Nous étions jeunes et cons, mais larges d'épaules !
L’actualité récente a mis en lumière des éléments du passé d’une tête de liste aux européennes, se focalisant sur ce qui a été lu comme des choix politiques douteux, et qui se sont déroulés il y a quarante ans. Soit dit en passant, je ne me souviens pas d’autant d’effroi face à d’autres passés estimés de nos jours comme « extrémistes », je pense par exemple à Daniel Cohn-Bendit dont on ne peut pas dire qu’il était membre des jeunes centristes catholiques en 1968.
Par Marc Thébault
L’objectif de ce billet, qui pour le coup va être conforme au nom de sa rubrique, « opinion », n’est pas de défendre coûte que coûte la tête de liste en question. Son sort, en réalité, m’importe assez peu, pour parler franchement. En revanche, je crois que c’est l’occasion de réfléchir aux notions « d’erreurs de jeunesse », de droit ou non « à l’oubli ». En somme de se demander si l’être humain est capable ou non de changer au long de sa vie et si le jugement final doit se faire au point de départ, ou au point d’arrivée, ou bien encore selon le cheminement ?
J’ai assez régulièrement raconté des morceaux de ma vie ici, non pas par souhait thérapeutique – mais qui sait ? –, mais dans un objectif pédagogique. En tous les cas pour tenter d’éclairer mes propos. Ainsi, je souhaite aujourd’hui faire quelques révélations sur ma propre jeunesse. En effet, je me demande chaque fois ce qu’il adviendrait si on me jaugeait, en 2019, vis-à-vis de mes choix et de mes positionnements d’il y a quarante ans… Prenons les devants…
Fils d’engagé volontaire (1939-1945) décoré, vénérant de Gaulle et anticommuniste primaire (mais à l’époque l’URSS et le mur de Berlin existaient encore et le monde paraissait bien simple, gentils et méchants étant clairement identifiés), élevé dans un milieu plutôt bourgeois, j’ai certainement d’abord cédé au suivisme politique (j’ai fait ma crise d’ado à 30 ans !), même si en réalité ma conscience politique n’était pas si développée que cela. Et puis, à 17 ans, je fais LA rencontre qui va changer ma vie : l’animation socioculturelle et l’encadrement de stages préparant au BAFA. Et cela, dans un nouvel organisme de formation qui avait vu le jour en 1975, à l’initiative de celui qui va devenir plus tard le maire d’Issy-les-Moulineaux, André Santini. Cet organisme s’appelait l’IFAC : Institut de formation d’animateurs de collectivités. Ses parti pris : être totalement orienté vers les collectivités territoriales et leurs besoins en animation, et se positionner clairement comme « apolitique ». La promesse étant de former des « techniciens » de l’animation et non des « militants ». Dans le contexte de l’époque et face aux autres organismes existants qui, la plupart du temps, avaient, eux, fait le choix d’un positionnement à gauche, voire très à gauche, cette neutralité affichée a été traduite immédiatement en « organisme de droite », avec les surnoms qui vont avec : « IFAF », « IFACHO », etc.
Nous étions jeunes et larges d'épaules ; Bandits joyeux, insolents et drôles ; On attendait que la mort nous frôle
Mais le coup de génie d’André Santini ne résidait pas tant dans le positionnement de l’IFAC que dans sa volonté de recruter des formateurs venant de tous les horizons et représentant quasiment tout l’éventail politique, de l’extrême gauche aux royalistes, seule l’extrême droite brune étant absente, il est toujours bon de se fixer quelques limites. Et quand on œuvre au service des autres, c’est un tantinet compliqué de n’être animé que par… la haine des autres ! Toutefois, les membres de cette étrange équipe étaient tous d’accord pour mettre de côté leurs propres convictions et n’en partager et n’en suivre qu’une seule : les animateurs devaient faire en sorte de former de futurs citoyens aptes à réfléchir par eux-mêmes. Il n’a donc jamais été question d‘imposer des vérités et des réponses toutes faites, mais plutôt de travailler à une pédagogie mettant les enfants ou les adolescents en situation de vivre des expériences leur permettant de forger leurs propres choix, leurs propres idées. Le seul but : travailler à l’autonomie de l’Autre, pas à son endoctrinement.
