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Primaires : trop de démocratie tue la démocratie…

Publié le : 23 septembre 2021 à 07:40
Dernière mise à jour : 21 octobre 2021 à 17:18
Par Yann-Yves Biffe.

En 2016, les primaires étaient le tube politique du moment. Cette avancée ultime de la démocratie, permettant aux électeurs de choisir leur candidat avant de choisir leur élu, s’annonçaient incontournables et promises à un grand avenir. Cinq ans plus tard seulement, les partis politiques cherchent comment ne pas en faire car ils y ont trop à perdre. Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi les primaires sont-elles devenues une machine à perdre ?

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Par Yann-Yves Biffe.

À six mois des élections présidentielles, le flou est grand, voire inédit. Les leçons du passé sont telles qu’on a bien compris maintenant que le gagnant d’octobre n’est pas celui d’avril. Peuvent en témoigner à leurs dépens Édouard Balladur, Alain Juppé ou François Fillon…
Plus récente est la leçon des primaires. Il y a cinq ans, cette formule apparaissait comme l’avenir de la démocratie et devait alors avoir vocation à devenir une étape incontournable pour les élections présidentielles. Son principe semblait imparable : laisser les électeurs décider de leurs candidats. L’exemple américain venait le conforter, avec une longue tradition permettant la désignation des meilleurs finalistes démocrates et républicains.
En 2016, la France bipartiste finissait de se plier à l’exercice : les Républicains mettaient en place une primaire ouverte, emboîtant le pas du Parti socialiste, qui avait mis la formule en place lors de l’édition précédente, en 2011.

Ça donnait à voir les primaires comme un nouveau passage obligé pour la démocratie

Pour se rappeler, replongeons-nous dans une chronique du 5 janvier 2017.
Dans un contexte déjà marqué par l’abstention, des électeurs se pressaient, enthousiastes, montrant qu’ils étaient attachés à donner leur avis. Ils prouvaient qu’ils étaient prêts à se déplacer pour voter, voire à faire la queue longuement pour glisser leur papier dans l’urne, bref à faire un effort parce que les primaires leur offraient une opportunité de décider. Beaucoup d’électeurs de droite se sont ainsi déplacés avec la conviction qu’ils étaient en train de choisir le prochain président de la République. L’abstention n’est pas une posture politique mais un manque de perspective d’utilité du vote, comme le montrent les bonnes participations lors des scrutins à véritable enjeu.
Avec les primaires, l’offre de personnel politique a été élargie en présentant de multiples nuances d’une même base idéologique. Surtout, elles ont offert la possibilité de renouveler qui n’était plus désiré pour représenter sa tendance, et Nicolas Sarkozy en a fait les frais en premier lieu.
Les primaires ont aussi montré que les votants pouvaient passer outre aux organisations des partis et, ainsi, imposer un candidat quand bien même un autre tenait les rênes du parti. Avec le système de désignation préalable, le PS aurait-il présenté François Hollande ? Les Républicains, François Fillon ? On peut en douter.
Les primaires, voix des électeurs contre les partis, semblaient donc devoir s’inscrire dans le paysage politique français à défaut d’intégrer la Constitution.

Et puis les événements ont mis à terre cette innovation démocratique.
Dans cette même chronique, je précisais ainsi qu’« il serait intéressant de voir comment se positionneraient les électeurs au 1er tour à gauche, entre le candidat issu de la primaire et les alternatives Mélenchon/Macron. En cas de score inférieur du vainqueur de la primaire face à un seul de ces challengers, le principe des primaires pourrait là aussi être remis en cause ».
C’est pile dans ce cas de figure qu’on s’est retrouvé, Benoît Hamon, vainqueur de la primaire socialiste, finissant loin derrière les deux candidats susnommés. La primaire socialiste avait échoué à rassembler les voix de gauche. La primaire n’a d’efficacité que lorsque l’offre politique est concentrée dans deux partis monopolistiques.

