Pour un rapprochement avec le politique
Chers amis de Cap'Com, je vais vous parler de politique.
Non, ne fermez pas vos écrans !
Attendez.
Temps de lecture : 5 minutes.
Une session Facebook ou Twitter en moins, c’est pas la mort :-)
C’est parti.
Par Laurent Piquard
Conseiller auprès du Maire de Nancy
Je ne sais pas vous, mais pour ma part je n’ai pas souvenir d’une réunion, d’un événement Cap'Com, sans que la question de notre rapport aux élus et à la « politique », avec sa foutue capacité à empois(s)onner une conversation, ne s’invite à nos tables. Un grand classique ! Au fil du temps, ça fait même partie de l’ambiance, comme les ateliers retours d’expériences, le réseautage dans les couloirs, les retrouvailles joyeuses avec les collègues d’ailleurs, la soirée du mercredi et ses angoisses existentielles collectives : « mangera-t-on assez ? » et « y’aura-t-il encore à boire ? » !
Lyon 2018 n’a pas dérogé à la règle. Le lapin de Gérard Collomb, qu’on aurait bien entendu quand même, et surtout la rumeur absolument sonore des Gilets Jaunes - qu’on aurait presque crus avec nous (mais au fait, à bien y réfléchir, ne sommes nous pas tous un peu des Gilets Jaunes ?) - ont créé un contexte propice à un nouvel énoncé de ce que l’on peut appeler la « question politique », sur scène et dans nos conversations.
En fait, nous participons à l’expression politique mais n’en assumons pas le terme.
Cet énoncé, vous le connaissez, et je vais essayer de le formuler sans le trahir. Si j’en crois vos mots et mon expérience (dans l’administration puis dans un cabinet), nous sommes avant tout des pédagogues de l’action publique, garants du service et de sa continuité républicaine, producteurs de contenus objectifs, largement imperméables au discours politique. En fait, nous participons à l’expression politique mais n’en assumons pas le terme, et ce pour deux motifs qui souvent se cumulent : d’abord au titre du principe de neutralité qui figure dans les arrêtés de nomination de ceux qui sont fonctionnaires territoriaux, ensuite par conviction, car il existe dans les directions de la communication comme un code d’honneur, moral, non écrit, une sorte de ligne de conduite apolitique qui guide notre travail quotidien de manière à nous protéger d’une potentielle trahison du service public.
De ce fait, malgré les mots de certains orateurs de ce 30ème Forum, allant parfois jusqu’à rappeler que « tout acte de communication publique est politique » - ce que je partage -, la plupart d’entre nous, tous métiers et tous territoires confondus, revendiquent et cultivent ce positionnement à distance. Un positionnement qui se traduit d’ailleurs dans nos organisations : l’équipe en mode agence, le (la) dircom en mode « interlocuteur du pouvoir ».
Cette culture dépolitisée qui structure nos métiers a été objectivée par la plénière participative à laquelle nous avons participé le jeudi après le déjeuner. Dans une ambiance assez joyeuse, un mélange de digestion, de fatigue et de sentiment un peu cafardeux de fin de forum, nous étions appelés à définir les principes guidant l’action d’une dircom à l’horizon 2030. Sans surprise, les items les plus institutionnels l’ont emporté, confirmant notre tropisme : même si la France vit un nouvel épisode d’une crise politique en incubation depuis le début du siècle, crise qui finira bien par accoucher d’une nouvelle organisation institutionnelle et d’un possible meilleur partage des richesses, demain, nous demeurerons des pilotes, des créatifs, qui feront de la médiation et de l’information. Nous animerons le débat public en inventant des récits toujours plus qualitatifs, pour donner du sens et fabriquer briques à briques, sur un temps long, à force de patience et d’agilité, toujours plus compétents, cette citoyenneté disparue, que la modernité économiste a chassé des comportements. Comme si nous allions combler à nous seuls l’effondrement du politique qui s’accélère en ce moment.
Si d’un côté le politique est condamné à l’entre soi et à l’échec, si de l’autre les citoyens ne sont plus animés que par la défiance (la haine ?), les communicants publics, interfaces entre ces deux parties en guerre, peuvent-ils continuer d’œuvrer si loin du politique ?
C’est là que vient ma question, amis de Cap'Com, à laquelle je n’ai guère de réponse mais que je lance pour créer la discussion. Si d’un côté le politique est condamné à l’entre soi et à l’échec, si de l’autre les citoyens ne sont plus animés que par la défiance (la haine ?), les communicants publics, qui se définissent avec fierté comme des interfaces entre ces deux parties en guerre, peuvent-ils continuer d’œuvrer si loin du politique ? N’allons nous pas participer, sans nous en être rendu compte à temps, à la dislocation de notre démocratie chérie, par petits bouts, ça et là, une démocratie bientôt livrée au populisme (donc au simplisme et à la démagogie), aux utopies des assemblées citoyennes où la catharsis et le brouhaha remplacent la définition collective d’une stratégie, où le vote électronique est convoqué pour un oui pour un non, où l’émotion de l’instant remplace l’esprit de responsabilité ?
Parce qu’elle est une médiatrice et une pédagogue pétrie d’objectivité, parce qu’elle représente une parole fiable dans un contexte de suspicion et d’effondrement de la légitimité politique, la direction de la communication joue un rôle plus stratégique, plus essentiel, que jamais.
J’espère que vous n’avez pas mal aux yeux en lisant ces lignes. C’est vrai que je ne suis personne pour vous intimer quoique ce soit. En outre j’imagine volontiers votre passion de la neutralité, miroir de ce rejet du « politicien » qui traverse toute la société. Mais j’ai l’intuition que nous aurions intérêt à travailler davantage avec nos maires et nos présidents. En direct, décloisonné, ouvert.
Parce qu’elle est une médiatrice et une pédagogue pétrie d’objectivité, parce qu’elle représente une parole fiable dans un contexte de suspicion et d’effondrement de la légitimité politique, la direction de la communication joue un rôle plus stratégique, plus essentiel, que jamais, rôle qui impose d’installer un travail approfondi avec les élus, avec une régularité à définir au cas par cas. Non pour que ses agents deviennent les complices d’ambitions politiciennes, mais pour que le joint soit enfin fait entre la mise en œuvre d’une vision du territoire par un exécutif désigné pour un temps donné, ce qui constitue la véritable politique, celle que nous aimons et qui peut seule parler à nos concitoyens, et ceux qui sont chargés de l’expliquer. Il faut considérer ce rapprochement comme nécessaire dans le contexte de décomposition politique que nous vivons, et ouvrir le débat sur ses modalités.
La France vit avec un Etat impotent mais des territoires inventifs. Un Parlement sans pouvoir, défait de celui-ci par l’addition du quinquennat puis du non-cumul, mais des collectivités qui changent les paysages autour d’elles. Un pouvoir central qui n’arrive plus à produire des lois et règlements corrélées au réel mais des villes, des intercos, des départements, des régions qui manient mieux que quiconque, depuis quelques années, la co-construction, la participation, la fabrique partagée des décisions.
Regardons comme les Gilets Jaunes n’ont demandé l’autorisation à personne pour se mettre en mouvement. Chers amis communicants, à l’aube de 2019, il est urgent d’entrer en Politique.