Leçons d’humilité
En ces temps compliqués, celles et ceux qui y allaient de leur « Vous allez voir ce que vous allez voir » ont mis la pédale douce. Les discours triomphalistes ne sont pas de mise. L’expression d’une béate autosatisfaction est hors de propos.
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Cette saloperie de virus a ainsi du bon. À tous les niveaux, la modestie prend du poil de la bête. S’ils affichent de la détermination, les gouvernants ne plastronnent guère. Dans une mer très agitée, contraints de modifier le cap, ils naviguent à la godille. Les propos définitifs passent mal. Il y a de l’incertitude dans l’air. Les sachants les plus en vue, ceux du monde de la médecine, outre qu’ils sont loin d’être unanimes, ne sont que peu péremptoires. Beaucoup avouent leur ignorance : « Nous ne savons pas tout du Covid-19. Nous l’apprenons peu à peu. Nous ne savons pas comment l’épidémie va évoluer. » Parmi les élus, quelques-uns, soudainement spécialistes de la chloroquine, ont cru annoncer le printemps avec la floraison de leurs propos catégoriques. Mais beaucoup, qui se croyaient omnipotents ou se pensaient omniscients, ont baissé le caquet. Dans la situation que nous vivons, l’impuissance et l’inconnu ont droit de cité.
De même, les élus locaux ne peuvent pas bomber le torse. Ceux qui sont au milieu du gué de leur possible réélection doivent respecter les règles de la communication en période préélectorale, comme Rolande Placidi l’a rappelé ici même. Tous, légitimement, se présentent en protecteurs de la santé des habitants, en s’appuyant, de la plus institutionnelle des façons, sur les compétences de leur collectivité et la mobilisation de ses services. Ainsi ils sont souvent conduits, dans un champ à connotation politiquement plutôt neutre, à mettre en relief les vertus des services publics, leur continuité, leur proximité.
Et les communicants publics ?
Pour eux aussi, des pans entiers de leurs activités habituelles sont renvoyés à des jours meilleurs avec la concentration sur les actions basiques : « Informer sur les services publics, sur les droits et prestations », comme le résume la nouvelle version de l’infographie sur la communication publique. Donc, un cheval d’informations pratiques, une alouette de communication institutionnelle. La créativité s’exprime pour s’adapter au télétravail et à d’autres contraintes, et trouver, avec des équipes souvent réduites, le bon registre de la communication et les outils adéquats. Énormément de travail, donc, mais rien qui permette de parader. Des activités essentielles, mais humbles.
Voilà qui tranche avec notre propension à une certaine autosatisfaction. Elle se traduit, justes titres de gloire, par les prix attribués au meilleur de nos réalisations. Cette place donnée à l’autocélébration est peut-être – posons-nous la question – la compensation de certaines frustrations dans l’exercice de nos métiers de producteurs et parfois de prolétaires, dans la dépendance hiérarchique en tant qu’agents ou la dépendance économique en tant que prestataires. Mais, dans l’agréable chaleur de la tribu des communicants publics, entre nous pourquoi, me direz-vous, se passer des occasions d’honorer collectivement des réussites ? Certes. Mais on peut être porté à penser que les limites de notre action, notre incapacité à être entendus réellement de tous, nos échecs ne doivent pas être perdus de vue. L’incertitude, voire l’inquiétude, doivent avoir leur place.
L’hypercrise, avec ses effets décapants de dévoilement et de révélation, nous y pousse. Elle nous donne de stimulantes et utiles leçons d’humilité.