Pages de com : « Les Mots immigrés » par Erik Orsenna et Bernard Cerquiglini
La langue française grandit et vit grâce à la diversité de ses cultures et de ses immigrations successives : c'est le propos de ce livre à la fois léger et solidement argumenté. Pour l’académicien et le linguiste, il est urgent que nous reconnaissions la vitalité de nos mots immigrés – toute notre culture, en fait – car notre langue est notre premier bien commun, socle de notre liberté.
Imaginons que les mots immigrés se mettent en grève, abusés par les discours identitaires et nationalistes en plein débat pré-présidentielle : avec les classiques invectives « horde de réfugiés », « insécurité générale », « zones de non-droit » qui les ont insultés. En réparation, l’AMI (Association des mots immigrés) se voit alors confier « une émission quotidienne de remerciement à tous ces mots venus d’ailleurs, de tout près ou de très loin ». Durant vingt minutes chaque jour avant le journal de 20 heures, les mots issus de nos héritages gaulois, romains, francs, arabes, italiens, anglais, hébreux, russes sont égrenés pour faire la démonstration de la richesse, la mixité et la puissance de notre langue française. L’émission est vite un succès d’audimat. Et puisque ce livre est une fable, il a forcément sa morale : une langue est vivante, la laisser mourir est un meurtre. Ou un asservissement aux puissants qui veulent imposer une langue mondiale, unique et oppressive. Il est vital de protéger la pluralité de nos langues.
Le conte est plaisant à lire. S’il traite d’une urgence, il le fait avec fantaisie. Les illustrations en couleur ajoutent légèreté et touches d’humour. Il est surtout solidement argumenté, tenu par l’académicien Erik Orsenna et le linguiste Bernard Cerquiglini, membre de l'inventif collectif OuLiPo et présentateur quotidien de Merci professeur sur TV5 Monde.
« Ces envahisseurs (latins ndlr) n’étaient pas fous. Sans attaquer ni interdire la langue gauloise, ils se contentèrent de rendre le latin désirable (…). Les élites gauloises n’ont pas tardé à l’apprendre, avides d’acquérir la citoyenneté romaine (…). Il faut dire que la qualité de leurs écoles impressionnait, et celle de leurs routes, et le confort de leurs villes où figurez-vous que l’eau potable circulait dans les canalisations enterrées. »
Et si l'utilisation dans nos supports de communication d'une langue vivante et riche était aussi le reflet de la qualité du service public que nous prônons ? Et si le communicant public était « investi » de la mission de rendre notre langue française désirable ?
Les Mots immigrés
Erik Orsenna en collaboration avec Bernard Cerquiglini. Illustré par François Maumont
Éditions Stock
Février 2022
132 pages