Nouveau mandat, les communicants au défi de la légitimation
Tout a été dit sur les élections municipales 2020… et évidemment par Cap'Com dès le lendemain du scrutin. Organisées en dépit du bon sens par un gouvernement qui avait pourtant désigné les maires comme remèdes à la fièvre des gilets jaunes, elles ont porté aux responsabilités des équipes historiquement mal élues, confrontées à des enjeux paradoxalement considérables : crise sanitaire, urgence écologique, récession économique, tensions sécuritaires, montée inexorable des populismes et effondrement démocratique... N’en jetez plus !!
Par Laurent Piquard, ancien directeur de cabinet, ville de Nancy.
Tours, Besançon, Montpellier, Rouen, Bordeaux, Metz, Annecy, Lyon, Villeurbanne, Orléans, Strasbourg, Aubervilliers, Lorient, Bourges… de tous bords (pas seulement écolos !), de nouveaux maires ont été élu.e.s avec une abstention moyenne proche de 60 %, soit une participation d’à peine 20 % des inscrits. La démocratie s’est proprement « éclipsée », fonctionnant en mode mineur et dégradé.
100 jours plus tard, si les équipes sont entrées dans le dur, la question flotte encore dans les couloirs. Qui est responsable de ce fiasco ? La pandémie l’explique-t-elle suffisamment ? Ou faut-il voir dans ce scrutin frappé d’indifférence une nouvelle preuve de la défiance citoyenne ? Surtout, comment reprendre le fil du dialogue, de l’information, de la communication publique ? Comment envisager son action, ne sachant que trop bien que c’est la dircom que l’on désignera comme première responsable d’une politique mal perçue ?
Dans ce brouillard qui enserre le quotidien de nombreux communicant.e.s – sans parler de la covid ni du mercato des dircoms ! – et qui s’ajoute aux autres grands défis contemporains du métier – transformation digitale en tête –, tout le monde se creuse la tête pour structurer au mieux le travail. Pour contribuer à la réflexion collective, trois axes de travail peuvent être explorés par les équipes. Leur objectif commun : la légitimation des équipes et des projets.
Des moyens pour la com !
Traditionnellement, un début de cycle municipal est l’occasion d’un audit de la situation existante, suivi d’une définition de grands objectifs déclinés en actions futures. À budget constant, of course. Cette fois, c’est différent. Vraiment. L’orthodoxie budgétaire a beau faire partie du quotidien des dircoms, la situation politique impose dans bien des villes d’adapter les moyens des directions de la com, qu’ils soient humains ou financiers. Le couple défiance citoyenne/transformation numérique impose de donner du muscle à nos directions, avec des moyens en hausse dédiés aux compétences, à la formation, à la capacité de production de contenus. Aux DGS qui opposeront les célèbres « marges de manœuvre trop étroites » et demanderont de « faire avec l’existant », il faut montrer la nécessité absolue pour l’institution de conduire une médiation populaire inédite. Trop souvent perçue comme une dépense, la communication doit être enfin considérée comme un investissement. D’autant qu’il ne s’agit pas de financer de nouveaux gadgets, ni un accroissement mécanique de la surface de communication, mais bien de déployer des moyens adaptés pour combler ce manque jamais vu de légitimité. Cette hausse peut être fléchée sur les opérations les plus essentielles : soutien à la citoyenneté, renforcement de la participation dans les quartiers, concertation autour des grandes mesures écologiques impactant la vie quotidienne, aides à la formation, à l’activité économique, au tourisme.
Un grand plan « data » pour rattraper les moins de 35 ans
Après avoir fait des progrès spectaculaires ces dernières années sur leurs outils web (sites mobiles, portails de services, applications, réseaux sociaux, vidéos…), c’est encore dans le digital que les collectivités trouveront un vecteur capital de légitimation de leurs projets. D’autant, rappelons-le, qu’il est un outil d’information hégémonique pour les publics les plus éloignés du scrutin de mars et de juin, notamment les moins de 35 ans. Souvent vécue comme une contrainte (obligation de créer des portails open data), portée par une autre direction, jugée comme abstraite et intrusive, ou envisagée comme un outil au seul service de la régulation des services ou de futures start-up, la gestion de la data est encore timide dans les collectivités. Si elle tend à être intégrée à la transition des systèmes d’information globaux, notamment avec la mise en place de centres de contacts et de plateformes de gestion de la relation citoyenne (GRC), elle gagnerait à devenir un outil central pour la dircom. Équipés de solutions simples de bases de données et de logiciels d’analyse, nous pourrions mieux cibler tous les contenus. Et inventer progressivement un lien entre l’institution et les moins de 35 ans. Cette collecte de données est indispensable pour notre démocratie, car cette tranche d’âge n’entrera a priori pas en politique par le magazine municipal… ni par la réunion de quartier.
Un décloisonnement dircom-élus
Pour combler ce trou de légitimité, enfin, les directions de la communication doivent embrasser leur dimension politique. C’est un sujet qui anime souvent et historiquement la profession. Souvent pris en charge par la direction de service, incluant parfois un.e attaché.e de presse, le lien avec les élus gagnerait à s’étendre à toute l’équipe car légitimer une action, qui sera peut-être parfois capitale pour une commune (cf. les projets écologiques et leur impact sur l’aménagement du territoire), nécessite un approfondissement intellectuel, pratique, technique, du dialogue entre les communicants et leurs élus. Avec ces municipales, et sans rien négliger de l’impact de la covid, tout le monde est désormais dans le même bateau, menacé par un effondrement civique qui ne ralentit pas.
Dans les centaines de villes de France ayant vécu un changement d’équipe, la circonspection qui menace la politique municipale nécessite un bon coup d’accélérateur en matière de com. Plus encore qu’un service, la com est une nécessité publique.