Les agents publics peuvent-ils s'exprimer librement sur les réseaux sociaux ?
À quelques semaines des élections européennes et à quelques mois des municipales, la question de la porosité entre espace professionnel et personnel sur les réseaux sociaux se pose pour les agents publics, tenus par certaines obligations statutaires. Des repères s’avèrent indispensables pour qu'ils continuent à s'exprimer librement.
« En tant que citoyens, les agents publics bénéficient de la liberté d’opinion et de la liberté d’expression. En tant que fonctionnaires, ils sont tenus à certaines obligations déontologiques qui contrebalancent ces libertés fondamentales », a rappelé Pascal Touhari, directeur juridique achat, commande publique et patrimoine à la ville de Villeurbanne lors des 12e Rencontres nationales de la communication interne. « Il faut articuler les deux pour que chaque agent puisse s’exprimer le plus librement possible tout en respectant le devoir de réserve. » Un juste équilibre à trouver en ayant en tête quelques repères juridiques et conseils essentiels.
Neutralité, discrétion, et réserve sur les réseaux comme ailleurs
« Dès lors que les propos ou images sont accessibles sans restrictions, les agents publics doivent veiller aux respects de leurs obligations déontologiques », rappelle Pascal Touhari. À l’extérieur du service, un fonctionnaire reste un fonctionnaire, soumis, en sa qualité d’agent public, aux principes de neutralité et dignité définis par la loi déontologie du 20 avril 2016. Un agent a ainsi été sanctionné pour avoir fait apparaître sa qualité et son adresse électronique professionnelle sur le site d’une association cultuelle (CÉ, 15 octobre 2003, n° 244428).
Sur les réseaux sociaux comme ailleurs, les agents publics doivent également respecter l’obligation de discrétion professionnelle qui leur interdit de diffuser des informations ou des documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions (article 26-2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires). Une obligation confirmée par un arrêt récent du Conseil d’État (CÉ, 20/03/2017, n° 393320), qui a refusé d’annuler le licenciement d’un adjoint technique à la police municipale suite à la diffusion, sur son blog et sur trois réseaux sociaux, d'éléments détaillés et précis sur les domaines d’activité de la police municipale accompagnés de l’écusson du service.
Enfin les agents publics sont tenus à un devoir de réserve. Cette obligation, d’origine jurisprudentielle, qui ne figure pas dans le statut général des fonctionnaires, impose à ces derniers d’éviter pendant et en dehors du service toute manifestation d’opinion ou de comportement de nature à porter atteinte à l’image et à la considération du service public et ce quel que soit le média utilisé, le caractère oral ou écrit des propos, le caractère public ou non des propos. Un agent a par exemple été condamné à deux ans d’exclusion dont six mois avec sursis pour ses propos virulents et grossiers à l’encontre tant de sa hiérarchie que des élus sur une page Facebook, paramétrée pour un accès « ouvert », et où il remettait en cause le fonctionnement de son administration (TA Montpellier, 21 septembre 2016, n° 1502085).
À qui s’appliquent ces obligations ?
Les obligations déontologiques s’appliquent aux fonctionnaires, aux contractuels mais également aux vacataires et aux stagiaires de la fonction publique, ainsi qu’aux agents suspendus de leurs fonctions et aux agents en disponibilité.
Discrétion, vigilance, bienveillance : les bonnes pratiques
Au regard de ces trois obligations, Pascal Touhari pointe plusieurs bonnes pratiques que l’agent public doit adopter sur Internet et les réseaux sociaux.
- Respecter l’obligation de discrétion professionnelle : l’agent n’a pas le droit de diffuser des informations ou des documents dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.
