Presse des collectivités : 7 principes mainstream à abandonner sans tarder
Nous sommes tous, peu ou prou, fruits d'un héritage culturel. Toutes et tous filles et fils de racines et de traditions. Et cela se vérifie aussi pour les aspects professionnels de nos vies : nombre de métiers bénéficient d'une mémoire séculaire et tout le monde espère que cette lanterne venue d'hier éclaire bien le chemin de demain. Toutefois, les usages de nos métiers virent parfois à la pose d'œillères et empêchent de regarder ailleurs. En tous les cas différemment. Exemple avec les magazines des collectivités dont on peut dire que, dans leur grande majorité, c'est la pensée "mainstream" qui les gouverne, au détriment de réelles innovations, même si, via le Cap’Com on note quelques expérimentations.
Par Marc Thébault
Comme il convient de rendre à César ce qui lui revient de droit, rappelons que les magazines des collectivités tels que nous les connaissons (et tels que nous les produisons) n'ont pas toujours connu la forme et le fond qui les animent de nos jours.
Un peu d'histoire …
On peut sans se tromper dater la nouvelle ère de la presse municipale, pour ne citer que celle-là, en 1983, année d'élections municipales qui ont vu arriver aux commandes de nombreuses villes, et non des moindres, de "jeunes" élus. En tous les cas des élus affirmant vouloir agir "autrement". En com'publique notamment. Ce fut le cas à Grenoble où un certain Alain Carignon (on ne reviendra pas sur les mésaventures qu’il a pu connaître par la suite) renversa le baron Hubert Dubedout. Il fit voler en éclat quelques codes éculés de la communication, même si à l'époque ces vieilles traces du passé s'apparentaient plus à l'univers de l'information qu’à celui de la communication. Si Grenoble a été une des premières villes à se doter d'un logo (suivie par Brest et sa base-line célèbre « Une ville du tonnerre »), elle a été certainement la première à remplacer le bulletin municipal par un "city news". Description : il prend la forme d'un vrai magazine, et non d'un vieil exemplaire de la PQR de papa. Ses articles valorisent explicitement plus le territoire et ses acteurs que l'institution, et son graphisme rivalise avec celui de la presse magazine nationale. Certes, de manière implicite, le locuteur reste le même (la mairie, voir le maire) et l'objectif est identique à celui de l'ancien journal officiel : promouvoir les actions réalisés et les élus qui en sont à l'origine. Ce concept sert toujours de modèle, même à celles et ceux qui ne savent pas d'où il vient.
Certains, parfois, ont tenté quelques révolutions en tentant de sortir de ce "sentier". À ce jeu, la Ville de Lyon s’est illustrée en 2001/2002 lorsque le conseiller en communication du nouveau maire de Lyon fraîchement élu se retrouva pris dans une tourmente qu’il avait lui-même déclenchée. La revue rhônalpine de communication Intermédia écrivait à ce sujet (dans un article intitulé : « Saint-Etienne détonne, Lyon bidonne ») : « … Lancé en octobre (2001 – ndlr), ce nouveau magazine municipal est destiné à remplacer Lyon Cité, un mensuel jugé trop traditionnel. Conceptualisé par M. X (au nom du droit à l'oubli, nous préservons l'anonymat du collègue - ndlr), conseiller en communication hors-cadre, Lyon Citoyen se veut non figé. Ainsi il ne comportera pas de rubricage, pas de pagination fixe et n’a même pas de périodicité régulière. Son concept (chaque article est une réponse à la question d’un citoyen) est audacieux … » écrivait Intermedia. Et je suis assez d'accord. M. X, en brisant les canons habituels d’une publication municipale, a sans doute posé de bonnes questions. Ses réponses sont restées discutables. Elles furent d’ailleurs largement discutées (voir ci-dessous). Mais son objectif de faire un magazine totalement adaptable, par sa pagination, ses rubriques et sa périodicité, à l’actualité locale est sans doute à creuser.
Pour la bonne bouche, revenons à l'article d'Intermédia et aux raisons du mini-scandale que cette initiative engendra : « … mais le premier numéro déclenche un tollé. D’une part parce que la maquette "expérimentale" est imbuvable (et la typo des titres ressemblait étrangement à celle dont Ruedi Baur venait de doter le Centre Georges Pompidou – ndlr), mais surtout parce que l’hebdomadaire Lyon Capitale révèle que nombre de questions soi-disant posées par des Lyonnais s’avèrent venir de personnes proches de la mairie … ». En somme, en faisant appel à des témoins à coups sûrs "positifs", M. X s’est fait prendre le doigt dans la confiture, alors que d’autres communicants ont eu la chance de passer au travers des mailles du filet. Moi qui vous parle … Mais je m’égare.
