L’usager au centre du jeu de la communication publique
La communication publique verticale a vécu. Dans un système complexe et cacophonique de relations, impliquant l’élu, le communicant et les médias locaux, l’usager est désormais omniprésent et demande des comptes. La parole publique doit aujourd'hui s’appuyer sur une posture d’écoute, d’humilité et de dialogue.
Opinion publiée sur La Gazette.fr du 23 septembre 2019.
Par Laurent Riéra, directeur de la communication et de l’information de la ville de Rennes et de Rennes Métropole, membre du Comité de pilotage du réseau Cap’Com, intervenant à l’université Rennes 2 et au Celsa.
Il y a trente ans, s’ouvrait le premier Forum de la communication publique, présenté par Le Monde sous le titre gentiment moqueur « La communication des collectivités locales : le poids des images et le choc des suffrages ». Les « territoires » étaient encore des entités identifiables par leurs frontières ou par les compétences des collectivités qui en assuraient la bonne administration.
Puis, au fil des lois, les frontières sont devenues mouvantes, à mesure qu’émergeaient les agglomérations, les métropoles, les communes nouvelles et les nouvelles régions, brouillant régulièrement les référents identitaires des habitants. Peu à peu, faisant fi des découpages administratifs, sont apparus les « usages » et, avec eux, leur lot « d’usagers », censés n’être préoccupés que par la satisfaction rapide de leurs besoins.
Du monologue à la conversation
On sait ce qu’il est advenu. L’usager est désormais omniprésent et demande des comptes, dans un système complexe et cacophonique de relations, impliquant l’élu, le communicant et les médias locaux, eux-mêmes en crise identitaire profonde. D’un monologue, nous sommes passés à un mode de conversation permanente à entrées multiples, dont les réseaux sociaux sont des chambres d’écho à courtes fréquences.
Le pouvoir a perdu le monopole de la fabrication du consensus et du consentement. Beaucoup d’acteurs, chacun avec sa légitimité et son expertise, se saisissent de « nos » sujets, empiètent sur « nos » territoires de parole. En quelques années, nous avons vécu une spectaculaire extension du domaine de la communication, largement amplifiée par la révolution numérique.
Dans un environnement où la surexposition aux messages réduit les possibilités de se faire entendre, la parole publique doit s’appuyer sur une posture d’écoute, d’humilité et de dialogue.
Le retour de bâton est un peu rude mais il nous oblige. Dans un environnement où la surexposition aux messages réduit les possibilités de se faire entendre, la parole publique doit s’appuyer sur une posture d’écoute, d’humilité et de dialogue. La participation des citoyens à toutes les étapes de la décision, en ce qu’elle « ouvre » de nouvelles zones de débat, et donc de pouvoir, enrichit le lien social et démocratique.
Aucun angélisme
Elle est un prérequis pour réveiller ce « sentiment de démocratie en continu », cher à Pierre Rosanvallon (historien et sociologue, ndlr). Elle participe, à son échelle, à lutter contre la prolifération de ces zombies démocratiques que Brice Teinturier (politologue, directeur général d’Ipsos, ndlr) appelle les « Praf » (plus rien à foutre). Aucun angélisme dans cette vision : la démarche participative est souvent aride et peu gratifiante, et ses résultats loin d’être garantis. Mais elle est devenue le nécessaire volet horizontal de la subtile dialectique de l’action publique, qui ne peut plus se contenter de la seule verticalité.
Nous sommes amenés à pratiquer un dialogue permanent, en élargissant le cercle de nos interlocuteurs et, surtout, en leur faisant confiance.
Dit autrement et pour enfoncer le clou, il est désormais essentiel de renoncer à une posture d’autorité. C’est sur le terrain que se reconquièrent, pas à pas, la crédibilité et la légitimité de l’action publique. Nous sommes amenés à pratiquer un dialogue permanent, en élargissant le cercle de nos interlocuteurs et, surtout, en leur faisant confiance.
Ce que la maire de Rennes a appelé la « fabrique citoyenne », cette démarche de co-construction des politiques publiques, dont le budget participatif est l’une des principales incarnations, nécessite beaucoup de pédagogie et de persuasion. Mais c’est un indispensable pari sur la revitalisation du contrat social.