Les communicants face à la demande de proximité des habitants
En ces temps de covid, une demande de relation de proximité avec les pouvoirs publics s'est exprimée. Elle s'est aussi modifiée, le dialogue se construisant essentiellement via le numérique. Les communicants ne manquent pas d’idées et de conviction pour répondre à cette attente d'un dialogue citoyen, premier pas vers la participation. Mais cela nécessite de bien maîtriser les outils numériques et de savoir co-construire la relation.
La covid et le premier confinement ont provoqué en matière de dialogue citoyen un véritable électrochoc : « La première vague de la covid-19 nous a tous surpris », explique Stéphanie de Palma, directrice de cabinet et de la communication de la ville et de la CA de Beaune Côte et Sud. « En quelques heures, quelques jours, il a fallu réadapter totalement nos méthodes de travail, nos fonctionnements et nos habitudes. Le service public s’est retrouvé soudainement amputé… » Confinés, les gens ont été avides d’information et d’échanges. Une tendance confirmée à l’automne lors de la reprise des activités et du second confinement et par les résultats du Baromètre 2020 de la communication locale : 66 % des Français demandent à être informés par leur mairie en période de crise sanitaire.
Les initiatives se sont donc multipliées partout, rendant effectif, à travers une situation de crise, le souhait de nombreux citoyens d’un dialogue renforcé avec le pouvoir local : 86 % des Français, en effet, « espèrent voir se développer plus de dispositifs de participation citoyenne à l’échelle de leurs communes », selon le sondage Harris Interactive-Epiceum. L’absence de possibilités en présentiel, de réunions publiques traditionnelles ou de séances d’instance traditionnelles, comités de quartier ou autres, a provoqué l’explosion des réseaux sociaux, newsletters, mails et autres supports numériques.
25 % des habitants sont joignables par mail
La relation avec les habitants a dû s’accélérer, boostée par la nécessité : « Le contact avec le citoyen se poursuit, mais il a pris une forme totalement différente. », souligne Marc Farré, directeur de la communication de la ville de Dijon. « Il est sûr et certain que nous n’avons pas du tout touché le même public. L’accès au numérique et les habitudes d’usage nous ont permis cette fois-ci de toucher des catégories socioprofessionnelles différentes des autres années… »
À Beaune, la mairie compte 5 000 adresses mails actives (pour 22 000 habitants), à Dijon 40 000 mails (pour 160 000 habitants), soit 25 % de la population qui peut être informée, interrogée et qui permet une importante diffusion par bouche-à-oreille. À Lyon, l’équipe nouvellement élue du 7e arrondissement (76 800 habitants) a selon les termes de Suzanne Fontaine, directrice de cabinet, « renoué avec le phoning » pour dialoguer avec les plus âgés. En dehors des réseaux sociaux, très utilisés par tous, plusieurs villes ont, grâce à la nouvelle culture « visio », organisé des visioconférences autorisant un échange : le maire de Rouen dialogue avec les habitants chaque vendredi depuis le mois d’octobre avec #RouenDirect. Devant l’intérêt de l’exercice, ses adjoints et élus de secteurs font de même un jour par semaine. À Lyon, explique Suzanne Fontaine, « pour un des grands projets du mandat (réinventer la place Gabriel-Péri), nous travaillons main dans la main avec la mairie du 3e pour créer des ateliers participatifs thématisés en visio, en attendant une réunion publique en juin ». À Dijon, précise Marc Farré , « le dialogue se construit essentiellement via le numérique. Au-delà de nos réseaux sociaux, nous avons la chance de disposer d’une base importante de mails actifs qui constitue une véritable force pour instaurer un échange régulier avec les habitants. Nous mettons en place régulièrement des opérations participatives via des enquêtes en ligne. Notre taux de réponse est significatif et devient de ce fait une véritable aide à la décision pour les élus. Dans nos questionnaires, nous laissons par ailleurs la possibilité aux habitants de nous interroger. Et nous nous engageons à répondre dans les plus brefs délais ».
