Regardons Facebook en face
Je l’avoue. En communication numérique, je suis incompétent. Il n’y a pas grand-chose pour me sauver de la relégation dans le coin des professionnels dépassés. Ma légitimité à parler de Facebook est minuscule. En dix ans, j’ai dû atteindre le total faramineux d’une dizaine de posts. Instinctivement, dès le début, refus, irraisonné mais pas sans raisons, d’être entraîné dans un piège. Je n’en tire ni gloire ni honte. « Maybe you don’t know how to use it », me souffle Mark Z.
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Rafales de griefs
Cette distance abyssale avec cet univers et ma vertigineuse incapacité à faire mon métier dans ce domaine devraient me conduire à me taire. Eh bien, non. Il me suffit de constater la vague montante des critiques de tous ordres contre Facebook (1) pour mettre quelques questions sur la table. Les rafales de griefs s’abattent sur le géant : usage de nos données personnelles et intrusion dans notre vie privée, graves failles dans sa modération de contenus illégaux, carences qui facilitent les manipulations de l’opinion, hyperpuissance hors du contrôle des États. De ces attaques frontales croissantes, je n’en retiens qu’une. Elle nous concerne particulièrement dans notre responsabilité de communicants publics qui doivent parler à tous : la manière dont Facebook nous emprisonne dans nos habitudes, nos certitudes, nos chapelles.
Bruno Patino, directeur éditorial d’Arte France et directeur de l’école de journalisme de Sciences Po, n’est pas tombé de la dernière pluie digitale. Entre autres ancien directeur général des programmes des antennes et de la stratégie numérique de France Télévisions, il analyse le phénomène : « Facebook ne formate pas. Il enferme. […] C’est un miroir déformant. […] C’est une première dans l’histoire de l’humanité : un organisme qui centralise les règles de la parole pour plus de deux milliards d’individus, que cette parole soit informationnelle, conversationnelle ou d’influence. » (Le 1 n° 252 du 5 juin 2019) Terrible diagnostic.
Brio… et aveuglement
La constellation Internet suscite de multiples questions, ainsi celle qui sera traitée lors des prochaines Rencontres nationales de la communication numérique avec la conférence consacrée au thème « Inclusion numérique : améliorer l'accessibilité de la communication publique ».
De nombreuses autres interrogations s’imposent. N’est-il pas temps de regarder en face Facebook et les autres réseaux sociaux et de mettre ainsi fin à un certain aveuglement ? Faut-il se contenter de se servir de cette machine, avec brio, sans s’interroger sur cette mécanique ? Dans notre mission de relations avec les citoyens, pouvons-nous ignorer ce système dans lequel « l’information est structurellement défavorisée » ? Pouvons-nous rester inertes quand Martial Foucault, professeur à Sciences Po et directeur du CEVIPOF, avertit : « Facebook et les autres réseaux sociaux sont une menace sur les processus de socialisation politique » ?
(1) Entre autres :
L’Homme nu. La dictature invisible du numérique, Marc Dugain et Christophe Labbé, Plon-Pocket, 2018.
Comment Facebook fabrique l'opinion ? Passionnant documentaire. Cinq étudiants en journalisme ont créé chacun un faux compte Facebook, partisan d’un des principaux courants politiques. Cette expérience a révélé le cloisonnement, mais aussi la violence alimentée par Facebook.