Mars 2020 : de quoi ces municipales ne sont-elles pas le nom ?
Dans une poignée de semaines se dérouleront de nouvelles élections, les municipales. Si nous pouvons, bien sûr, nous réjouir de leur score (flatteur) de participation face aux autres scrutins, notamment les nationaux, on peut toutefois légitimement s’interroger quant à, globalement, l’absence de mise en lumière des enjeux intercommunaux liés à ce rendez-vous. Oui, ces élections devraient clairement être qualifiées de « municipales ET communautaires ». Mais ce n’est pas le cas. Pourquoi ?
Par Marc Thébault.
Souvenez-vous, en 2014 déjà, les bulletins de vote des élections municipales étaient les premiers à faire figurer deux listes : l’une présentant l’intégralité des prétendantes et prétendants, l’autre, plus réduite, précisant qui, depuis l’autre liste, siégerait au conseil communautaire pour y représenter la commune. Qui s’en souvient en dehors des électrices et électeurs qui ont cru à une erreur d’impression ? Cette petite révolution a été mise en œuvre pour lutter contre ce qui était considéré comme l’absence de fondement démocratique de l’intercommunalité, un quasi-sacrilège : la désignation des conseillers communautaires par les seuls conseils municipaux. Un suffrage indirect donc. Et c’était mal…
Pour avoir connu les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale, j’avoue être toujours assez dubitatif sur cette nouveauté. Après plusieurs années passées dans des communes et leurs conseils municipaux, et même si parfois cela m’amusait, le côté « jeux de rôles ritualisés » de ces assemblées m’a assez vite lassé.
« Qui est pour ? La majorité. Qui est contre ? L’opposition »
En effet, assister à l’étalage tellement convenu de postures dictées davantage par une stricte discipline de vote que par un souci de l’intérêt général, m’a toujours interpellé « quelque part », comme on disait dans les années 70/80 dans les milieux « éduc pop ». Évidemment quelques exceptions peuvent venir confirmer la règle, en notant néanmoins que lorsque, par exemple, un élu de la majorité a voté « contre », cela s’est le plus souvent terminé par un retrait de délégation et un article réjoui, car croustillant, dans la presse locale.
C’est donc avec un plaisir non dissimulé que j’ai vécu mes premiers conseils communautaires, en assistant à des débats où, s’il existait une opposition, elle était liée au sujet même du débat et pas à un parti pris partisan. Elle était de circonstance, pas de principe. Ainsi, majorité et opposition étaient devenues des concepts fluctuant au gré des délibérations, le vote étant à reconquérir chaque fois. Et après tout, n’est-ce pas une bonne chose ? Notons aussi que, dans la plupart des cas, l’unanimité se faisait. Oui, j’ai très souvent vu planer sur les échanges l’ombre plutôt bienveillante de l’intérêt général ; celle-ci faisant, qui plus est, fuir celle des égocentrés seuls intérêts municipaux. Et je n’ai jamais perçu cette recherche du consensus ou du compromis comme un vulgaire et calculé « troc » entre élus.
Et depuis 2014, les clivages municipaux ayant été importés dans l’intercommunalité, les jeux claniques sont apparus logiquement dans les EPCI. Des sujets purement intercommunaux ont alors pu n’être analysés que sous l’unique prisme communal, amenant les contre, comme les pour, à se croire dans leur conseil municipal, au plus grand désespoir des élus des petites communes qui trouvaient le temps de ces joutes verbales bien long, et principalement incongru car ne concernant en réalité que la seule ville-centre dans la plupart des cas.
Mais le point positif, évidemment, est d’avoir peut-être permis aux électeurs, il y a six ans et pour la première fois, de s’apercevoir que, désormais, leur vie quotidienne locale était certes gérée en partie par leur commune, mais aussi, et pour quasiment la France entière, par une intercommunalité englobant de plus en plus de compétences et ayant intégré, par fusion, un très grand nombre des fonctionnaires anciennement municipaux.
« Comment ça, c’est pas le maire qui décide ? »
Les 15 et 22 mars 2020, nous irons donc voter. Enfin en principe. Nous irons choisir qui conduira le destin de notre commune pendant six ans. Nous accorderons notre confiance à la liste qui aura le projet qui nous séduira le plus ou, à défaut, celui qui nous rebutera le moins. Nous donnerons les clés à celle ou à celui qui semblera avoir compris nos attentes, pour nous et nos usages particuliers, comme pour ce que l’on pense être le bien commun. Mais nous allons à grands pas vers de sévères déconvenues si nous ne regardons pas la seconde liste sur notre bulletin de vote et si nous persistons à croire que les édiles municipaux ont les pleins pouvoirs sur tous les sujets. Et notamment sur ceux qui concernent des thématiques on ne peut plus actuelles et on ne peut plus d’intérêt général : nouvelles formes de déplacements, transports en commun, environnement, gestion de l’eau, gestion et valorisation des déchets, énergies renouvelables, soutien à de nouvelles formes d’économie (de l’économie circulaire à l’ESS), emploi, espaces verts, propreté, etc., pour ne citer que cela. Pour le dire autrement, si nous n’allons pas lire tout ce qui concerne l’intercommunalité dans les professions de foi, on va passer à côté de quelque chose qui pourrait ressembler à l’essentiel. Une première question se pose alors : les projets des candidates et candidats vont-ils évoquer l’intercommunalité ? Puis vient une seconde, pourquoi ce silence (en mode « je sifflote et je regarde ailleurs ») sur l’intercommunalité ?
