Peut-on diffuser son magazine territorial à partir de la liste électorale ?
La distribution d'un magazine territorial adressée à chaque citoyen à partir de la liste électorale est une solution qui représente des avantages mais dont les spécificités doivent être bien prises en compte. Faisons le point.
Les solutions adoptées par les collectivités locales pour distribuer leur magazine municipal sont diverses. Distribution non adressée par un prestataire, lieux de dépôt, envoi postal aux abonnés ou recours à la liste électorale.
Prendre en compte les spécificités de la liste électorale
La distribution adressée à chaque citoyen à partir de la liste électorale est une solution qui doit bien prendre en compte les spécificités de la liste électorale.
La liste électorale est loin de correspondre à celle des adresses des habitants de la collectivité. Elle ne comprend pas, bien évidemment, les non-électeurs, habitants qui n’ont pas le droit de vote. La part des non-électeurs dans la population totale d’une commune varie, selon les caractéristiques sociologiques du territoire, de moins de 20 % à plus de 50 %. À cela s’ajoutent les électeurs mal inscrits, qui représentent près de 20 % du corps électoral. Il s’agit d’électeurs qui restent inscrits dans la commune mais n’y habitent plus et d’habitants de la commune mais qui n'y sont pas inscrits.
Autre inconvénient de la liste électorale, elle comprend plusieurs destinataires pour une même adresse. Adresser plusieurs exemplaires à toutes les personnes habitant un même domicile, comme pour l'envoi des documents électoraux, pourrait apparaître comme un important gaspillage. Mais il existe des réponses : les opérateurs pourront apporter des solutions de tri et d’agrégation.
L’utilisation de la liste électorale, comme les autres solutions de distribution, n’est donc pas la panacée et nécessiterait d’être complétée par d’autres modes de distribution.
La question a été évoquée récemment lors de notre article précédent « Magazines : tourner la page du “toutes boîtes” ? ». Mais la plupart des dircoms qui ont évoqué ce sujet pensent que la distribution adressée à chaque citoyen à partir de la liste électorale est impossible pour des raisons réglementaires. Nous avons donc posé la question à une avocate, intervenante en droit de la communication publique : Rolande Placidi. Et ce qu’elle nous a répondu est surprenant : « C'est possible, mais à certaines conditions. » Voyons ses arguments.
Un document administratif particulier
Si l’accès aux documents administratifs s’organise autour des articles L. 300-1 et suivants du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA), il faut avoir à l’esprit que la liste électorale est un document particulier. Ainsi, le Code électoral pose des règles dérogatoires au droit commun pour assurer le droit d’accès à la liste électorale.
L’article L. 37 du Code électoral consacre le principe de la communication intégrale des listes électorales. Cette communication est garantie par la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). L’article L. 37 du Code électoral précise : tout électeur peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie ou des listes électorales des communes du département à la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial.
Tout candidat et tout parti ou groupement politique, tout électeur, agissant en son nom ou au nom d’une personne morale (Cada, 24 janvier 2019, n° 20190154) peut prendre communication et obtenir copie de la liste électorale de la commune à la mairie ou de l'ensemble des listes électorales des communes du département auprès de la préfecture, à la condition de s'engager à ne pas en faire un usage commercial. Une récente décision du Conseil d’État du 9 novembre 2022 (req. n° 4449863) rappelle ce principe et garantit un droit d’accès inhérent à la démocratie, et non seulement à l’élection.
Seul l’usage commercial est prohibé par le Conseil d’État (CE, 2 décembre 2016, n° 388979). La seule réserve à la communication des listes électorales est donc liée à l’utilisation qui en est faite. Ainsi, par différents avis, la Cada a précisé l’étendue de cette réserve, qui permet de s’opposer à la communication des listes électorales.
Selon la Cada, le caractère purement commercial ou non de l’usage s’apprécie au regard de l’objet de la réutilisation envisagée de l’activité dans laquelle elle s’inscrit (doivent être regardées comme purement commerciales : la commercialisation des données elles-mêmes, après retraitement ou non, ou leur utilisation dans le cadre d’une activité à but lucratif). Ainsi, la communication des listes électorales n’est pas communicable à un avocat pour appuyer un recours (Cada, n° 20100921), à des assureurs pour la recherche d’un bénéficiaire d’un contrat assurance vie s’inscrivant dans le cadre de leur activité commerciale (en dépit de l’intérêt général qui s’attache à ce que de tels contrats ne demeurent pas en déshérence) (Cada, n° 20160214), à des généalogistes professionnels, dès lors que l’emploi des listes électorales, qui facilite la recherche des héritiers d’une succession dans le cadre des contrats de révélation conclus par les généalogistes professionnels, participe nécessairement à l’exercice de l’activité de ces derniers, qui présente un but exclusivement lucratif (Cada, n° 20091074). Il appartient donc aux services concernés de bien vérifier les finalités de la demande de communication des listes électorales, quand bien même le demandeur s’engagerait à ne pas en faire un usage commercial.
Constituer un fichier de communication institutionnelle ?
Rolande Placidi précise : « La liste électorale sert pour la communication électorale. Mais, en dehors des élections, elle peut faire l'objet de réutilisations pour la communication municipale en temps ordinaire. Ainsi, sous réserve des règles applicables (encadrement des tris, information sur l'origine des informations utilisées…), un maire peut utiliser la liste électorale à des fins de communication institutionnelle ou municipale (vie de la commune, événements, journaux municipaux, etc.). »
Les électeurs ne peuvent s'opposer à la transmission des informations les concernant aux personnes prenant copie de la liste électorale : il est donc important que ces dernières respectent les droits de ceux auxquels elles s'adressent, en particulier leur droit à l'information et leur droit de s'opposer à figurer dans ce fichier de communication.
À ce sujet la Cnil présente l’ensemble des règles à appliquer ainsi que l’information obligatoire et les droits des personnes. Il n’est donc pas inimaginable que certaines communes, orphelines de leurs distributions « toutes boîtes », envisagent de produire un magazine de service public compatible avec une solution passant par la création d’un fichier de communication institutionnelle à partir de la liste électorale.