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Profession : super-héros

Publié le : 3 septembre 2019 à 12:40
Dernière mise à jour : 17 septembre 2019 à 11:47
Par Yann-Yves Biffe

Et voilà, c’est reparti pour une nouvelle année ! Quand on rentre de vacances, il y a fatalement un petit moment de flottement où on se demande ce qu’on fout là. Rapidement, on est repris par le flot du quotidien, mais c’est intéressant de s’arrêter sur ce sentiment étrange qui, finalement, nous ramène aux sources de notre engagement professionnel basé sur cette vocation de faire le bien.

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Par Yann-Yves Biffe.

On était bien en vacances, et, après tout, ça se serait prolongé qu’on n’y aurait pas vu de problème. Oui, mais il faut bien revenir travailler. Ah mais pourquoi au fait ? Pourquoi revient-on travailler ?

Certains diront « parce qu’il faut bien manger », tout du moins avoir les moyens de manger, de se loger et autres besoins de première nécessité ou complètement superficiels. Certes, mais alors on pourrait bien se retrouver à faire autre chose. Et pourtant, on se retrouve là, au service de cette collectivité. Cela pourrait être une autre, sans doute. Cela pourrait-il être une autre organisation, une autre entreprise ? Probablement pas.

Si on est rentrés et restés dans la fonction publique, c’est qu’il y a une raison qui fait écho en nous. Non, ce n’est pas le salaire (non, ça c’est sûr). Certains, plutôt envieux, diront « la sécurité de l’emploi ». Ça peut aider, mais cela peut-il être le déclencheur ? Non, la réalité, c’est qu’on est au service de l’intérêt général. C’est qu’on sert à quelque chose et à quelque chose de bien. C’est un confort mental d’être en phase avec les valeurs de son employeur, de ne pas se retrouver à vendre des produits ou services à des gens qui n’en ont pas forcément besoin et de n’être pas jugé là-dessus. Plus que cela, quelle joie de se dire en allant au travail qu’on va rendre service à des gens. En leur donnant l’information qu’ils attendent (ou pas), en leur donnant accès à un service qui va leur faciliter la vie, en leur permettant d’accéder à un logement de rêve ou simplement décent, en assurant à leur enfant des conditions épanouissantes, en leur faisant vivre un moment d’évasion ou de partage… Autant de raisons (et il en manque…) de faire naître des sourires sur le visage de nos interlocuteurs ! Oui, nous faisons le bien et nous le faisons bien ! Nous répandons des particules de bonté, telles des Amélie Poulain territoriales ! La collectivité territoriale, c’est la boîte à bonheur et il faut bien que certains en assurent la distribution !

Holà holà ! Certains d’entre vous se demandent si une canalisation de gaz hilarant ne vient pas d’exploser… Si c’était tout rose comme ça, alors les journées couleraient, paisibles, dans la félicité. Or, ce n’est pas le cas tous les jours et, vous le savez, le rapport avec l’usager prend parfois une tournure plus tendue...

Ça donne à rappeler à l’usager le service dont il bénéficie

L’usager en question n’a pas toujours conscience que nous sommes là pour lui rendre service, pour son bien. Parce que, parfois, l’agent (on dira alors « l’administration ») a fait une erreur à son préjudice. Il s’agit de l’admettre rapidement pour repartir sur de bons rails. Parfois aussi, les règles trop générales ne sont pas pertinentes, voire peuvent s’avérer complètement inadaptées. Mais ce sont les règles et elles s’imposent alors au fonctionnaire comme à l’usager… même si une lecture intelligente des textes permet souvent d’aplanir des difficultés apparentes. Parfois, il s’agit d’un fonctionnaire qui a oublié qu’il était au service de l’usager et qui place son confort et ses propres contraintes au-dessus de cette mission.

