur le changement climatique est plus susceptible de provoquer “le déni et l'évitement” chez les lecteurs que les “comportements pro-environnementaux” nécessaires pour résoudre le problème », lit-on dans une étude de l'université de Lausanne (UNIL) spécialisée en géosciences et psychologie. « Le traitement des sujets environnementaux de manière transversale et axée sur les solutions serait utile pour susciter des réactions du grand public », explique Marie-Élodie Perga (UNIL). Face à ce constat, n'est-ce pas le rôle des collectivités territoriales de sensibiliser les habitants et de parler solutions concrètes ? Encore faudrait-il qu’elles aient mis en place des stratégies de communication à la hauteur de cet enjeu.
Par Xavier de Fouchécour, directeur de l’agence Bastille et membre du Comité de pilotage de Cap'Com.
De nombreuses collectivités se sont engagées avec force et conviction dans la transition écologique et énergétique de leur territoire. Elles l'ont mise au cœur de leur stratégie car elles ont bien compris que c’est à leur niveau, au niveau de leur écosystème, au plus proche des habitants, qu’allaient être vécues et subies les conséquences les plus tangibles du dérèglement climatique. Et que c’était bien elles qui, en proximité, avaient un rôle essentiel à jouer pour accompagner cette adaptation. Pourtant, le levier de la communication ne semble pas avoir été encore activé à la mesure de ce défi. Le fait qu’il n’y ait à notre connaissance aucun marché de conseil en communication globale dédié à la transition écologique et énergétique des territoires en témoigne.
Aujourd’hui, en effet, les campagnes de sensibilisation et d’information sur les thèmes liés à la transition écologique sont souvent traitées de manière dispersée et verticale – généralement en fonction de l’organisation des services de la collectivité qui en passe la commande : la prévention des déchets, leur tri, la limitation des véhicules polluants, l'incitation aux mobilités douces, l’isolation thermique des logements, la préservation ou le partage des ressources (eau, énergie…), les risques de sécheresse ou d’inondation, etc. Le service concerné passe commande au service com qui va produire une campagne sur telle ou telle thématique…
Cette fragmentation rend difficile l’émergence d’un message plus global et politique sur la transition, sa nécessité et son objectif.
Ces campagnes, et leurs contenus, sont par ailleurs toujours perdus au milieu des actions courantes de communication diffusées par la collectivité, notamment sur les réseaux sociaux.
Avec pour conséquences :
- une perte en visibilité, en impact et donc en efficacité des campagnes ;
- une absence de lisibilité, voire une perception ambiguë de la stratégie de la collectivité pour engager la transformation, notamment dans la dimension politique du projet de territoire ;
- une approche en ordre dispersé de la même personne, l’habitant, qui doit intégrer l’ensemble de ces incitations et leur donner un sens pour lui-même ;
- et donc, d’une manière plus générale, une difficulté à faire comprendre la transition dans son ensemble.
Bref, cette communication autour des problématiques de la transition n’est souvent pas à la hauteur des enjeux et de l’urgence climatique, et peine donc à servir les ambitions portées par les élus et la collectivité.
Qu’est-ce que toutes ces campagnes ont en commun et qui les différencie des autres sujets de communication des collectivités ?
- Leur objectif écologique et énergétique : se proposer de devenir un territoire à énergie positive et neutre en carbone et pour cela minimiser l’impact direct ou indirect de l’activité humaine sur l'écosystème.
- Leur objectif de communication et pédagogique : inciter et convaincre les habitants, individuellement et collectivement, de changer/adapter leurs habitudes et leurs comportements, donc les engager dans une démarche de transformation à court et moyen terme.
- Leur objectif politique : montrer que la collectivité est engagée dans la transition.
Sur cette base, il est possible d’envisager une stratégie et un plan d’actions de communication spécifiques à la transition.
Quelques-unes des conditions à réunir à notre avis :
- se doter d’un service transversal chargé de la transition du territoire. De plus en plus de collectivités en disposent déjà ;
- penser « dispositif » en mettant autour de la table en amont le service de la transition, la com et l’élu pour le portage politique (et si vous êtes bien avancé, le devéco ;-) ) ;
- mettre dans son comité de pilotage tous les services concernés mais également des acteurs publics ou privés du territoire (associations, chambres consulaires, etc.) ;
- inscrire cette communication de transition dans le cadre d’une démarche chapeau globale et unifiée, mise en œuvre et promue comme un projet participatif ;
- la doter de sa propre stratégie et plan d’action. Pouvoir ainsi poser le récit et le sens global (le pourquoi ?) et les solutions (le comment ?) ;
- la rendre indépendante du reste de la communication de la collectivité (même si le service communication peut évidemment en avoir la co-responsabilité stratégique, créative et opérationnelle) : lui donner un nom, ses propres outils de communication (site, réseaux sociaux, etc.), son identité propre (qui ne soit pas celle de l’institution pour rendre la démarche plus inclusive) ;
- parangonner ce qui se fait ailleurs, notamment à l’Ademe.
Finalement, dans la logique organisationnelle et opérationnelle, nous ne sommes pas très loin de ce qui se pratique dans les démarches de marketing territorial qui font l’objet d’une communication à part. Ajoutons au passage qu’un territoire en transition est un territoire qui se donne les moyens d’être plus attractif. Comme l’écrit Marc Thébault dans cet article de l'infolettre Point commun de Cap’Com sur la marque employeur public, « la réalité prouve régulièrement qu’un territoire n’est attractif que si ses habitants y sont heureux, ont envie de le dire et sont prêts à accueillir de nouveaux venus ».
Alors je sais que les services de communication rechignent assez légitimement à laisser libre cours aux initiatives dissidentes pour la simple raison que, si chaque service y allait de sa communication, ce serait rapidement le bazar et les habitants ne s’y retrouveraient plus. La communication sur la transition et les changements de comportements a cependant un statut particulier qui justifie cette autonomie : elle est portée par une stratégie d’engagement et peut ainsi presque être assimilée à une approche SaaS de la communication.
Alors que la transition écologique et énergétique est devenue aujourd’hui l’enjeu majeur de toutes les collectivités territoriales, il est temps d’« upcycler » la communication vers des dispositifs plus globaux, décloisonnés et transversaux. C’est la condition forte pour en faire un levier stratégique de l’engagement du plus grand nombre et pour, comme l’écrit Baptiste Morizot dans son nouveau livre, L’Inexploré, « trouver un lieu vivant à aimer personnellement et à défendre collectivement ».
Et vous, communicants territoriaux ou acteurs de la transition, qu’en pensez-vous ? Êtes-vous d’accord avec cette vision ? Êtes-vous engagés dans une telle démarche ? Si oui, quelle expérience pouvez-vous nous faire partager ? Poursuivons le débat.
Illustration principale : La transition écologique par PromptBastille et Midjourney