Les jeunes ont-ils quitté Facebook ?
En cette rentrée scolaire, posons-nous la question : où sont passés les jeunes ? Ils auraient déserté Facebook... Le réseau préféré des collectivités n’aurait plus aucun intérêt pour leur parler… Vrai ou faux ?
Rassurez-vous, si le réseau des réseaux n’est plus leur terrain de jeu favori, il y a toujours des jeunes sur Facebook… mais pas forcément ceux que vous vous attendiez à voir !
Yann-Yves Biffe Prospective, management, numérique et communication publique : retrouvez d'autres chroniques illustrées sur www.yybiffe.com et via twitter : @yyBiffe.
Le 23 août dernier, le Blog du modérateur titrait « Les jeunes délaissent Facebook au profit de Snapchat et Instagram ». C’était donc vrai cette rumeur relayée par nombre de personnes averties ou pas ? Donc il ne faut plus de page Facebook pour parler aux jeunes ? Minute ! L’affirmation reste à relativiser, en particulier selon l’âge des jeunes...
Ça laisse à penser que les jeunes préfèrent Snapchat ou Instagram
Facebook devrait perdre aux États-Unis 3,4 % de ses utilisateurs entre 12 et 17 ans en 2017. Le recul se poursuit : en 2016, 1,2 % des adolescents avaient déjà quitté le réseau social. « Trop général, pas assez "fun", il attire de moins en moins les ados de la génération des Millennials, qui le considèrent déjà un peu "has-been" », selon Sylvain Rolland pour La Tribune.
Selon eMarketer.com, il y a aux États-Unis 40,2 millions de 12-24 ans qui utilisent Snapchat au moins une fois par mois, contre 38 millions qui utilisent Facebook au moins au même rythme.
Pour Oscar Orozco, analyste principal chez eMarketer, cette désaffection s'explique par le fait que les Millennials privilégient des usages beaucoup plus visuels et interactifs, qu'ils retrouvent sur Snapchat et sur Instagram davantage que sur Facebook. Logique : ces deux derniers ont été lancés dans les années 2010 précisément pour accompagner la mutation des usages de la génération des Millennials
C’est une tendance. Mais il faut regarder les choses de plus près. « Les jeunes » n’est pas un groupe homogène et les comportement en matière numérique (aussi) sont très différents entre les 13-17 ans et les 18-24 ans. Les enfants, pré-ado, ne commencent plus tous les réseaux sociaux par Facebook et ne voient pas forcément l’utilité de s’y inscrire. Les ados d’aujourd’hui conserveront-ils cette tendance ou évolueront-ils comme les jeunes adultes en prenant de l’âge ?
Ça laisse à voir que les jeunes sont toujours présents sur Facebook
Pour autant, sur les 0-11 ans, il y a aux Etats-Unis 3,1 millions d’utilisateurs de Facebook, contre 1,2 millions de Snapchat et 1,4 millions d’Instagram. Même si Facebook perd de jeunes membres, il en reste encore beaucoup !
Facebook, c’est quand même 30 millions de comptes actifs en France, dont 22 millions actifs quotidiennement. Donc statistiquement, il y a de fortes chances qu’il y ait des jeunes dans le lot. Même si le réseau social gagne de la pénétration chez les seniors, toutes les maisons de retraire ne s’y sont pas mises en bloc.
Si des jeunes sont toujours inscrits, ils y viennent cependant moins souvent. Et même en ligne, ils y sont moins actifs, y prennent moins la parole, se répondent moins...
« Les adolescents qui restent sur Facebook semblent moins engagés - en se connectant moins fréquemment et en passant moins de temps sur la plateforme », explique Ozcar Orozco, analyste principal chez eMarketer.
Mais ils ne pensent pas forcément tous à quitter le navire. Car c’est le réseau de la mise en commun (quasi) universelle. C’est le village planétaire, c’est un peu l’espace public (même sous statut privé) des réseaux sociaux. Ce n’est plus là qu’ils échangent majoritairement entre eux. Mais c’est là qu’ils peuvent discuter avec leur grand-mère, prendre des nouvelles du parrain éloigné. C’est là aussi qu’ils vont être informés des actualités et infos pratiques de leur association de théâtre ou de leur club de basket.
