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Renouveler l’éducation à la presse

Publié le : 27 juin 2024 à 07:10
Dernière mise à jour : 27 juin 2024 à 17:14
Par Yves Charmont

Passer de la Semaine de la presse à l’école à de véritables reporters en herbe, c’est le pari gagnant pour le département du Vaucluse, avec l’énergie et la lucidité d’une journaliste pas comme les autres, Frédérique Poret, présidente du club de la presse Grand Avignon Vaucluse. Elle nous parle de cette manière tangible de renouveler l'éducation aux médias des jeunes et des nouveaux enjeux de la médialittératie pour la nouvelle génération comme pour les plus anciennes.

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L'initiative Reporters en herbe a été lancée par le club de la presse Grand Avignon Vaucluse. À l’origine de cette idée originale, sa présidente Frédérique Poret, rédactrice reporter à France 3 Vaucluse-France 3 Provence-Alpes en partenariat avec le département du Vaucluse. Nous l’avons rencontrée lors des Arènes de la com organisées en avril dernier par la Maison de la com près d’Avignon, qui a regroupé près de 150 communicants du Sud-Est. Avec le soutien et l’appui des services du siège régional de France 3 Provence-Alpes situé à Marseille, la rédaction, les services techniques et la DRH se sont mobilisés pour faire découvrir aux collégiens, gagnants du concours, la fabrication d’un JT de l’intérieur : conférence de rédaction, rédacteur, Journaliste reporteur d’ images, montage, mixage, plateau du JT.

Point commun : Vous êtes rédactrice, reporter à France 3 Provence-Alpes, chargée de couvrir tout le Vaucluse. Et vous vous êtes investie localement auprès des jeunes en menant une action d’éducation aux médias. Pouvez-vous nous en parler ?
Frédérique Poret : Reporters en herbe a maintenant deux ans. C’est une action en direction des collégiens. Cette idée est née d'un constat : nous avions organisé la Semaine de la presse, mais j'étais personnellement frustrée de faire une intervention d’une heure devant ces collégiens, puis il n'y avait plus rien… et ça ne les intéressait pas beaucoup. Donc, partant de là, il y a deux ans, comme j'avais la casquette de présidente du club de la presse du Vaucluse, j'ai proposé à des journalistes et des communicants de monter ce concours « Reporters en herbe ». C'est la deuxième édition en 2024. Côté club : les membres m’ont suivie dans cette aventure : Mélanie Ferhallad, cheffe adjointe édition Vaucluse à La Provence, et Mickaël Videment, directeur de la communication du CHU de Nîmes.

Le principe est simple. À partir de septembre, on propose aux collèges et aux collégiens de s'inscrire à ce concours. On donne un thème de réflexion (cette année, c'était bien évidemment les JO). Ils sont libres de choisir le support, écrit ou audio, et de produire un reportage en suivant les règles du journalisme – à savoir où-qui-quand-pourquoi-comment.

Point commun : Qui s’est attelé à cette tâche exactement ?
F. P. : En fait, comme le club de la presse ne pouvait pas supporter le poids de toute cette opération, on a cherché à s’associer. C’est ainsi que nous avons comme partenaire le conseil départemental du Vaucluse, qui est très, très actif. Le conseil départemental a une réelle expertise et expérience dans l’organisation de ces projets thématiques : ils sont en lien direct avec les collèges. Et nous avons reçu le soutien et les encouragements de la présidente Dominique Santoni, de l’élue chargée des collèges Christelle Jablonski-Castanier, du service presse (Fabrice Beau et Valérie Brethenoux) et d'Anne-Sophie Brun, cheffe du service pilotage et vie des collèges – et de Valérie Ducasse. Je remercie toute l'équipe de la communication, qui joue le jeu, tout comme l'équipe de la direction des collèges. En fait, ils font le relais entre les journalistes, les communicants et les collèges. Sur le plan opérationnel, ils font le lien : ce sont eux qui fixent les dates et qui nous envoient toutes les productions des collèges. En premier lieu nous faisons le tour des collèges candidats entre septembre et novembre, pour les sensibiliser et leur dire exactement ce qu'on attend d'eux. En fait, on leur parle aussi globalement de la presse, ce qui nous permet également de parler des réseaux sociaux et de leurs risques, des dangers pour eux. On les met donc en garde, on essaie de développer leur sens critique, on explique aussi le métier de journaliste.

Point commun : En fait, c'est déjà un véritable travail d'éducation aux médias, de façon générale ?
F. P. : Voilà, c'est ça ! On s'appuie sur le concours « Reporters en herbe », qui est ludique, parce que, pour les collégiens, les discours théoriques, cela ne sert à rien. Il faut que ce soit aussi attractif et interactif. Sachant qu’ils ont déjà cette éducation aux médias dans leur programme et que notre intervention en est, en quelque sorte, le côté pratique.

Chaque année on est émerveillées et rassurées de cette jeunesse inventive, motivée, curieuse, et qui, finalement, a aussi le sens critique.

Point commun : Ces collégiens sont dans quelle tranche d’âge ?
F. P. : Alors, là, on a visé les 3e, donc les 14/15 ans. Et cela demande de l’énergie. Heureusement je ne suis pas la seule sur le pont. Une de mes collègues du club de la presse, Mélanie Ferhallad, cheffe adjointe édition Vaucluse à La Provence, est de la partie, ainsi que Dominique Ghidoni, une autre journaliste à Vaucluse Matin, très impliquée. Et, franchement, chaque année on est émerveillées et rassurées de cette jeunesse inventive, motivée, curieuse, et qui, finalement, a aussi le sens critique. Et donc, c'est fabuleux !