Pourquoi vous raconter tout cela ? Pour dire que, au fil des années que j’ai passées à l’IFAC, j’ai côtoyé toutes les opinions ou presque, j’ai travaillé et échangé avec de nombreuses personnes, et souvent avec celles qui avaient des positions idéologiques plus affirmées et plus argumentées que les miennes. Parfois des positions tenant très certainement d’une forme de provocation ou de rébellion, postures propres à l’adolescence (entre 18 et 25 ans, nous n’étions pas tout à fait adultes) se nourrissant, en attendant que la mort nous frôle, dirait Bernard, de chimères et d’imageries utopiques, pas forcément de réalités conventionnelles. J’ai donc beaucoup bougé dans ma tête, grâce à ces personnes. J’ai aussi constaté que chacun revendiquait d’être assez « extrême » ; nous étions trop jeunes pour mai 68, mais il ferait bon voir qu’on ne puisse pas mettre notre grain de sel dans le biniou ! D’ailleurs, lors de nos soirées privées – souvent arrosées, je l’avoue –, les railleries se portaient volontiers vers celles et ceux qui déclaraient occuper le centre de l’échiquier politique ; dans notre monde à nous, vu de notre fenêtre, nous étions persuadés qu’à 20 ans c’est un contresens d’être « centriste », qu’il s’agisse de centre droit ou de centre gauche : la pire chose au monde, à nos yeux, étant de n’avoir « ni goût ni mou » ! La volonté commune résidait dans le fait d’assumer d’être jeunes, donc porteurs de positions bien à droite ou bien à gauche, chacun ayant conscience que le temps et le surmoi feraient leur œuvre et permettraient à chacune et à chacun, de gré ou de force, de « mettre de l’eau dans son vin ». Et, comme l’ami Jojo ou l’ami Pierre de Brel, de devenir à notre tour des petits-bourgeois conformistes et aptes, désormais, à ne regarder que vers les nuances de gris, et si possible les plus centrales. Ainsi, pourrais-je partager avec vous aujourd’hui des choses dites ou pensées il y a quarante ans ? Clairement non, même si je reste fidèle à quelques principes fondamentaux mais qui n’ont rien à voir avec un quelconque programme électoral.
Si on ne fait pas de conneries à 20 ans, on ne les fera jamais. Si on est « raisonnables » jeunes, quelles sortes de vieux allons-nous donner ?
Tout cela pour dire que si on ne fait pas de conneries à 20 ans, bourrés d’énergie et d’hormones, le ça freudien au taquet, on ne les fera jamais. Et on peut remplacer « faire » par : penser, dire, déclamer, affirmer, souhaiter… Si on est « raisonnables » jeunes, quelles sortes de vieux allons-nous donner ? Parce que, et chaque rencontre me le confirme, oui le temps fait son office. Oui, la vie nous amène bon gré mal gré à être plus calmes, plus raisonnés, plus nuancés. Oui, la sagesse, si tant est qu’elle existe vraiment, est une histoire de maturité et d’accumulation d’expériences qui, la plupart du temps, nous font changer, parfois profondément, et le plus souvent en nous guidant vers plus d‘ouverture d’esprit et plus de tolérance. Désolé pour Balavoine, mais la vie nous apprend vraiment des trucs, sous réserve d’être attentif à ses leçons et de ne jamais être emmuré dans ses certitudes. Lorsque je travaillais auprès de jeunes, l’ouverture à l’Autre était une évidence. Travaillant dans la communication, métier où les rencontres humaines sont innombrables et où la confiance en l’Autre est la condition sine qua non d’un échange positif, il m’apparaît que cela perdure.
Les errements de jeunesse ne sont donc pas des accidents dont il faudrait s’excuser en permanence. Le droit à l’erreur doit donc être plaidé sans cesse. Et avec lui le droit à l’oubli. Ou, du moins, le droit à la compréhension, au moins à l’attention du parcours emprunté. Peut-être le droit au bénéfice du doute.
Certes, hypothèse que l’on me glisse dans l’oreillette, il se peut qu’un jeune con devienne… un vieux con. Donc que rien ne change. Que les croyances se renforcent et que, contrairement à ce qui est annoncé plus haut, cela s’aggrave avec l’âge ! Mais ce sera l’objet d’un prochain billet !