Lutte contre l'illectronisme : un enjeu de com numérique
Illectronisme, e-inclusion qui suppose l’e-exclusion, fracture numérique ou digitale… les mots se multiplient autour d’une même réalité : nous ne sommes pas tous égaux face au numérique. Tant s’en faut : une étude CSA de 2018 montre que près d’un tiers des Français, soit 22,3 millions de personnes, ont renoncé à faire quelque chose pour lequel il fallait utiliser Internet. De quoi porter sérieusement atteinte à l’égalité de tous devant le service public à l’heure de la dématérialisation… Les communicants, premiers producteurs de sites et publications multimédias dans les collectivités et les services publics, ne peuvent se désintéresser de la question.
Aborder de front la question appartient sans doute même aux interrogations récurrentes face à la distance qui s’est instaurée entre les Français, leurs institutions et partant leurs élus. La cause n’est pas unique, cela est bien clair. Mais l’illectronisme constitue sans doute un des éléments de ce mur de verre contre lequel buttent la communication publique et sa vocation à faire connaître et reconnaître les institutions.
L’illectronisme touche toutes les catégories de population
Mais qu’est-ce que l’illectronisme, notion plus large et moins connotée que fracture numérique ? Le néologisme, récent, désigne « un manque ou une absence totale de connaissance des clés nécessaires à l’utilisation et à la création des ressources électroniques ». Le mot ne désigne pas une caractéristique unique (au contraire par exemple de l’illettrisme) mais des situations ou des réalités différentes : de ceux qui ne maîtrisent pas l’outil (souris, clavier, copier-coller, bureau sur écran…) à ceux qui ne comprennent pas le monde numérique et les notions qui lui appartiennent (moteur de recherche, réseaux, Web, site…) ou à ceux qui en ont un usage ludique ou d’échange personnel mais sont dépassés dès lors qu’il faut effectuer une démarche ou une recherche efficace.
Les trois degrés de fracture numérique
- Inégalité d’accès à Internet (qui se résorbe progressivement).
- Inégalité d’usage des services en ligne et de la capacité à s’approprier leurs contenus.
- Inégalité à bénéficier d’un accompagnement humain adapté (au moment où les démarches en ligne deviennent de plus en plus individuelles et transfèrent la charge de travail du fournisseur de services à l’usager).
Extrait du Livre blanc contre l’illectronisme édité en juin 2019 par le Syndicat national de la presse sociale (SNPS).
Nouvelle cause d'inégalité sociale, culturelle ou économique, véritable rupture de l’égalité devant le service public ou l’accès au droit, l’illectronisme touche toutes les catégories de population – 23 % de la population française se dit « mal à l’aise avec le numérique » –, même s’il est plus accentué auprès des personnes âgées de plus de 70 ans dont 41 % n’utilisent jamais Internet, les adultes non diplômés, les personnes fragilisées par un handicap ou les personnes à faibles revenus.
Le CSA, dans son étude pour le SNPS sur l'illectronisme en France de mars 2018, distinguait plusieurs profils d’usagers du monde numérique :
- les « aguerris », qui n’ont aucune difficulté ;
- les « volontaires », qui ne maîtrisent pas tout mais souhaitent y arriver ;
- les « décalés », qui ne se servent pas d’Internet tous les jours et se font aider d’un proche ;
- les « réfractaires », qui font carrément sans ;
- les « occasionnels », souvent jeunes et ne disposant pas d’une connexion permanente faute de moyens ;
- les plus surprenants sont ceux qui ont jeté l’éponge, les « abandonnistes », 19 % de Français qui ont abandonné une recherche au cours de l’année de l’étude.
Constat effectué, que faire ? Le Livre blanc contre l’illectronisme, né à la suite de cette étude, a été édité par le SNPS comme un outil de réduction du phénomène. Il propose des solutions pour réduire autant que faire se peut l’illectronisme par des mesures éditoriales ou d’accompagnement.
Le Syndicat national de la presse sociale (SNPS) n’est pas le seul acteur à s’intéresser à l’exclusion numérique, tant s’en faut : le Défenseur des droits a publié en janvier 2019 un rapport intitulé « Dématérialisation et inégalités d’accès au service public », et le Conseil national du numérique, récemment, a demandé à tout faire pour maintenir l’accessibilité de tous aux services publics. Une injonction qui concerne directement les communicants publics.