« Oh la la, Maâme Michu elle va pas comprendre ! »
J’ai tenté de pointer les responsabilités qu’auraient communes et intercos dans cet immense flou artistique. Mais plus j’avançais dans mes réflexions, plus l’ensemble me paraissait complexe. J’ai donc pris le parti de m’arrêter sur deux éléments, et seulement sous forme d’hypothèses.
La première : et si communes et EPCI prenaient un tantinet les citoyennes et les citoyens pour ce qu’ils ne sont pas ? En un mot : des personnes peu intéressées par ces sujets, et peu aptes à saisir toutes les finesses et la complexité de notre organisation territoriale ! Sans doute, certains habitants continuent-ils à venir en mairie même pour des sujets intercommunaux. Et puis, là aussi, sans doute à force de leur présenter l’interco comme une technostructure, tendance « institutions européennes », qu’il valait mieux ne pas trop fréquenter, a-t-on fait regarder ailleurs.
La seconde : et si ce grand vide arrangeait tout le monde ? Les communes, qui pourraient alors continuer à laisser croire qu’elles gèrent tout en parfaite autonomie. Les EPCI, qui constateraient que, oui, pour vivre heureux, vivons cachés !
Mais, et même si ces hypothèses ne sont pas totalement opérantes, le constat un peu glaçant c’est que, si villes et intercos pensent sortir gagnantes, il y a néanmoins de grands perdants dans cette histoire : les habitants. À vouloir les maintenir, mais pour leur bien dit-on (« Personne, Maâme Michu en tout premier lieu, ne comprend rien à rien, l’interco c’est trop compliqué, il vaut mieux faire simple au risque du simplisme »), à l’écart de ces enjeux, on les enfonce dans l’ignorance. Comme si, ayant échoué à imaginer les mots et les méthodes adéquats, on tentait de présenter cet infini renoncement comme une tactique adaptée au supposé niveau moyen du QI des électrices et des électeurs ?
À quoi sert-il de développer la concertation à l’échelle communale si les décisions sont prises ailleurs ?
Dans un article du Monde (8 février 2020), sous le titre « L’intercommunalité, “oubliée” de la transition démocratique », on peut lire : « À quoi sert-il de développer la concertation à l’échelle communale si les décisions sont prises ailleurs (dans les intercommunalités – ndlr) ? » Cet article faisant référence à un éditorial publié sur le site de l’Institution de la concertation et de la participation citoyenne (ICPC).
La conclusion du texte est celle-ci : « Des mouvements contradictoires sont, en effet, à l’œuvre : si la démocratie communale est plébiscitée, l’échelle intercommunale est, elle, négligée. Les menaces qui ont pesé récemment sur les conseils de développement, instances de concertation intercommunales, en sont l’illustration. Certes perfectibles, ils sont l’un des seuls lieux de mise en débat et de prospective des politiques publiques à cette échelle de territoire. Ce mouvement est paradoxal compte tenu de la “révolution” des modes du scrutin des représentants communautaires. De plus, avec le gain de compétences des intercommunalités, les marges de manœuvre des communes sur leur territoire se restreignent. Le piège serait donc que la transition démocratique concerne seulement un niveau où le pouvoir recule, créant un hiatus entre les lieux où l’on débat et ceux où l’on décide. »
Pas mieux ! Surtout si l’on estime que, ce n’est pas mon avis mais il convient de tolérer les controverses, et je reprends l’article du Monde citant le livre La Politique confisquée de David Guéranger et Fabien Desage, « l’intercommunalité a “recentré et opacifié le pouvoir municipal, car elle fonctionne comme un club de maires”, ce qui tend à “exclure les autres acteurs : élus des conseils municipaux, militants politiques, citoyens…” » Les 15 et 22 mars 2020, citoyennes et citoyens auront les moyens d’entrer dans ce jeu. Il faut absolument leur redire, non ? Et que l’on se comprenne bien, il ne s’agit pas de présenter absolument l’intercommunalité comme le nec plus ultra ou les villes comme le comble de la ringardise, il s’agit juste d’éclairer et d’informer complètement électrices et électeurs. En attendant, sous ce lien, le kit mis à disposition par l’AdCF.