Travailler en lien avec les acteurs de l’inclusion numérique
Mais web, digital et réseaux, pour intéressants qu’ils soient, ne peuvent répondre à tout. Premier obstacle : la fracture numérique, bien réelle, qui se révèle avec une acuité particulière à l’heure de la démultiplication et représente une vraie préoccupation pour les communicants publics. « La difficulté a résidé dans le fait qu’une grande partie de la population n’avait pas accès à cette information numérique », souligne Stéphanie de Palma. En effet, contrairement à ce que l’on pense, la digitalisation et l’informatisation de la population sont loin d’être généralisées, soit pour des raisons d’absence d’équipement personnel, soit pour des raisons d’accès inexistant au réseau internet. « Cette problématique est encore plus aiguë chez les personnes âgées et dans les familles à très faibles revenus, qui étaient précisément le cœur de cible de la plupart de nos attentions. » Un constat partagé par Marc Farré : « La crise nous a obligés à réinventer ou à fortement développer les outils de communication numérique, au risque de laisser au bord du chemin de nombreux concitoyens. Si nous ne voulons pas accélérer et installer dans la durée la fracture numérique, nous devrons très très vite trouver des solutions pour rendre accessibles à tous ces outils et accompagner les plus éloignés à la pratique de leurs usages. » Un constat qui amènera peut-être les communicants à mieux connaître et travailler plus en lien avec les acteurs de l’inclusion numérique tels Hinaura en Rhône-Alpes-Auvergne ou les Assembleurs dans les Hauts-de-France, les associations d’éducation aux médias ou les médiateurs numériques souvent présents au sein même des collectivités mais sans grande « transversalité » avec les services communication, avec lesquels un travail commun pourrait s’engager.
Développer son rôle de modérateur et investir le champ de la médiation
En dehors de la fracture numérique, une interrogation se fait jour sur les liens directs avec la population : « Échanger par mails ou sur les réseaux sociaux, ce n’est pas forcément très simple, car cette forme de contact devient un “défouloir" pour les citoyens. Je suis impressionné par le ton et la teneur de certains propos. Les relations directes, parfois dures, qui pouvaient exister avant la crise sanitaire, n’ont jamais atteint un tel niveau d’agressivité. Et que dire du retour en force de la délation… La communication publique, en plus de continuer à assurer la transmission de l’information, doit désormais développer son rôle de modérateur, voire investir le champ de la médiation. »
Une relation citoyenne de proximité qu'il faut conforter
Qui dit relation citoyenne dit relation… En complément du numérique, les moyens de celle-ci sont infinis (tous les outils traditionnels restent au rendez-vous), de façon parfois inattendue. Et inventivité pour inventivité, le besoin de relation citoyenne en situation de crise a enrichi le panel des possibles et permis d’engager plus les responsables communication eux-mêmes dans des contacts avec des acteurs internes ou externes à la collectivité. Ainsi à Beaune, un dispositif d’appels et de soutien mis en place avec le CCAS ou les liens construits avec « un groupe très important réunissant plus de 1 500 habitants sur une page Facebook, créée lors du premier confinement dans le but de développer de la solidarité et du lien entre les habitants. Ce groupe développe aujourd’hui une action citoyenne très importante avec la mise en cohésion de la population, autour d’un projet civique. Il rassemble ainsi les habitants qui souhaitent donner “leur heure de sortie” pour aider leurs prochains, nettoyer les rues, écrire une lettre à une personne âgée… ». À Dijon, « nous réfléchissons aujourd’hui à d’autres formes d’échanges. Dans cette réflexion, qui devrait aboutir à des propositions dans les mois qui viennent, sont associés, outre la direction de la relation citoyenne, la direction de la communication, le cabinet, et les élus concernés. Difficile aujourd’hui de dire ce qui ressortira de ce travail ». Et Suzanne Fontaine à Lyon souligne : « Nous cherchons donc à réinventer certaines formes de participation citoyenne, avec plus de proximité sur le terrain et en ayant cette vigilance particulière pour aller chercher la voix de celles et ceux que l’on entend peu. C’est une des clés de la réussite du projet et de son appropriation par la majorité des habitant.e.s. » Petit exemple : les femmes, les familles d’actifs peuvent être en difficulté pour participer à des réunions. Du coup a été mise en place une garde d’enfants pendant les conseils d’arrondissement, étendue bientôt à tous les temps de démocratie participative. Et la diffusion de questionnaires pour la réhabilitation d’un quartier politique de la ville se fait par boîtage et contacts directs.
Au-delà de la crise et dans la durée… la relation citoyenne s’est au final enrichie à l’expérience du numérique étendu. Et les responsables communication sont d’accord pour garder les moyens traditionnels de l’information (journal et publications papier, phoning, panneaux électroniques, affichage…), complétés de tous les moyens numériques (réseaux sociaux, réunions en visio, applications, site web et newsletter…), d’un maximum de contacts (micro-événements, animations, référents de quartier…) ou d’instances diverses d’écoute et de réflexion (ateliers participatifs, comités de secteur, commissions…). Toutes actions qu’ils ne pourront mener seuls et qui demandent sans doute de mieux « co-construire » avec les autres services, les associations et les acteurs locaux. Avec l’espoir de retrouver en temps normal comme en temps de crise le lien et la confiance des Français dans leurs institutions publiques locales et leur proximité.