Mea culpa et autres actes de contritions
« Désespérer des autres, c’est se désespérer soi-même ». Je ne sais plus qui a dit cela. Mais j’y repense depuis le dernier Cap’Com. En effet, à l’occasion du retour sur les 30 ans du Forum, nous en sommes venus à évoquer les « gilets jaunes » et, sincèrement, à nous demander si en plus des ateliers de formation à la lutte contre les stéréotypes de genres, il ne convenait pas d’en programmer de nouveaux, cette fois à l’encontre des stéréotypes de classes.
Par Marc Thébault
En effet, s’il est reproché à notre classe politique dirigeante de se laisser piéger par leur « inconscient de classe » - nettement renforcé par un corporatisme lié aux même cursus universitaires - leur faisant porter sur le monde un regard unique et réducteur, car réduit à leur seule perception, à leur seul point de vue (en un mot : ne voir que le monde qu’à leur image), à leur seule trajectoire personnelle (envisagée alors comme l’unique référence), les communicantes et communicants du secteur public ne sont-ils pas frappés de la même malédiction de caste ?
Les communicant.es du public ne sont-elles ou ils pas un peu trop promptes et prompts à trier un peu vite entre le bon grain et l’ivraie, avec un rien de « si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous » ?
Alors qu’on attend d’eux de réelles dispositions pour observer le monde avec les yeux des autres, une réelle empathie, en tous les cas une vraie capacité à envisager sans jugement des points de vues tiers, ne sont-elles ou ils pas un peu trop promptes et prompts à trier un peu vite entre le bon grain et l’ivraie, avec un rien de « si tu n’es pas avec nous, tu es contre nous » ?
Toute autre considération mise à part et en dehors de toute actualité brûlante, que celle ou celui qui n’a pas, en première intention, porter un jugement expéditif sur le phénomène « gilets jaunes », assimilant d’emblée ses adeptes à un conglomérat de « beaufs », à l’analyse politique proche d’un joueur de PMU après son dixième Ricard, et composant sans rechigner avec racisme, sexisme, complots et diverses idées extrêmes, nous jette le premier pavé.
Que l’on ne se méprenne pas. Il n’est pas question d’angélisme et de bonne conscience. Il n’est pas non plus question de nier des dérives. Il n’est surtout pas question de justifier, il n’est question que de comprendre. Pour cela, ma seule interrogation est : n’est-ce pas une faute professionnelle que de se laisser piéger par nos mécanismes de pensée et de perception et, ainsi, de balayer d’un revers de main ce qui nous parait au mieux hors de propos, au pire pas digne d’être souligné ?
Et si nous profitions alors de cette situation pour nous interroger sur nos pratiques habituelles, hors du phénomène clairement exceptionnel que nous vivons ? Dans la vie réputée normale, c’est au quotidien que nous pouvons nous réinterroger et, pourquoi pas, confesser quelques fautes. Je vous ouvre la voie …
Moi le premier, je veux dire aux commerçants que j’ai si souvent fréquenté en réunion publique que je leur présente mes excuses pour n’avoir cru déceler dans leurs postures que de l’individualisme quand ils militaient pour du stationnement devant leur boutique et que je le traduisais comme la seule volonté d’avoir de quoi se garer eux-mêmes.
À toutes celles et ceux dont je n’ai retenu que les fautes de français et pas le fond de leurs propos et que j’ai placé illico au rang de « buses microcéphales » : pardon !
Les mêmes excuses aux défenseurs de la voiture contre les vélos et aux défenseurs du vélo contre les voitures ; aux fans du compostage et à ceux de la collecte des déchets à domicile et tous les jours s’il vous plaît ; aux pro-parkings et aux pro « arbres » (immédiatement étiquetés « zadistes ») ; aux « pro-écologie et autre amap et économie sociale » (mais pourquoi sont-ils tous habillés comme des traîne-savates aussi ?) et pros du tout libéral, etc. Et, en gros, à toutes celles et ceux dont je n’ai retenu que les fautes de français et pas le fond de leurs propos et que j’ai placé illico au rang de « buses microcéphales » (pour rester poli), parce qu’ils n’adhéraient pas immédiatement à tel ou tel projet d’aménagement de leur quartier. En somme à tous celles et ceux que j’estimais exclusivement centrés sur leurs seuls intérêts, inaptes au moindre changement et à la moindre innovation, et tant pis pour l’intérêt de toute la communauté et que j’ai appelé globalement « les gens », niant ainsi leur identité propre et leur droit à penser autrement.
