« Nous devons défendre le modèle démocratique européen »
Après un Forum de la communication publique strasbourgeois qui s’est fait l’écho des enjeux territoriaux de l’Europe, Point commun a interrogé Raffaella De Marte, cheffe des services aux médias à la direction générale de la communication du Parlement européen, sur les rôles croisés des communicants à ces différentes échelles et sur les défis citoyens qui nous attendent.
Point commun : Vous êtes intervenue en plénière du Club des communicants européens sur les défis et les priorités en termes de communication pour l’Europe. Quelles sont les attentes de l’Europe sur ces sujets ?
Raffaella De Marte : On est dans un moment où de multiples crises touchent le continent européen. Elles se sont accentuées depuis l’agression russe en Ukraine et nous placent devant un important défi, pas seulement politique mais aussi de communication. Ce défi est celui de garder l’unité européenne et de préserver la possibilité de donner des réponses communes aux citoyens, qui sont de plus en plus inquiets. Nous avons des chiffres qui montrent que neuf citoyens sur dix sont préoccupés par l’inflation, le coût de la vie, les cours de l’énergie. Beaucoup d’entre eux voient l’Europe comme un échelon de réponse : par exemple, trois citoyens sur quatre approuvent le soutien de l’UE à l’Ukraine, et les sanctions vis-à-vis de la Russie.
Communiquer sur ce qui nous unit en tant qu'Européens en ce moment est plus important que jamais.
Nous, communicants, notre rôle est de ne pas alimenter la cacophonie et les discours qui nous divisent mais plutôt de mettre en avant la solidarité. En cette période perturbée, on doit éviter surtout de présenter l’Europe comme un bouc émissaire, ce serait grave et irresponsable. Communiquer sur ce qui nous unit en tant qu'Européens en ce moment est plus important que jamais.
Point commun : Pour renforcer ce lien, alimenter une relation avec les citoyens, quelles seraient les pistes ? Quelle vision défendez-vous ?
Raffaella De Marte : Je pense qu’aujourd’hui il y a très peu de gens qui remettent en question l’Union européenne en tant que telle. L’Union a prouvé que, dans les moments de crise (Brexit, Covid, guerre en Ukraine), la seule porte de sortie c’est d’être unis. Même les plus sceptiques n’osent pas remettre en cause l’appartenance à l’Union européenne (cela fait consensus chez les trois quarts des citoyens). Mais il nous faut expliquer quel modèle d’Europe, quelles caractéristiques, quels choix ! Il est nécessaire de faire la pédagogie des enjeux sur lesquels l’Europe peut se positionner, dans un sens ou dans l’autre.
On entend, par exemple, que le modèle démocratique qui est le nôtre pourrait s’avérer, dans les moments de crise, trop complexe. C’est un discours assez courant qui utilise des idées reçues et des présupposés pour abattre la construction européenne et la réalité du fonctionnement dans l’Union. Mais c’est faux. C’est au contraire la qualité de notre fonctionnement démocratique, notre pluralité, notre diversité, qui donnent à l’Europe sa force et sa pertinence. Nous devons défendre la qualité de notre modèle démocratique, prouver que, quand c’est nécessaire, il permet de prendre des décisions rapides. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas envisager des réformes : par exemple le Parlement européen propose une révision des traités européens pour rendre notre démocratie européenne plus agile et plus transparente.
Notre modèle démocratique se base sur la participation, le soutien et l’engagement des citoyens européens. Nous sommes donc impliqués et nous avons un pouvoir d’agir, comme communicants, et même le devoir d’expliquer et d'engager les citoyens. Je vois là un enjeu majeur des prochaines élections européennes.
Notre rôle est d’aider les communicants et les institutions locales à créer les ponts entre l’Europe et les territoires.
Point commun : Quel pourrait être le rôle de la communication publique dans les territoires par rapport à ces enjeux ?
Raffaella De Marte : Comme institution, nous avons un besoin criant de nous associer aux territoires. Car communiquer l’Europe depuis Bruxelles, ce n’est pas suffisant. Cela ne pénètre pas suffisamment les opinions publiques, qui restent profondément nationales. Nous ne pouvons pas arriver à faire l’actualité nous-mêmes, sauf dans des moments clés. Nous devons donc rentrer les débats nationaux et locaux. Notre rôle est, dans ce cadre, d’aider les communicants et les institutions locales à créer les ponts entre l’Europe et les territoires, à utiliser des outils optiques qui permettent de voir à la fois les décisions à l’échelle européenne et leur impact local.
Je coordonne 52 attachés de presse dans les pays membres, et leur rôle est de porter les thèmes européens dans le débat public national. Naturellement, nous ne pouvons pas faire cela seuls. Nous n’avons pas l’ambition de délivrer une communication à chaque citoyen dans toute l’Europe, il nous faut donc activer des intermédiaires dans les différents pays, dans les régions ou même dans les différentes catégories socioprofessionnelles. Pour nous aider dans cette mission, nous avons l’avantage d’avoir les voix et les visages des députés européens élus. C’est là où nous pouvons développer des synergies et des relations croisées avec les communicants des territoires.
Pour mener son action de relations de presse, le Parlement européen s’adresse aussi aux influenceurs
Comment avez-vous intégré ces nouveaux acteurs de l’espace médiatique ?
Déjà, nous avons depuis les dernières élections européennes cassé la frontière artificielle entre médias traditionnels et créateurs de contenu : ils peuvent accéder au Parlement européen et sont régulièrement invités par nos services à suivre l’actualité du Parlement européen.
Aussi, nous avons réalisé des projets avec plusieurs d’entre eux via nos bureaux d’information. Par exemple en France, nous avons travaillé avec Jean Massiet, Gaspard G et HugoDécrypte pour informer sur le débat sur l’état de l’Union, et d’autres sujets.
Comment vous adressez-vous à eux ? Pour quels résultats ?
Nous leur parlons comme on parle à des partenaires importants : d’ailleurs un d’entre eux récemment nous a dit qu’il souhaiterait que les institutions de son pays puissent venir à eux avec autant de simplicité ! Nous leur donnons accès à nos ressources en ligne, à nos studios et à nos facilités audiovisuelles, et organisons des visites ad hoc pour eux. Nous les impliquons dans des activités de communication autant dans les pays qu'à Bruxelles et Strasbourg. Par exemple en septembre un groupe d’influenceurs de toute l'Europe a rencontré notre présidente, Roberta Metsola, la présidente de la Commission [Ursula von der Leyen] et plusieurs députés européens à Strasbourg. La prochaine occasion sera le prix Sakharov en décembre. Nous avons une seule ligne rouge importante : nous ne payons pas pour la création de contenu. Cela décrédibiliserait la voix de l’institution.
D’ailleurs, les médias dits « traditionnels » sont également en train de chercher leur audience et leur voix sur les canaux sociaux, en particulier ceux dédiés aux plus jeunes comme TikTok ou Instagram : nous voulons que leur travail couvre aussi les sujets européens. Ce sera un des axes principaux dans notre stratégie de communication vis-à-vis des élections européennes 2024.