Eh oui, Facebook a muté. Il n’est plus le lieu à la mode de l’échange instantané de messages un peu creux (bon, d’accord, il en reste). Il est devenu un lieu de référence de partage d’information.
Slate.fr a ainsi publié une étude de trois chercheurs liés à l’Observatoire du Webjournalisme qui montre que « lorsque l’on interroge les 18-24 ans sur les canaux qui leur permettent d’accéder à de l’information en ligne, les réseaux sociaux arrivent très largement en tête des réponses avec plus de 73% des répondants qui indiquent accéder à l’actualité par les réseaux sociaux, fortement consultés sur les terminaux mobiles, au moins une fois par jour, supplantant les sites d’information, les applications mobiles et même leurs dispositifs d’alertes push. »
Arnaud Mercier, Alan Ouakrat et Nathalie Pignard-Cheynel notent quand même que, « malgré la prédominance de Facebook comme vecteur d'accès à l'actualité, tous les répondants ne lui accordent pas la même place dans leurs pratiques informationnelles. Si 55 % l'estiment comme « un moyen important pour suivre l’actualité, mais pas le plus important », seuls 13,5 % en font le « principal moyen », tandis que 20 % le considèrent comme « pas très utile pour suivre l’actualité » ».
Au delà, Facebook est même en passe de devenir la plateforme d’agrégation de nombreuses fonctionnalités, une sorte de bureau de l’usage numérique personnel : « Facebook ne ménage pas ses efforts pour devenir "la"plateforme incontournable de la vie en ligne, qui servira à communiquer, s'informer, se divertir et même acheter et sortir », selon Sylvain Rolland pour la Tribune.
Facebook est utile aux jeunes à défaut d’être encore « cool ». Alors s’il n’y a pas de jeunes sur votre page Facebook, ce n’est pas forcément parce qu’il n’y a plus de jeunes sur Facebook ! Ceux qui restent, il faut être en mesure de les intéresser.
Ça laisse à penser que les collectivités attirent les jeunes... pas les plus jeunes
Au niveau des pages des collectivités justement, comment cela se traduit-il ? Quelques community managers d’institutions publiques, membres de l’excellent groupe du même nom, ont bien voulu m’indiquer la structuration de leur audience côté jeunes. Ça n’a rien d’un sondage et pas franchement de valeur statistique avec 8 collectivités enquêtées, mais cela donne une idée.
Et cette idée, c’est qu’il y a une coupure forte entre les moins de 18 ans et les plus de 18 ans. Les 13-17 ans représentent entre 0,5 % et 4 % des fans de ces pages.À noter que le chiffre est le plus bas dans les très grosses collectivités (également vrai pour les 18-24 ans).
Pour comparer, selon les chiffres officiels de l’INSEE, les 13-17 ans en France représentent 6,19 % de la population totale. On en déduit que la structuration de nos fans sous-représente les 13-17 ans.
Par contre, les pages de collectivités, si j’écarte celle atypique qui ne compte que 3 % de 18-24 ans, en comptent entre 7 et 27 %. Parallèlement, sachant que ces 18-24 ans représentent 7,96 % de la population française, on en déduit que cette tranche d’âge est globalement plutôt sur-représentée dans nos pages. Bien sûr, il faudrait comparer les chiffres de chaque page avec la population de leur collectivité pour être plus pointu.
Facebook n’est plus le réseau des jeunes. Mais des jeunes (surtout des jeunes adultes) sont toujours sur ce réseau ! Donc n’ouvrez pas une page Facebook si vous voulez spécifiquement vous adresser aux ados. Mais gardez-la pour parler à toute votre population, y compris au passage à de nombreux grands jeunes. Ou des plus anciens toujours jeunes dans leur tête ! Car, selon le psychanalyste Michaël Stora, Facebook a un effet spontanément rajeunissant : « Quand je parle de régression infantile, je pense aussi aux commentaires. "Tu es beau", "J'adore"... Est-ce qu'on s'adresse à un adulte ou à un petit enfant ? »...