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Le LOL est-il vraiment une stratégie discursive ?

Publié le : 28 février 2017 à 14:55
Dernière mise à jour : 26 mars 2018 à 15:22
Par Marc Thébault

Dircom public, quand ta communication ressemblera à s’y méprendre à celle d’un hypermarché fêtant son anniversaire ou à celle d’une marque de sodas, t’inquiéter tu commenceras ! Je vais tenter de le prouver …

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Par Marc Thébault

On nous rappelle régulièrement que la durée de vie d’un post sur un réseau social est très courte ; l’éphémère serait en effet l’étalon. Pourtant, parfois, d’anciennes publications refont surface de-ci, de-là (cahin-caha, pour les plus de 40 ans …). Et parfois avec des intervalles très larges. C’est le cas de cette interview d’Edgar Morin, au titre prometteur : « Le temps est venu de changer de civilisation ». Elle est à retrouver sous ce lien, sur le site de Acteurs de l’économie et elle date du 11 février 2016. Il en est de même pour Stephen Hawking et ses prévisions alarmistes sur la fin programmée de notre humanité.

" Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent "

C’est donc en revoyant de temps à autre, depuis plus d’un an, ces articles être toujours partagés sur les réseaux sociaux que je me suis senti interpellé. En effet, en ces périodes troubles - ce clair-obscur d’où surgissent les monstres prévenait Gramsci - nombre de pseudo-prophètes/experts tiennent un discours à l’apparence similaire. Fort heureusement, ces articles-ci sont moins relayés que ceux que je viens de citer. Ou uniquement dans des cercles alarmistes ou complotistes. Cela est réconfortant. Et cela m’a amené à me dire que la personnalité même des deux locuteurs que je viens d’évoquer y est certainement pour beaucoup. Audiard faisait sans doute référence au même phénomène en écrivant « Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent ». Si j’ose un parallèle, osé justement, quand Hawking ou Morin causent, on écoute ces gens, perçus a priori comme savants, crédibles et qui ont fait leur preuve (pour dire vite les choses). On peut ne pas être d’accord, mais on place leurs propos néanmoins bien à part du tout-venant, et hors de toute interrogation sur leur bien-fondé.

À contenu pourtant strictement égal, c'est le silence d'un maître bouddhiste qui sera écouté, pas celui de l'idiot du village

Il se trouve qu’il y a fort longtemps, lorsque je commençais une vie professionnelle dans la formation et la communication sociale, je cherchais à compléter mes bases théoriques en me plongeant dans ce qui faisait référence à l’époque, l’Encyclopedia Universalis et ses articles consacrés à la communication. Je me souviens parfaitement que, pour faire comprendre les enjeux de la communication et ses nombreux paramètres, le rédacteur d’un des articles en question prenait l’exemple du silence comparé entre celui d’un idiot de village et celui d’un maître du bouddhisme zen. Le strict contenu des deux discours est similaire : rien. Pourtant, si le silence de l’idiot sera ignoré ou moqué, celui du maître aura, lui, un impact. Parce que le silence émane de celui dont il est acquis, du moins pour ses disciples, que tous ses faits, gestes, paroles, attitudes – ou absence de faits, gestes, paroles, attitudes ! – sont signifiants et font partie de l’apprentissage. Exactement comme les injonctions, à l’apparence parfois absurde, d’un maître Soufi sont reçues comme des initiations incontournables, des étapes d’un rite obligatoire. Relisez-donc les aventures de Molla Nasreddin.

Parfois la tentation est grande d'oublier d'où l'on parle et de noyer la parole publique dans un bain de trivialité

De ces deux éléments est apparue une réflexion en lien direct avec nos métiers. Et si, hypothèse, l’une de nos missions de base était de donner à la parole publique que nous mettons en scène cette reconnaissance, ce statut, cette différence avec le flot ordinaire ? En somme, qu’elle soit perçue comme audible, crédible, remarquable (au sens de : se faire remarquer vis-à-vis des autres paroles) et respectable. L’enjeu n’est pas de faire adhérer automatiquement, cela relève de l’utopie. En revanche, il s’agit de faire en sorte que l’expression publique soit repérée et différenciée et que le locuteur public bénéficie d’a priori tels, que les auditeurs lui accordent légitimité et crédibilité. Et là je me répète, il ne s’agit pas de convaincre ; il s’agit de se faire écouter et entendre, d’obtenir un droit à l’expression.

Cette réflexion étant, à l’évidence, valable y compris sur les réseaux sociaux où, pourtant, au nom de l’utilisation des derniers usages et des tonalités à la mode, la tentation est grande d’oublier qui parle ou d’où l’on parle et de noyer la parole publique dans un bain de trivialité. Au moins me direz-vous, cela donnera de quoi faire s’extasier des observateurs béats devant cette institution publique qui « Ohlala, utilise tous les codes 2.0 pour une communication décalée ! ». De là à créer un compte Twitter pour une loi impopulaire (« Bonjour, je suis la loi Dugenou … ») il n’y a qu’un pas. Souvenez-vous, c’est sous ce lien.