7 principes "mainstream" à abandonner dès que possible
En effet, cette courte introduction historique a surtout pour objectif de poser un axiome de départ : le conformisme n'a que trop duré dans la presse publique. Tout se passe comme si une ancienne tradition avait inscrit dans le marbre, définitivement, les principes à suivre pour construire et rédiger un magazine public. L'ensemble de ces principes formant une voie de pensée unique, une manière de travailler "mainstream", en dehors de laquelle il n'y aurait point de salut. Recensons ensemble les 7 principes de cette pensée dominante :
- La photo du Maire le plus possible tu publieras, croyant sans doute que les lecteurs seront dupes et concluront que le volume de travail et le temps passé sur le terrain sont proportionnels au nombre de vues du 1er élu. Un conseil : si la séance photo de rattrapage a lieu le même jour, prévoir de varier les tenues (chemises, cravate, tailleur, etc …) entre deux shootings pour que l'impression que ces photos ont été prises sur une longue période reste crédible …
- En fin de journal les rubriques politiques tu fourgueras, car tant pis pour celles de la majorité, ce qui compte c'est de dissimuler le plus possible celles des oppositions. Et puis, de toutes façons, la majorité a le reste des pages … Un corollaire : en début de magazine l'éditorial du maire tu mettras, car les lecteurs l'attendent avec une si grande impatience et ils seraient tellement déçus de ne le trouver qu’à la fin …
- À tous tu t'adresseras et ne froisser personne tu ne devras, puisque c'est le magazine de tout le monde et non de certains ! Au pire, tu araseras tes articles pour élimer toutes saillies susceptibles de venir gêner des personnes qui ne le seraient pas moins (susceptibles je veux dire). Au mieux, tu feras des pages spéciales pour les jeunes, les vieux, les sportifs, etc … Mais à l'intérieur de chaque rubrique, les mêmes précautions tu prendras : n'oublier ni ne froisser personne ! Un corollaire là aussi : un glissement de registre opérer tu pourras. Oui, au pire, ton article qui semble s'adresser à tous devra être rédigé avec quelques clefs (voire quelques omissions) que seuls certains initiés capteront car ils sont tes vraies cibles ! Et tant pis pour les quelques milliers d'autres lecteurs …
- Positif toujours tu seras, car puisque ce qui est dit dans la presse est réputé fondé et que ton magazine possède bien tous les attributs extérieurs des productions de la presse, la véracité de tes louanges s'appuiera sur toute la confiance (à ce sujet, vous avez noté que la défiance gagne du terrain) qu'ont tes administrés dans la vraie presse … à laquelle tu ressembles comme deux gouttes d'eau ! Donc, toujours positif … enfin si nous oublions que tes lecteurs peuvent aisément vérifier sur le terrain si tout ce qui est donné comme réussi fonctionne réellement à merveille …
- ** Simple et concis tu écriras** puisque le lecteur ne lit pas (euh … ?) … Disons alors qu’il ne lit pas longtemps et que, surtout, il ne peut pas comprendre les aspects les plus complexes de la gestion d'une collectivité. Tu nivelleras donc vers le bas et tu préféreras toujours un bon et épais dossier sur des kermesses d'écoles que sur le budget. Et tu ne t'attarderas pas trop sur les attaques pour absence de transparence, tu as d'autres chats à fouetter.
- Tu continueras à faire tiennes les dernières recettes de la presse écrite, en ne perdant pas de temps à te demander pourquoi elle continue à perdre des lecteurs et à foncer dans le mur avec, elle aussi, des modèles de pensées visiblement aussi rigides que les tiens … D'ailleurs, tu feras écrire tes articles par des journalistes, puisque tu crois que tu fais de l'information alors qu'en réalité tu devrais faire de la communication.
- Tu n'associeras jamais les lecteurs aux choix rédactionnels, en dehors sans doute de bons vieux "Courrier des lecteurs" ou autres "Micro-Trottoir", car même si aujourd'hui dans l'univers numérique l'appel à l'intelligence collective, la collaboration et la coproduction sont de mise, ton magazine est imprimé sur du papier (recyclé sans chlore, oui je sais !) et que les gadgets d'Internet, des réseaux sociaux et autre « civic-tech » ça va bien, merci !