- Ne pas faire état de sa qualité d’agent public lorsque celui-ci s’exprime publiquement sur les réseaux sociaux soit à titre personnel, soit au titre d’une autre qualité (membre d’une association par exemple). Un conseil valable pour les pétitions qui fleurissent depuis quelques années sur Internet. Et qui percute aussi un autre usage en vogue : celui des réseaux sociaux professionnels comme LinkedIn. « Sur ce réseau, vous êtes clairement identifié comme appartenant à telle ou telle collectivité, explique Pascal Touhari. Faut-il vraiment s’exprimer sur son entreprise sur les réseaux sociaux ? Ne peut-on pas s’abstenir ? », s’interroge-t-il.
- Rester prudent, même si l’agent s’exprime à titre privé lorsqu'il émet une opinion, qu’elle soit d’ordre politique, juridique ou religieux. « La prudence sera d’autant plus importante si sa place dans la hiérarchie administrative ou sa notoriété locale permet de faire le lien avec le service. »
En clair, tourner sept fois sa souris dans sa main, avant de poster. Un exercice pas si facile, mais salvateur lorsque l’envie est trop pressante de répondre à un administré qui attaque sa collectivité, ou la qualité de ses services, a pointé une des communicantes lors de l’atelier de Pascal Touhari. Avec les participants, il a souligné l’importance de rester factuel et bienveillant quand on cherche à défendre sa collectivité ou à rétablir une vérité.
Du cas par cas en fonction de la publicité des propos et de la place dans la hiérarchie
Si un cas de manquement à une des obligations déontologiques sur les réseaux sociaux est porté à la connaissance de l’administration, elle va sanctionner l’agent administrativement. Si l’affaire est portée à la connaissance du juge, il va ensuite effectuer un contrôle de la sanction. Collectivité et tribunal vont arbitrer entre la liberté d’expression et la faute en prenant en compte :
- la place de l’agent dans la hiérarchie (on sera plus souple avec un agent de terrain qu’avec un cadre). À noter qu’un agent qui bénéficie d’un mandat syndical jouit d’une certaine protection, mais ne doit pas dire n’importe quoi pour autant. Des sanctions restent possibles si une faute est commise ;
- la publicité donnée à ses propos. Sur les réseaux sociaux par exemple, le choix du mode privé ou public, le nombre de retweets ou de partages, seront autant de critères à prendre en compte pour définir le caractère public de la publication.
Une vigilance redoublée et partagée en période électorale
En période électorale, que se passe-t-il si un agent exprime des propos virulents envers un candidat par exemple ? Comme tout citoyen, il s’expose à des sanctions pénales en cas d’injure et de diffamation. À noter que la prescription sur les publications sur les blogs ou réseaux sociaux, comme dans la presse écrite, est de trois mois. En tant que fonctionnaire, l'agent s’expose en plus à des sanctions disciplinaires. En clair, le devoir de réserve et les autres obligations statutaires s’appliquent en période électorale comme le reste du temps sans règles spécifiques. L’agent conserve le droit d’avoir une opinion politique et de l’exprimer. On portera cependant une attention particulière au respect de ces obligations en période électorale, souvent plus propice à l'expression de l'opinion politique, notamment dans le cas des élections locales pour les collectivités.
Pendant les six mois précédant les élections, ce principe de vigilance s’applique aussi bien aux agents qu’à l’administration qui doit trouver le juste milieu pour ne pas trop restreindre leur liberté d’expression. « Un agent avait appelé à voter pour un candidat aux élections municipales sur son profil Facebook », explique Pascal Touhari. « Pas d’outrance, pas de mention de la collectivité, pas de mise en cause de son administration et une appartenance à la catégorie C : le tribunal a annulé le blâme dont il avait fait l’objet. »
Accompagner les agents en interne
Face à des agents qui n’ont pas toujours conscience de l’ampleur de leur publication sur les réseaux sociaux ou qui oublient qu’ils sont tenus à une obligation de confidentialité, les communicants internes ont un rôle à jouer pour accompagner leur parole sur Internet. Obligation de réserve, publicité des propos, confidentialité des infos… les collectivités peuvent prévoir des séances d’information et des formations. Plusieurs d'entre elles se sont également dotées de chartes d’utilisation des réseaux sociaux.