« Les mots de la crise ont imprégné la parole publique »
Depuis un an, la parole publique aurait pu s’épuiser entre consignes, longues explications et contradictions. Mais il n’en est rien pour la sémiolinguiste Élodie Mielczareck, qui note la vitalité de notre langue et de ses usages en compublique.
Ce qu’il faudra retenir de l’intervention de cette observatrice de la langue française lors de l’étape de Grenoble du Cap’Com tour, c’est que notre langage est vivant. Cette année de crise de la covid a, par exemple, vu l’arrivée de nouveaux mots comme les « covidés » ou le « déconfinement » avec des formes de phrases ou des locutions qui n’existaient pas auparavant. Notre langue a donc montré sa vitalité en 2020-2021, car elle est « le miroir, le reflet de nos vies » selon Élodie Mielczareck, pour qui la puissance de l’expérience collective a imprimé sa marque dans nos paroles. Nous vivons une période très difficile émotionnellement mais riche du point de vue de la langue.
Au début était le proverbe
« On voit bien comment les communicants publics des territoires ont réussi justement à se réapproprier cette nouvelle vitalité de la langue à travers des proverbes ou des jeux de mots. » Pour Élodie Mielczareck, les actions de compublique de l’année ont réinvesti cet espace de créativité. Les proverbes, qui sont appelés des « syntagmes figés » par les linguistes, ne changent pas de forme et datent souvent, mais certains ont été astucieusement détournés à cette occasion. Il en va de même pour l’utilisation d’un ton décalé ou même de l’humour : « Quand vous êtes disruptif – c'est-à-dire quand vous avez une communication qui est un petit peu à côté de ce qu'on pourrait attendre –, vous sollicitez plutôt la zone du cerveau préfrontal, qui est celle de la créativité, de l’adaptabilité », précise la sémiolinguiste. Cela provoque ce qu’elle qualifie de « ruptures de pattern », quelque chose qui fonctionne très bien, c’est-à-dire prendre le contre-pied du socle de notre inconscient collectif langagier pour provoquer la réflexion, le changement, l’attention nouvelle.
Les paradoxes du communicant
Lors de cette interview, la spécialiste a également noté un double paradoxe frappant les communicants publics.
- Premièrement, il faut être proche des gens au moment où ceux-ci sont les plus suspicieux. Il y a là un vrai défi, et pour Élodie Mielczareck « c'est le challenge de notre époque, de cette société de la défiance et je crois qu'il est d'autant plus fort dans le cadre de la communication publique ! ».
- Deuxièmement, il leur faut faire le lien entre ce qui se passe en haut de l’État et le ressenti ou les signaux envoyés par les territoires. Elle a donné à ce sujet de nombreux exemples de déclarations contradictoires, depuis les conférences de presse nationales jusqu’aux témoignages les plus simples, comme ceux des médecins filmés par les Hospices civils de Lyon.
Dans la période actuelle, la sémiologue note que le choix des mots n’a pas dû être simple. Pour la rédaction d'un simple communiqué de trois lignes, il faut parfois prendre des heures parce qu’il faut savoir porter un discours précis, subtil, voire prendre un peu de distance… mais sans avoir le droit à l'erreur et la moindre approximation peut avoir des conséquences importantes.
Il y a un vrai hiatus, une vraie zone de frottement entre cette nécessité d'être à la fois proche des citoyens et de gérer cette défiance.
Élodie Mielczareck
« J’ai été agréablement surprise de la qualité des intervenants du réseau que Cap’Com a pu interroger sur cette question de l’ordre du sémantique », précise la sémiolinguiste. La communication, même sur ce point, n’est pas un chemin sans encombre. Le langage utilise des ressorts implicites et joue avec « la magie des mots » et leur impact sur le réel.
Résonances linguistiques et batailles sémantiques
Lors de cette intervention, la spécialiste est revenue sur son propre parcours et a pu, alors qu’elle parlait des performances relatives des mots, évoquer le chaudron constructiviste dont elle est issue, parler de certains auteurs comme Jean-Léon Beauvois et Rodolphe Ghiglione qui mêlent linguistique et psychologie sociale et qui ont montré que l’on a tous des attitudes pré-langagières, avant d’avoir ses propres opinions, dont on n’a pas forcément conscience mais qui dénotent déjà un certain rapport au monde. Au final, et sous forme d’une reconnaissance du travail des communicants publics, elle affirmait : « Parler juste, communiquer juste, écrire des mots précis, ça va beaucoup plus loin que placer des caractères noirs sur un fond blanc. Il y a des résonances, et c’est peut-être pour ça aussi que les gens réagissent de manière si émotionnelle, si crue et parfois si violente sur les réseaux sociaux. » Lorsqu’ils voient un message, c'est surtout une vision du monde qu’ils voient, selon Élodie Mielczareck. Elle précise qu’un mot est « d'entrée de jeu » – et par essence – idéologique. Et donc la bataille sémantique est avant tout une bataille idéologique.
La crise n’empêche pas la prise de distance
Peut-on déjà tirer des conclusions ? Il est évidemment trop tôt pour cela, même s’il y a déjà quelques pistes. On parle beaucoup du nudge par exemple, c'est-à-dire cette technique d'incitation douce qui permet de modifier un peu les comportements de façon implicite, à travers une approche ludique, par petits pas. C’est une manière d'utiliser le cerveau automatique, mais à condition de le faire de manière subtile et intelligente. Loin de certaines techniques grossières de la publicité, qui utilise des images ou des mots attractifs pour inciter à l’achat, on se rend compte qu'il y a des choses qui sont peut-être moins reptiliennes mais tout aussi efficaces et qui peuvent être intéressantes. Pour Élodie Mielczareck, « il y a des ressorts qui sont utilisés déjà depuis longtemps par les marques bien qu’on puisse se poser des questions éthiques lorsque l’on entre dans le champ de la parole publique ». Pour elle, il y a des choses assez intelligentes à faire en matière de langage, mais il faut que cela reste mesuré parce qu’aujourd'hui, justement, dans ce climat de défiance, si la ficelle est trop grosse, « cela casse un petit peu la magie, on n'a plus envie d’adhérer ». Elle ajoute que la réponse est davantage dans la sollicitation de cette zone préfrontale, par exemple avec l’humour ou tout ce qui est de l'ordre de la disruption, de l’inattendu, qui provoque plutôt des résultats assez satisfaisants.
Photo bandeau @ Ville d'Auxerre