Pages de com : « Algocratie. Vivre libre à l’heure des algorithmes » d’Arthur Grimonpont
« L’histoire de l’humanité ressemble de plus en plus à une course entre l’éducation et la catastrophe. » En mettant en exergue cette citation datant de 1920 de l’écrivain britannique H.G. Wells, Arthur Grimonpont résume bien la vocation de son ouvrage : expliquer le paradoxe entre, d’une part, le formidable niveau d’éducation de nos sociétés contemporaines ainsi que les grandes avancées scientifiques du siècle écoulé ; et, d’autre part, nos difficultés à appréhender – à nous représenter – la réalité écologique et à coopérer pour résoudre les défis collectifs d’aujourd’hui.
Partant de ce constat, l’auteur montre le rôle considérable que jouent les algorithmes des réseaux sociaux dans la construction de notre représentation du monde. Bien qu’alarmant, son discours n’est pas un réquisitoire sans nuance. Au contraire. Toute une partie de l’ouvrage est consacrée à présenter un cadre général pouvant être adopté pour mettre en œuvre un système de régulation européen et, ainsi, mieux vivre avec les réseaux sociaux. Un ouvrage qui apporte matière à réflexion et propositions de solutions concrètes.
Arthur Grimonpont est ingénieur et consultant spécialisé dans les enjeux de transition face aux crises écologiques. En 2019, il co-fonde l’association Les Greniers de l’Abondance et rejoint l’École urbaine de Lyon. Il s’intéresse notamment au rôle des réseaux sociaux et de leurs algorithmes de recommandation dans la propagation de l’information et dans la formation des opinions publiques. Algocratie. Vivre libre à l’heure des algorithmes est préfacé par Jean-Marc Jancovici.
« Des armes de déstabilisation sociale dont l’efficacité n’est plus à prouver »
Algocratie. Vivre libre à l’heure des algorithmes est un ouvrage rigoureux, documenté et très accessible. Dans la continuité de certains travaux, comme ceux de Bruno Patino, Arthur Grimonpont alerte sur les effets délétères de l’économie de l’attention. Pour satisfaire leurs intérêts privés, les réseaux sociaux ont tous le même modèle économique qui consiste à capter notre temps d’attention et à le transformer en revenus publicitaires. Si cette économie de l’attention préexiste aux réseaux sociaux, la nouveauté – et l’enjeu – est la capacité hors du commun des plateformes numériques à extraire ce temps d’attention. Or, pour capter notre attention, les algorithmes de recommandation de contenus utilisent nos biais cognitifs. Leur objectif : agir en « sucreries mentales ». En sélectionnant parmi des milliards de contenus celui qui a le plus de chances de retenir notre attention, ce sont nos pulsions instantanées qui sont sollicitées.
Les pulsions déchaînent les passions ; les passions éclipsent la raison ; les croyances et les superstitions remettent en cause les connaissances scientifiques. Notre socle de valeurs communes s’effrite, et la distraction divertit notre attention des priorités collectives.
Au-delà de l’explication pédagogique et documentée de l’économie de l’attention et des algorithmes de recommandation, l’auteur pose les jalons d’une réflexion constructive sur le fonctionnement des bulles informationnelles, des complots, de la désinformation et de la montée de la haine en ligne. Des éléments qui intéresseront les professionnels qui se posent la question de la réhabilitation de la parole publique et de l’éthique des pratiques sur les réseaux sociaux.
Vers une algo-démocratie
En montrant que les effets négatifs des réseaux sociaux ne sont pas le fruit de stratégies humaines machiavéliques, mais bel et bien les conséquences d’un véritable modèle économique fondé sur la captation de notre temps d’attention, l’ouvrage pose le cadre d’une régulation possible. Pour changer la donne, c’est donc au « méta-problème » qu’il faut s’attaquer : l’extraction du temps d’attention. Objet des vœux de nombreuses personnalités issues des sphères de l’économie numérique, de la recherche et des politiques publiques, seule une régulation étatique pourrait avoir des effets efficaces sur ce marché pour lequel les plateformes sociales sont en situation de monopole. L’ouvrage quant à lui va plus loin en exposant pourquoi « l’Union européenne doit mener la danse » et en proposant une feuille de route concrète ainsi qu’une liste détaillée des régulations envisageables.
Dans cet ouvrage, Arthur Grimonpont appelle à « reprendre le contrôle démocratique de nos places publiques numériques ». La fermeture des comptes de Donald Trump, en janvier 2021, par les plateformes sociales était-elle la bonne solution face à la montée de la violence en ligne ? Quels impacts sur la liberté d’expression et nos sociétés démocratiques ? Un livre à mettre entre les mains de celles et ceux qui souhaitent alimenter leurs réflexions sur la place et le rôle des plateformes sociales dans nos démocraties.
Algocratie. Vivre libre à l’heure des algorithmes
Arthur Grimonpont
Actes Sud
Octobre 2022
276 pages