Projet de loi « 3D » : la concertation a du bon
La concertation a du bon et le gouvernement se prend au jeu. Les préfets réunissent les maires pour leur demander leur avis sur des pistes de réflexion dans le cadre du projet de loi « 3D » : Décentralisation, Différenciation, Déconcentration. Bonne idée ! Car même si l’exercice est encore imparfait, il donnera des fruits parce qu’il instille des habitudes d’échanges qui seront bien utiles dans les actions du quotidien.
Par Yann-Yves Biffe.
Le grand débat de 2019 a eu plusieurs intérêts. Il a en premier lieu permis de sortir de la crise des gilets jaunes dans une certaine dignité pour toutes les parties. Belle opération à la vérité car en fait les gilets jaunes y étaient peu ou pas représentés. Il a aussi et surtout eu le mérite de donner la parole à des gens, même si ce n’était pas les plus extrêmes, qui ont été heureux de la prendre. Ils ne se sont pas fait d’illusion : « 68 % des Français ne croyaient pas, à son issue, en la capacité du pouvoir à tenir compte des enseignements du grand débat », selon Pascal Perrineau, dans son livre Le Grand Écart (éditions Plon), mais l’exercice en lui-même a permis un échange qui est le propre d’une démocratie évoluée, et le fait qu’on s’intéresse enfin à eux leur a fait du bien.
Et puis ce grand débat a changé la posture du président de la République, qui y a pris goût. Tenant d’une centralité technocratique que les maires ont prise pour une distance voire une méfiance par rapport à eux, il a compris que sa parole, son action nécessitaient d’avoir des relais de proximité. Et si la population veut s’exprimer, les maires aussi (ou encore plus) aiment être entendus.
D’où l’idée de faire évoluer la loi pour la rapprocher du terrain. Après un premier opus justement intitulé « Engagement et proximité », Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, planche sur un 2e opus qui s’intitule déjà loi « 3D » : Décentralisation, Différenciation, Déconcentration. Alors quelle meilleure idée, sur le fond et sur la forme, que de demander leur avis aux maires ?
C’est la consigne qui a été passée aux préfets : organiser au moins une réunion par arrondissement invitant les maires à s’exprimer sur ce sujet. Aussitôt dit, aussitôt fait.
Ça donne à bien préparer la concertation en fonction du public ciblé
J’ai pu ainsi assister à une réunion menée par le sous-préfet avec trois responsables de son administration. Leur bonne volonté était visible. Pour autant, les meilleurs sentiments ne font pas les meilleures concertations. De fait, la mayonnaise a eu du mal à prendre, les maires semblant un peu surpris de l’exercice. Car dans le fond, ceux-ci, surtout en zone rurale, demandent moins à se voir transférer des compétences que de vérifier que l’État va bien les assurer !
Au-delà de cette divergence de fond, plusieurs éléments ont compliqué le rapprochement.
Le choix de la date n’était assurément pas optimal : on comprend bien qu’il fallait aller vite et ne pas retarder le processus législatif. Mais inviter les maires un mois avant les élections municipales était risqué : ceux qui ne se représentaient pas ne se sentaient plus trop concernés, ceux qui voulaient être réélus étaient plutôt le nez dans leur campagne. D’où une assistance assez clairsemée.
Le public ciblé n’a apparemment pas été au cœur de la préparation de cette concertation. Il y avait un décalage de langage, préjudiciable au rapprochement des points de vue. En effet, les supports envoyés au préalable, et ceux projetés sur place dans une moindre mesure, pouvaient présenter une coloration technocratique froide, voire un peu imperméable sur certains sujets, qui n’invitait pas à la mise en débat. Les process exposés, incontestables, manquaient de contextes, de faits associés, et surtout de problématisation en fonction du public présent.
Au-delà de la forme, les sujets n’étaient pas forcément non plus en phase avec leur public. Les transferts de compétences concernent beaucoup les régions et les départements. Dans les deux cas, les maires peuvent avoir un avis… mais ne se sentent apparemment pas forcément légitimes pour l’exprimer.