Parfois, c’est l’usager lui-même qui se fait une fausse idée de la mission du fonctionnaire et qui projette sur lui ses frustrations, ses jalousies, sa mauvaise humeur… surtout s'il croise un agent au profil décrit dans le paragraphe précédent : « Vous m’en voulez ou quoi ? Faites mieux votre travail ! Plus vite ! » À l’agent de prendre du recul et ne pas se sentir mis en cause personnellement, tout en rappelant à l’usager impoli les limites à ne pas dépasser, et à solliciter la hiérarchie pour les expliquer par écrit (démarche systématisée à la Poste par exemple) à cette personne qui, bizarrement, n’a pas conscience du bien que la collectivité lui apporte.

L’incident ne doit pas être passé sous silence : soit la personne est un peu dérangée, cela arrive, soit la collectivité n’a pas bien expliqué ce qu’elle apporte à l’usager et les bénéfices qu’il va en tirer alors même que c’est souvent gratuitement ou à un prix qui couvre rarement le coût de revient du service apporté. Ça devrait être facile de faire comprendre les avantages des prestations apportées par la collectivité ! Oui, mais cela ne va pas toujours de soi. Ce n’est pas automatique : comme pour le reste, il faut communiquer sur les services apportés, même les plus banals ou les plus basiques !

Cependant, même si les avantages d’un dispositif sont clairement explicités, l’usager arrive parfois à s’en plaindre. Car il est humain et n’en a donc (même s’il ne faut pas généraliser heureusement) jamais assez. Donnez la main à certains, ils vont vous réclamer le bras. Comme un parent qui fait face à la crise de son enfant dans l’allée du supermarché, il faut rester fort et stoïque, en s’appuyant sur sa fondation profonde : la défense de l’intérêt général, qui peut parfois pousser à contredire un simple intérêt particulier.

Ça donne à cultiver sa posture de super-héros

Être un faiseur de bien, ce n’est pas facile tous les jours. Ce n’est pas parce qu’on fait le bien que ça se passe bien. En effet, cette vocation impose une grande rigueur morale : le bien n’est pas à visée personnelle mais générale et indifférenciée.
Les agents sont dès lors régulièrement mis en porte-à-faux, devant les demandes individuelles, devant les déstabilisations ou remarques infantiles mais fondées telles que : « Mais lui il a eu le droit et pour moi vous ne voulez pas... » Elle impose de dire non à certaines demandes, parce qu’elles ne répondent pas aux règles, parce qu’elles visent un avantage injustifié… même si cela n’est pas compris du demandeur, de bonne ou de mauvaise foi.

Du coup, on en vient fatalement à mécontenter des usagers. Faire le bien pour tous nécessite pour certains de faire mal, ou tout du moins de ne pas leur donner satisfaction. Nos collègues du secteur social l’expérimentent régulièrement : ce n’est pas parce qu’on veut aider les gens qu’on doit leur céder à tout propos. Il faut savoir dire non pour sauvegarder une exemplarité morale, c’est parfois difficile, mais cela s’impose pour conserver une figure impartiale qui permettra de continuer à faire le bien.

Ainsi le fonctionnaire, doté des super-pouvoirs conférés par la puissance publique, doit s’effacer derrière l’équilibre de la communauté.

Ainsi Superman et autres super-héros ne doivent pas favoriser par la force phénoménale issue de leurs pouvoirs les intérêts d’un humain ou les leurs propres, mais assurer l’équilibre du monde voire de l’univers. Ainsi le fonctionnaire, doté des super-pouvoirs conférés par la puissance publique, doit s’effacer derrière l’équilibre de la communauté. Être un super-héros s’accompagne donc de lourdes responsabilités, mais celles-ci s’effacent devant la satisfaction voire la joie profonde de rendre service, de faire le bien, d’être en accord avec soi-même en apportant un peu de félicité, quand bien même personne ou presque n’y porterait attention tant le vrai visage du super-héros semble voué à rester dans l’ombre.

Alors quand des difficultés se dresseront (ce qui ne manquera pas d’arriver, même et surtout dans une collectivité, creuset d’aspirations y compris antagonistes ou paradoxales), il sera toujours utile de vous remémorer que vous portez un super-costume que personne ne voit, que vous détenez le super-pouvoir de faire le bien et de vous appuyer sur cette joie et ces motivations profondes pour passer l’obstacle.

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