Que dit ChatGPT de la com publique ?
Au-delà de ce petit jeu, curiosité et circonspection à l’égard de cette machine. Et beaucoup de questions sur l’« intelligence artificielle » pour la société… et pour nos métiers.
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste.
Pourquoi se priver du plaisir de céder quelques instants à l’engouement pour ChatGPT et d’examiner ce que ce système a dans son ventre informatique ? Voyons donc voir ce qu’il dit de nous.
La communication publique territoriale ?
Sur environ 2 000 signes, apparaît une synthèse très appliquée, banalisée, de ce qu’on peut dire et lire depuis des années. Une définition : « L’ensemble des actions de communication mises en œuvre par les collectivités territoriales ». Viennent ensuite des précisions sur les « formes » de la communication et sur ses objectifs pour les collectivités territoriales : « Renforcer leur image de marque, améliorer leur notoriété et leur attractivité, et favoriser la participation des citoyens à la vie locale ». Réponses presque parfaites, quoique standards, pour un étudiant au premier trimestre de sa formation à la communication publique.
Cap’Com ?
Même mécanique des contenus, y compris quand on pose la question par trois fois. Avec peu d’erreurs. À proprement parler, Cap’Com n’est pas une association et ne publie pas la revue trimestrielle « Communication publique » (1). Mais Cap’Com, c’est exact, « regroupe des professionnels de la communication publique territoriale » et « a pour but de promouvoir et de développer la communication publique territoriale en France en proposant des outils, des formations, des événements et des publications pour aider les collectivités territoriales à mieux communiquer avec leurs publics ». Les informations sont presque toutes justes, la syntaxe conforme à la norme. Mais c’est plat, insipide, impersonnel. Agrément de lecture, zéro. Mais peut-on attendre d’une machine l’inattendu, l’originalité, la stimulante imperfection de l’expression d’une pensée humaine ?
Yves Charmont ?
Réponse sur notre cher délégué général : « I’m sorry, I don’t have any information. » Même leçon d’humilité pour votre serviteur, « unknown ».
Et alors ?
Comment aborder l’« intelligence artificielle », l’IA, comme il convient de dire pour montrer que l’on est dans le coup ? Mon niveau de compétence étant très proche d’être dépassé, voici quelques remarques prudentes.
- À ce jour, ChatGPT n’est guère plus pertinent que lorsque, pour améliorer mes notes en version latine et m’épargner une corvée, j’allais à la bibliothèque municipale pomper les désuètes traductions de La Guerre des Gaules. Mais c’est encore moins fatigant. La flemme a de l’avenir devant elle.
- ChatGPT ne donne pas exactement des « réponses » mais fournit, à partir d’une masse de textes existants, l’ensemble des mots les plus probables. Il se nourrit d’analyses statistiques appuyées sur des textes.
- Les énormes quantités de données accumulées comme base des algorithmes de ChatGPT ne vont pas au-delà de 2021. Guerre d’Ukraine et autres, connais pas.
- Nous sommes au début d’un phénomène qui va s’amplifier. Déjà, la production – on ne peut pas dire « conception » – d’images (BD, illustrations) s’ajoute à celle de textes. D’autres agents conversationnels vont émerger pour les professionnels et pour le grand public. Microsoft prépare l’incorporation des outils d’OpenAI, la société qui a conçu ChatGPT, dans Word, Powerpoint, ainsi que Teams et Outlook.
- Dire « intelligence artificielle », c’est avoir une piètre conception de l’intelligence.
Nos métiers vont-ils être bousculés ?
Certaines professions sont déjà impactées, comme les traducteurs, avec Google Translate et DeepL. Voilà quelques repères dans notre univers professionnel.
- Ne perdons jamais de vue que ChatGPT est une machine qui fabrique des textes sans en comprendre le contenu. C’est un système stupide et aveugle, notamment au présent.
- Il semble de bonne pratique d’éviter la fascination et l’emballement. Les réseaux sociaux les ont suscités. On en a vu les avantages… et les ravages.
- Il s’agit d’être curieux : l’apport de la veille, le goût pour la nouveauté et l’intérêt qu’elle peut avoir. Conjointement, il s’agit d’être circonspect. Quelle est la plus-value réellement adaptée à nos métiers apportée, à terme, par ce type d’outil ? Quels sont les atouts ? Et quels sont les risques ?
- Ne soyons pas mécaniquement alarmistes, mais délibérément sceptiques, pas complètement bloqués mais fermement vigilants.
- Si les économies sur nos forces humaines et celles sur nos moyens financiers l’emportent sur les autres considérations, problème. Si la valeur des compétences est peu ou prou négligée, souci. Si la précarité risque de s’accroître, alerte.
Des problématiques pour toute la société
Elles surgissent. Ce sont les plus aiguës, les plus décisives. Elles nous concernent et elles nous dépassent. Elles engendrent une série de questions, notamment :
- En cas de litige, qui sera responsable juridiquement des textes ? Les machines anonymes de ChatGPT qui les auront fabriqués ? Les personnes physiques qui les auront exploités ? Les personnes morales qui les auront diffusés ?
- Nous ne savons pas comment ChatGPT produit : pas d’explication sur ses logiciels, pas de transparence sur ses algorithmes. Il peut y avoir des biais, des manipulations. Comment s’en prémunir ?
- Comme le souligne Le Monde : « Faut-il craindre que le web soit envahi de textes de synthèse indissociables de contenus écrits par des humains ? »
- ChatGPT peut devenir un nouveau mode de recherche d’informations sur internet. Mais ce système peut produire des milliards de fake news et affaiblit davantage encore la place des faits avérés, de la réalité. Comment l’éviter ?
- Du coup, quelle régulation publique, politiquement décidée, solide et effective, faut-il élaborer et mettre en place, sachant que, selon des experts en sécurité informatique, l’Artificial Intelligent Act, édicté par l’Union européenne, est démuni devant l’irruption des robots conversationnels ?
Je laisse Éric Sadin, écrivain et philosophe, spécialiste du monde numérique, formuler l’interpellation la plus fondamentale : « Qui parle ? demandait Nietzsche. Sont-ce des programmes dont le langage, privé de sa dynamique vitale, véhicule une vision du monde fondée sur un réductionnisme et un utilitarisme généralisés ? Ou alors, tout à l’opposé, nos voix – chacune singulière, émanant de notre esprit et de notre sensibilité – seules à même d’instaurer des liens actifs aux autres et au réel ? »
« Nos voix », « notre esprit », « notre sensibilité », en effet, voilà le principal.
(1) Communication publique, l’association voisine de Cap’Com, mais distincte, édite Parole publique.