Ça donne à voir que la primaire n’apporte pas de rassemblement

La candidature de Macron hors blocs a donné une échappatoire aux déçus des primaires, de gauche comme de droite. Même si, de ce côté, tout le monde était arrivé concentré jusqu’à la compétition… Pour eux aussi la primaire était devenue un carcan encombrant ! Tous ne poussaient pas derrière Fillon, mais plus à cause des failles dorénavant visibles du candidat que pour une remise en cause du processus de désignation. Pourtant, là aussi, la primaire avait creusé la tombe du parti. François Fillon ayant reçu l’onction de la désignation populaire, les responsables du parti n’avaient plus la légitimité pour l’écarter de la course et pour lui substituer un autre candidat choisi par quelques-uns. Aussi, en 2021, échaudés par cet échec cuisant, les Républicains avaient bien envie de ne plus y revenir. Pourtant, pendant longtemps, ils n’avaient pas de meilleure option à opposer pour désigner le candidat du parti, en tout cas plus présentable et qui mette fin aux discussions. Ils ont donc repoussé la décision au maximum, laissant à un congrès interne la mission de trancher… sur la base des sondages d’opinion entérinés par les membres du parti, entre des postulants ayant pour plusieurs d’entre eux quitté le parti il y a quelques années.

Les Verts, eux, étaient sans doute conscients des risques, mais les principes démocratiques sont une base de leur programme, peut-être la seule qui les fédère vraiment, alors ils y sont allés. Ils nous ont donc récemment confirmé que la formule avait l’avantage du processus démocratique… mais toujours beaucoup d’inconvénients par ailleurs.

Tout d’abord, la primaire oblige à se radicaliser, à avoir des positions tranchées pour aller chercher les fondamentalistes du parti. Les membres du parti vont avoir tendance à vouloir mettre en avant le candidat qui leur ressemble le plus et il faut les séduire. Or, du coup, c’est rarement celui qui sera le plus fédérateur, celui qui pourra rassembler plus largement, au-delà de son parti d’origine. Et malheur à ceux qui se seront laissé entraîner dans des prises de parole trop marquées : internet saura le leur rappeler et mettre à mal leur volonté d’élargir leur base en mettant de l’eau dans leur vin.
Ce facteur a sans doute précipité la fin du Parti socialiste comme parti de gouvernement lors de la primaire 2016, avec la division interne qu’elle a cristallisée au sein du parti. Dans tout parti d’une taille respectable, les lignes de fracture sont déjà là, mais sous-jacentes, tues. Avec la primaire, elles prennent la lumière car il faut d’abord mettre en évidence ses différences, ses originalités, montrer pourquoi on pourra faire mieux, et au passage pourquoi le collègue est vraiment moins bon.
Cela laisse des traces, d’autant plus quand les candidats malheureux se donnent l’autorisation de soutenir un autre candidat que celui désigné par la primaire, au mépris des règles de cet exercice. Ce sont les décideurs des grands partis qui font la valeur de la primaire, par leur capacité à s’y soumettre pour faire passer avant leur intérêt personnel celui de leur tendance politique.
Ainsi Manuel Valls qui rejoindra Emmanuel Macron, Sandrine Rousseau qui veut négocier son ralliement à Yannick Jadot tout en gardant sa liberté de parole ou, à un degré moindre, les juppéistes qui emboîteront le pas de Macron président ont fait ou font perdre aux primaires tout leur intérêt. Une primaire, c’est un pacte : les perdants doivent se ranger derrière le gagnant et lui apporter leurs voix, leurs moyens. Si le vainqueur d’une primaire ne peut pas sortir d’une primaire avec un socle supérieur aux seules voix qu’il a rassemblées, c’est peine perdue pour la suite.

Si 2016 avait consacré le principe des primaires, l’analyse du scrutin présidentiel de 2017 et l’éclatement du paysage politique français semblent avoir précipité en 2021 leur rangement dans la boîte à souvenirs pour quelques quinquennats…

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