Les limites de la démocratie d’interpellation
L’apostrophe publique vers le président de la République ou le maire de Montpellier peuvent troubler le cérémonial. Un peu. La démocratie trouve-t-elle bien son compte dans ces interventions inopinées de citoyens en direction d’un élu ?
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste.
11 janvier dernier, le Corum, palais des congrès-opéra de Montpellier. Les 2 000 places de la salle Berlioz sont à peu près toutes occupées pour la cérémonie des vœux de la ville et de la métropole. Discours du maire-président, Michaël Delafosse. Soudain, un mouvement inattendu dans une galerie latérale. Une banderole est déployée : « Boulevards asphyxiés ». Des cris fusent : « On veut respirer ! On crève ! » C’est une nouvelle action, pour se rendre visible et audible, du « Collectif des quatre boulevards ». Les riverains sont exaspérés par la très forte augmentation du trafic, provoquée par le nouveau plan de circulation. Le maire s’est interrompu. Il ne dit mot. Quelques « hou » montent du parterre. La dizaine de perturbateurs est évacuée fermement, sans violence et sans résistance. Un incident de moins de deux minutes. Michaël Delafosse reprend une citation de Victor Hugo. Le cérémonial continue.
19 janvier, gymnase du lycée français de Barcelone. Emmanuel Macron vient à la rencontre des « Français de Barcelone », après avoir signé un « traité d’amitié et de coopération » avec Pedro Sanchez, le président du gouvernement espagnol. Parmi les 350 invités, Youssef Hanayen. Il ne porte pas de veste, mais un tee-shirt blanc sur lequel on lit : « Non à votre réforme des retraites ». Il est escorté jusqu’à la sortie, fermement, sans violence et sans résistance. La soirée, « privée », quoique officielle, n’est troublée en rien. Selon son récit dans Libération, le militant de La France insoumise est fouillé, son tee-shirt est confisqué, les données sur son action sont supprimées de son téléphone portable. Il raconte : « Je ne voulais pas causer de désordre, ni apostropher le président, ni crier. Je ne voulais pas que les choses aillent plus loin. »
Hors protocole, hors procédure
« Un maire doit rester à portée d'engueulade », a plusieurs fois déclaré Michaël Delafosse. « Qu’ils viennent me chercher ! », avait lancé Emmanuel Macron à propos de l’affaire Benalla. D’une manière plus ou moins matamore – à chacun d’en juger –, ces élus disent ainsi être prêts à faire face à de vigoureuses interpellations. Dans notre pays, ces modes d’expression ont leur place, hors protocole et hors procédure. Ainsi, on perturbe à peine le déroulement de l’événement public. Mais, chez nous, on ne risque pas la prison pour une poignée de mots adressés abruptement à l’autorité.
Les raisons d’être, mais aussi les limites de cette forme d’exercice de la citoyenneté apparaissent. Celle-ci, nous le savons bien, est vivifiée par les diverses formules de consultation et de concertation qui organisent l’agora. Les communicants contribuent plus ou moins fortement à leur mise en œuvre. De nombreuses pratiques, sur le plan local et sur le plan national, démontrent que ces démarches sont fructueuses si elles sont solidement préparées, authentiquement conduites, concrètement suivies d’effets. Bref, si la parole des habitants n’est pas seulement entendue, mais réellement écoutée. Après échecs et faux-semblants, les méthodes réussies, respectueuses à la fois de la démocratie participative et de la démocratie représentative, sont connues et éprouvées.
« Ranimer une démocratie qui s’effondre »
Ça peut avancer, mais ça peut aussi coincer, comme l’analyse une enquête récente (Le Monde du 10 février), « La démocratie environnementale entravée » : « Alors que la participation des citoyens aux projets affectant leur environnement est inscrite dans la Constitution, leurs avis pèsent peu dans les décisions. Les procédures doivent aujourd’hui être adaptées aux enjeux du XXIe siècle. »
Nous devons, à notre place, travailler à « ranimer une démocratie qui s’effondre », comme nous y a poussés Loïc Blondiaux, en décembre 2021, à Rennes, lors de la conférence d’ouverture du Forum de Cap’Com. Le professeur de sciences politiques à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne constatait : « Il y a une aspiration à une démocratie plus intense, plus horizontale, plus coopérative, un phénomène sous-estimé par les responsables politiques. » Il formulait ainsi le premier principe d’une participation effective et efficace : « Un projet politique qui exprime cette volonté d’installer la participation et la conviction qu’elle est utile à l’acceptation de la décision et à sa qualité. » À nous de partager cette conviction.