Au passage, pardon à la fameuse « Mme Michu », que je n’ai considéré que comme une administrée égocentrée et légèrement sotte, incapable de comprendre la complexité des sujets publics, et me contraignant alors à rédiger les articles du magazine en ne piochant que dans un lexique d’enfant retardé de moins de 6 ans.
Des excuses aussi pour les prestataires, exclusivement vus comme des marchands de soupe ou de solutions copiées/collées, et considérés comme ne lorgnant que sur le volume supposé du budget communication, un filet de salive pavlovien au coin des lèvres.
Idem pour les « cultureux » que j’ai trop catalogué comme hors du monde et exclusivement soucieux de l’intérêt de leur seule structure élitiste versus l’intérêt général. Et je tairais mes pensées vis-à-vis de leurs propres pratiques communicantes, réputées exemptées des règles de communication pourtant fixées pour tout le reste de la collectivité. Pareil pour les sportifs, si rapides à stigmatiser les autres disciplines, les désignant comme responsables de la baisse de leur subvention, et par-dessus le marché adeptes du Comic sans MS pour leurs affiches, réalisées sur Excel, qu’il faut maintenant diffuser sur le web.
Et que dire à mes collègues que j’ai parfois estimés si lourdingues lorsque j’avais l’impression qu’ils voulaient m’apprendre, à moi l’expert, à faire mon métier. Et, pendant que j’y suis, à vous, les informaticiens de la DSI qui m’ont donné à croire qu’un bulot déficient mental comprendrait mieux que vous ma demande d’accès aux réseaux sociaux : pardon ! À vous du juridique, des marchés publics ou des finances, dont je n’ai cru voir qu’une rigidité mentale à côté de laquelle celle d’un cadavre ressemblerait à une compote de figues molles : pardon aussi.
Pardon pour tous ces instants où j’ai oublié que la communication devait d’abord être une arme de construction massive. Pardon quand j’ai trop parlé et omis d’écouter.
Pour tous les neveux, nièces, enfants « de … », conjoints « de … », qui ont plus souvent qu’à leur tour, via intermédiaires et au nom de leur grande expérience dans un secteur similaire au mien, donné un avis critique sur mes réalisations et que j’ai envoyé brûler en Enfer : pardon.
Enfin, une dernière pensée pour ces élu.e.s qui ont, après leur passage dans mon bureau et leur partage (sans précautions oratoires, à ma décharge) de leur point de vue sur l’efficacité des actions de communication et leur coût, déclenché tellement de soupirs et de levers des yeux au ciel, pour ne citer que des réactions que je peux avouer publiquement.
Pardon, donc, pour tous ces instants où j’ai oublié que la communication devait d’abord être une arme de construction massive, sans distinction de rang social ou intellectuel, chaque membre de la communauté comptant, après tout, autant que son voisin, chacun faisant avec ses moyens à lui, du mieux possible sans doute, pour faire entendre sa voix au milieu du brouhaha institutionnel et dominant.
Pardon quand j’ai trop parlé et omis d’écouter. Pardon quand j’ai oublié que mon taff, certainement, était en très grande partie d’être attentif aux remontées du terrain, et de tout le terrain, et pas seulement celui des partisans, courtisans et autre membres d’un quelconque fan-club.
Une dernière fois, pardon quand j’ai commencé à désespérer des autres, niant de fait l’essence même de mon métier, craignant que « entendre » signifie « adhérer », pensant que je trahissais mon microcosme si j’alertais sur des avis « d’en bas » et divergents (peur de finir comme le messager de Marathon ?), et perdant de fait ma principale mission (créer et maintenir du lien), donc contribuant ainsi à couper, dramatiquement, collègues et élus de la vraie vie.
Au fait, on est bien d’accord que toute faute avouée, etc … N’est-ce pas ?
Illustration : Diocèse de Bordeaux.