Regardons Facebook en face
Les critiques s’accumulent sur le « trombinoscope » mondial. Les répliques à ses dérives et ses dégâts émergent. Et nous, quelles sont nos responsabilités ?
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Il paraît que, ces temps-ci, Mark Zuckerberg, allure gentillette et fortune rondelette, dort mal. À Palo Alto, les vents contraires soufflent fort sur le groupe et ses filiales : pannes, utilisation néfaste des données personnelles, notamment dans des campagnes électorales, contribution majeure à la désinformation et au développement de la violence et de la haine en ligne, impact sur la santé mentale des adolescents, utilisation du réseau par des groupes criminels pour recruter des victimes de trafic d’êtres humains…
Un « méta-univers » peuplé d’avatars
L’empire aux 3 milliards de sujets tremble-t-il sur ses bases ? En tout cas, il continue à engranger de vastes bénéfices (9,2 milliards de dollars au troisième trimestre). Mais il est secoué par des menaces sur son omnipotence, venues tant des États-Unis d’Amérique que de l’Union européenne. Mark Zuckerberg tente la riposte avec un système connu de défausse : « Regardez ailleurs ! » Il annonce la méta… morphose de Facebook en « Meta », qui doit créer un monde de virtualisation exponentielle de nos vies, un méta-univers peuplé d’avatars. Un confinement généralisé derrière les écrans. Excitant, n’est-ce pas ? Et attirant comme l’Eldorado puisque est annoncée la création de 10 000 emplois, rien qu’en Europe. Les jeunes geeks en quête d’un job en frétillent.
Cependant un autre phénomène se déploie. Dans le tout récent parcours des réseaux qui tissent une partie de nos existences, est-il historique ? En tout cas, des deux côtés de l’Atlantique apparaissent des pistes pour réguler cette puissance commerciale et sociale qui échappe, pour une grande part, aux pouvoirs légitimes issus non pas des consommateurs, mais des citoyens : contraintes plus fortes et plus effectives, contrôles plus stricts, démantèlement du groupe, nationalisation. La lanceuse d’alerte Frances Haugen aidant, dans la sphère privée comme au sein des pouvoirs publics surgissent des interrogations inédites, des inquiétudes inexprimées faiblement jusqu’alors. Ces questions sont complexes, notamment parce que jaillit le risque de la limitation de la liberté d’expression, le péril de la censure.
L’art, si humain, de la conversation
Parce que cela nous dépasse, nous contentons-nous de regarder de loin ces grandes manœuvres et d’attendre passivement leurs effets ? Restons-nous enfermés dans la fascination pour ces outils ? Nous réfugions-nous derrière nos pratiques, qui se veulent respectueuses des valeurs du système public, dans ces canaux… déterminés par le profit, mais si commodes parce qu’ils allient gratuité (hors achat d’espaces), facilité d’usage et universalité… si on oublie, dans les arrière-cours de notre pays, les 14 millions de Français qui ne maîtrisent pas l’outil informatique.
Alors, que faire ? Regardons en face Facebook et consorts. Ouvrons nos propres pistes. Par exemple en passant au crible nos pratiques ou en examinant la pertinence et l’efficacité des réseaux alternatifs, tels Reddit ou Vero. Réfléchissons. Faisons de ce sujet un point d’échanges, au sein de la communauté des communicants publics. Posons-nous les bonnes questions sur nos responsabilités spécifiques.
Dans le monde, les réseaux sont devenus un des premiers lieux de la conversation, publique ou intime, informationnelle ou promotionnelle, spontanée ou calculée. Nous savons concevoir, créer et animer d’autres espaces de conversation, sous diverses formes, en chair et en os, ou en distanciel et virtuel, par des événements ou des supports. Inventons-en d’autres. Cultivons la nécessité, le plaisir et l’art, si humain, de la conversation.