« Associer au mieux le digital et l'humain au sein d'une stratégie »
Interrogé sur la réalité de l’illectronisme et sur les éventuelles mesures possibles, Franck Confino, consultant numérique pour le secteur public, souligne qu’administrations et collectivités « s’en emparent très mal. Entre déni et fatalité. Comme il en est également de l’illettrisme (7 à 10 % de la population), d’ailleurs. Mon conseil est pourtant simple : ne jamais totalement supprimer un service “physique” et humain (téléphonique) quand on le remplace par un service numérique. Celui-ci ne peut pas et ne devrait jamais éliminer totalement le service humain. Il peut et doit le réduire, mais il faut toujours garder une alternative. Toutes les études sont formelles, et ce depuis des années : la première demande des internautes est “d’humaniser la relation avec l’administration”. Certains pensent que les chatbots vont remplacer les ressources humaines nécessaires à l'accueil physique de proximité et l'e-accueil. C'est non seulement un leurre mais une vision dangereuse. L'enjeu n'est pas choisir entre "digital" et "humain", mais d'associer au mieux ces deux dimensions au sein d'une stratégie ».
Les communicants, premiers acteurs de l'accessibilité des outils numériques
Des remarques applicables dans les stratégies de communication et pour l’accessibilité des sites et des moyens de relation entre citoyens et institutions. De nombreux dircoms et responsables numériques dans les collectivités s’en préoccupent. Ils sont en effet les premiers acteurs de mise en accessibilité et de simplification des sites. Une gageure sans doute mais quelques mesures préconisées par le Livre blanc peuvent être appliquées dans la conception des sites et autres moyens de communication numériques. Les sites, souvent conçus par des personnes à l’aise, voire très à l’aise avec Internet, devraient être testés avec des personnes en difficulté numérique (personnes âgées, « abandonnistes » de son entourage…) pour voir et comprendre ce qui ne va pas, ce qui manque. Faire attention au design en s’appuyant en particulier sur le travail de l’UXdesign, utiliser messages vocaux et vidéo en complément de l’écrit, donner la possibilité très visible d’une autre voie d’accès à l’information…
Certains s’associent à d’autres services pour réduire l’illectronisme dans la proximité. À Strasbourg, une démarche a été engagée avec Emmaüs Connect. À Guyancourt, « nous n’avons pas encore complètement intégré cette notion dans notre stratégie de communication, explique Anne-Caroline Poincaré. On essaie cependant de faire un maximum d’infographies sur le magazine et sur le site de la ville… Nous avons par ailleurs un espace public numérique, dont la première vocation, dans les années 2000, a été d’aider à la connaissance de l’outil informatique (familiarisation et initiation à la bureautique et à Internet). Aujourd’hui, sa mission est de réduire la fracture numérique. Il accompagne donc les habitants dans leurs démarches auprès des services et administrations en ligne (social, santé, emploi, retraite…) par une formation d’une dizaine d’heures baptisée le “bagage numérique minimum” ».
À Haguenau, outre les très classiques ateliers et postes disponibles à la médiathèque, l’équipement numérique des écoles ou le soutien aux interlocuteurs associatifs qui font de l’éducation numérique, « nos démarches, même si de plus en plus proposées en version dématérialisée, restent toujours réalisables au guichet, explique Anne Constancio. Et la ville a créé un poste de chargé de projet innovation et développement numérique, qui travaille sur le sujet de l’inclusion numérique. C’est réellement un sujet qui mobilise ». De son côté, « le département de la Gironde a organisé en décembre dernier les Assises des solidarités numériques, explique Frédéric Duprat. Et, au mois de juillet, nous avons lancé la communication autour du chèque APTIC que nous déployons progressivement ».
Les communicants se penchent sur la lutte contre l'illectronisme aux Rencontres nationales de la communication numérique des 26 et 27 septembre 2019
Comment toucher les exclus du numérique ? Jean Deydier, fondateur et directeur d'Emmaüs Connect, éclairera les marges de manœuvre et les pistes d’amélioration possibles pour les communicants territoriaux en ouverture des Rencontres nationales de la communication numérique le 26 septembre prochain à Issy-les-Moulineaux.
Des articles pour approfondir le sujet de l'accès au numérique
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- « Hubs France Connectée » (Caisse des dépôts)
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