Pourtant, et c’est sans doute une bonne nouvelle (et merci de ta veille Benjamin T.), l’heure de la fin a sonné pour les contenus moyens, tièdes ou médiocres, la preuve sous ce lien. Bon, en même temps, s’apercevoir que des communications médiocres ont moins d’impact que des bonnes, vous me direz qu’au bar du Café du Commerce ils le savaient déjà et vous n’aurez pas tort ! Mais, une fois de plus, on en revient au statut du locuteur : même pleines de bons sens et non dénuées d’une analyse qui pourrait s’avérer fine, les affirmations assénées par un pilier de bistrot n’auront jamais le poids nécessaire pour faire référence ! Il faut dire que lorsque juste après surgit un « Bernard, tu nous remets la p’tite sœur ! », ça refroidit l’enthousiasme.

Mais revenons à des références, des vraies ! Pour Patrick Chareaudeau (professeur émérite à Paris XIII et chercheur au LCP - laboratoire de communication politique - du CNRS) - auteur de l’excellent article « Le discours doit être analysé en rapport avec les dispositifs de mise en scène » * - 3 stratégies sont nécessaires pour fonder une stratégie discursive : la stratégie de légitimation (obtenir le « droit à la parole »), la stratégie de captation (de l’attention de l’autre) et la stratégie de crédibilité (construction d’une position de vérité : être jugé comme « apte à dire le vrai »).

L'enjeu : faire reconnaître son droit à la parole, son existence comme locuteur compétent et légitime

Certes l’exercice est bien plus délicat qu’il en a l’air. En effet, l’équilibre à trouver entre utilisation des codes en vogue et respect de la personnalité du locuteur ne va pas de soi. Confidence, ici, immédiatement, je pense à Obama, et quelques-unes de ses prestations hors-normes notamment (celle-ci par exemple), qui bien que purement humoristiques, ne faisaient jamais disparaître le Président derrière la parodie. D’accord, tout le monde n’a pas cette faculté, naturelle ou travaillée. C’est peut-être là que les communicant-e-s ont un rôle à jouer … Pour citer de nouveau Chareaudeau ** : « Parler de la communication humaine, c’est parler du problème de l’identité du sujet parlant qui, en tant qu’être communiquant, doit tenir compte des contraintes de l’espace social dont il dépend en même temps qu’il essaye de réaliser son projet de communication […] C’est que la reconnaissance du droit à la parole exige plus qu’une simple réaction de la part de l’autre [le récepteur, ndlr]. Il faut que cet autre, montre par son comportement qu’il reconnaît le bien fondé de ma parole — bien fondé qui sera jugé au degré de conformité de mon comportement par rapport certaines normes sociales —, dans cette situation particulière, me faisant ainsi exister en tant que locuteur. Mais ce n’est pas tout, car quand bien même je serais légitimé dans mon droit à la parole il faut encore que je sois reconnu comme un sujet compétent. Communiquer, c’est donc conquérir le droit à la parole en tenant compte des contraintes du marché social du langage pour mettre en œuvre des stratégies de discours. » (texte complet sous ce lien).

Ainsi, notre délicat travail consiste bien plus à faire acquérir cette position particulière, faite de reconnaissance de compétence, de droit à l’expression et de bien-fondé a priori des propos tenus, plutôt que de singer les codes communicationnels dans l’air du temps, au risque de disparaître dans la masse. Si ce n’est que, bien sûr, ne pas utiliser ces mêmes codes, média par média, c’est se placer hors du champ de vision et de perception des usagers de ces médias. Le LOL n’est donc pas une stratégie discursive pour le champ de la communication publique, sauf à le transcender, à le transformer, pour le rendre acceptable par nos cibles et en le plaçant au service non pas de l’effet de manche, mais bien du champ public que nous servons. Il s’agit donc de régler donc sur le bon canal, mais en n’oubliant jamais qui est le locuteur qui s’exprime par notre truchement. Question donc de cadre à poser, ou à reposer, et de limites à se fixer. Mais, dans ces limites et dans ce cadre, tout reste possible. Dans les années 80, on reprochait à la communication publique de vendre les élus comme des lessives, à force de les faire mousser. Aujourd’hui, tâchons de ne pas les vendre comme des GIF, animés certes, mais sans le son.

*Patrick Charaudeau, "Entretien : « Le discours doit être analysé en rapport avec les dispositifs de mise en scène »", Revue Mots n° 111, juillet 2016, p.131-145., 2016, consulté le 23 février 2017 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications.

** Patrick Charaudeau, "Ce que communiquer veut dire", in Revue des Sciences humaines, n°51, Juin, 1995, consulté le 24 février 2017 sur le site de Patrick Charaudeau - Livres, articles, publications.