Ça donne à se méfier pour les maires
Les maires, sans surprise, se sont déclarés ouverts à l’exercice de missions au plus proche du terrain. Mais la crainte affichée a été rapidement énoncée, à savoir que ce transfert se fasse sans compensation financière. Le sous-préfet a pu dire que tout transfert se fait bien sûr avec sa valorisation financière, les élus ont encore dans la tête un certain nombre d’exemples qui les rendent légitimement méfiants : la gestion des titres d’identité, celle des PACS…, cf. ma chronique de février 2017 : Décentralisation forcée et nombre de fonctionnaires.
Il me semble que, plus que des transferts de compétences ou de missions, c’est une simplification des rapports qui est attendue.
Les maires ruraux sont aussi dans la crainte que les transferts soient réalisés vers les grosses collectivités, villes ou communautés d’agglomération, mais que les plus petites en soient les parents pauvres, car n’ayant pas forcément les moyens financiers ou humains de gérer de nouvelles missions.
De même sur la question des normes. L’État serait prêt à discuter de transférer aux maires le pouvoir de contrôler les normes relatives au sport. S’agit-il des manifestations ? Des équipements ? Plutôt qu’un pouvoir, c’est une responsabilité qui est transférée. Et les maires n’ont pas sauté sur la perche… Car leur donner un pouvoir de contrôle supplémentaire, c’est les mettre en situation de censeur. Or, celle-ci est d’autant plus difficile à tenir quand on est proche des gens qu’on contrôle. Dans le respect des normes au moins, la proximité n’est pas forcément un atout.
Enfin, plus anecdotique, j’ai trouvé assez amusant que l’État propose de transférer la médecine scolaire. L’idée est de rapprocher les médecins scolaires des services sociaux et des PMI gérées par les départements. L’idée est cohérente… mais trouver des médecins est une gageure à laquelle sont confrontées de nombreuses collectivités. Cette proposition s’apparente donc à un cadeau empoisonné, car l’État sera tout à fait en capacité de reprocher aux départements de ne pas bien assurer leur mission de médecine scolaire (faute de personnes qualifiées en mesure de le faire) une fois qu’il l’aura transférée !
Ça donne à apprécier d’être associé à la préparation de la loi
Dans le bilan, cette réunion ne permettra pas de nourrir le projet de loi 3D. Mais ses bénéfices sont certainement à chercher ailleurs.
Elle aura permis aux services de l’État de donner une image positive auprès des maires. Le sous-préfet et ses directeurs se sont montrés à l’écoute, pas méprisants ni hautains, cherchant à comprendre les réalités de terrain remontées par les maires. Ils n’ont pas été directifs et ont gardé une grande souplesse dans les thèmes abordés, y compris si cela dépassait, et de loin, le cadre de la concertation posée ici.
De fait les maires n’auront rien obtenu, mais ils n’avaient sans doute pas cette espérance en arrivant à la réunion. Le sous-préfet non plus n’a rien obtenu, et la note à remonter au ministère va être sans doute assez maigre. Mais il aura fait comprendre que le gouvernement n’est pas une entité hors sol et lointaine vivant pour ses objectifs, en jetant un pont avec les réalités incarnées par les élus locaux. En soi, c’est déjà énorme, et la bonne coordination de l’action entre État et élus locaux se construit patiemment avec ce type d’initiative.
J’espère d’ailleurs que ce type de concertation sera reconduit, en particulier pour le projet de loi « ASAP », pour Accélération et Simplification de l’Action Publique, qui est apparemment le suivant sur le dessus de la pile puisqu’il a été présenté le mercredi 5 février en conseil des ministres.
En ce qui concerne la simplification, les collectivités sont bien à même de préciser ce qui pourrait évoluer : rien de grandiose sans doute, mais une multitude de procédures qui compliquent la vie des agents et usagers pour une efficacité non démontrée. Des doublons existent qui pourraient être supprimés. Je prendrai juste l’exemple de la situation des enfants déscolarisés. Les parents doivent établir une déclaration à la mairie mais aussi à la direction académique des services de l’Éducation nationale. Le maire a l’obligation de faire une inspection sociale et l’Éducation nationale fait à son tour une inspection. Ne peut-on pas supprimer l’inspection de la mairie qui n’apporte pas de plus-value ? La transmission de la liste des enfants déscolarisés par l’Éducation nationale aux mairies ne suffirait-elle pas à la bonne information de celles-ci ?
La concertation ne donne des fruits qu’au bout d’un long processus lors duquel les parties s’apprivoisent patiemment. Alors entre État et collectivités locales, continuons le non-combat !
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