Point commun : Cela correspond à combien de dossiers et combien de lauréats ? Comment se passe ce concours ?
F. P. : La première année, nous avions commencé par deux collèges. Pour la deuxième année, on en a cinq et c'est quand même assez impressionnant. D’autant plus qu'on ne fait pas de communication. Nous sommes tous des bénévoles, donc nous n’avons pas le temps pour faire un travail de chargé de com dédié. Et là, justement, cette année, avec le département du Vaucluse et son service com et presse, nous avons lancé un appel parce que nous sommes un peu victimes de notre succès, on manque de « bras journalistiques ». Nous cherchions des étudiants, des retraités, des CDI, des CDD ou des correspondants, qui puissent venir nous donner un coup de main pour nous permettre d’analyser huit contributions. Et à chaque fois il s’agissait d’un format radio, de 8 minutes, ou d’un support écrit, un magazine, qui peut aller jusqu’à 100 pages ! Nous tenons vraiment à faire un retour détaillé pour chacun, afin que ce soit enrichissant pour eux. Alors on prend du temps...

Point commun : Et l’activité se termine avec la remise des prix en mai ?
F. P. : Non, car en juin, les lauréats vont visiter les locaux de France 3 à Marseille. Le directeur régional de France 3 Provence-Alpes Côte d’Azur, Samuel Peltier, et le rédacteur en chef de France 3 Provence-Alpes, Daniel Ielli, ont tout de suite répondu présents pour s’associer à cet événement, car on s'inscrit tous dans cette volonté d'ouvrir nos portes pour présenter nos métiers et expliquer nos principes et surtout la déontologie qui est notre pilier dans notre métier et notre rôle parce que, bien souvent, il y a une méconnaissance de la part des publics. Ils ont mis au point toute une journée de découverte et d’initiation aux métiers de l’audiovisuel : du reportage au montage, mixage, plateau JT, régie.

Point commun : Qu'est-ce qui vous pousse à faire ce travail en direction des jeunes ?
F. P. : Depuis longtemps je participais aux Semaines de la presse – parce que je pense que c'est un devoir – et j'étais un peu frustrée par le manque d’attention d’adolescents pourtant très sensibles aux questions politiques et sociales. Mais ils attendaient que l'heure passe et il n'y avait pas d'interactivité, comme je vous l’ai dit. Je refusais de me résigner et de considérer que le monde était ainsi fait. Il y a de tels changements dans nos domaines qu’il me paraissait normal de changer la formule également.

Un ensemble de références et de réflexes à acquérir face aux flux constants d’infos auxquels les enfants, puis les adultes, sont confrontés.

Avant, lorsque nos aînés voyaient quelqu'un qui parlait à la télé, c'était « parole d'évangile ». Tout cela a disparu. Et c’est là, c’est maintenant, que l’on commence à comprendre l’importance de l’éducation aux médias, non plus comme une découverte de l’envers de l’écran (comme dans la conception initiale d’information et d’orientation) mais comme un ensemble de références et de réflexes à acquérir face aux flux constants d’infos auxquels les enfants, puis les adultes, sont confrontés. Il y a un consensus entre les communicants publics, les élus et les journalistes autour des objectifs de cette opération, autour des enfants, de la presse. Le concours Reporters en herbe n'a pas vocation à résoudre tous ces problèmes, mais il apporte une solution, locale, une pierre à l’édifice démocratique. Et je pense que ce qui est bien, d'ailleurs, ce sont les retours des professeurs qui nous disent : « C'est bien, parce qu'on a un cas concret, c'est un peu comme en biologie, on se confronte au réel et on fait des constatations. »

Point commun : Comment valorisez-vous cette opération ?
F. P. : France 3 a fait un sujet sur le gagnant, mais cela pourrait être repris ailleurs sans problème. De plus, le sujet est les Jeux olympiques vus par des collégiens, des reporters en herbe. C'est intéressant parce qu'ils ont abordé, par exemple, les JO dans l’Antiquité, chez les Grecs. Ils mettent en avant le fait qu'au départ il n'y avait pas de femmes. Il y a aussi la production d'une bande dessinée extraordinaire sur le destin d'un sportif handicapé qui revenait de la guerre de 14/18. Ils se sont emparés de cette histoire pour aborder les Jeux paralympiques. Ils ont inventé un reportage-fiction (comme cela se fait maintenant en télé), presque une reconstitution, moitié moderne, moitié fiction... C'est très bien dessiné, il y a de l’idée et ils ont été bien encadrés.

Point commun : Quelles auront été les conséquences de cette action sur votre pratique professionnelle ? Et plus globalement comment avez-vous évolué en fonction des changements du rôle et de la place de l’information dans notre société ?
F. P. : En fait, je vis les évolutions comme tout le monde. J'ai quand même vingt-cinq ans de carte de presse. Donc, mon outil, je l'ai vu évoluer et je me suis formée aux nouveaux supports, c'est-à-dire tout ce qui est vidéo numérique, réseaux sociaux, transmédia... Maintenant, France 3 développe énormément le web, que l’on alimente aussi. Ce qui n’empêche pas que nous respections les bases du métier et sa déontologie, quels que soient le sujet ou le support.

Point commun : Vous parlez ici de votre point de vue, de votre travail, mais par rapport à vos publics, quels sont les nouveaux enjeux ?
F. P. : Bonne question. On peut même se demander : « Est-ce que cette médialittératie, dont on parle pour les jeunes, ne serait pas utile aussi pour d'autres générations ? » Je pense à ce sujet que, finalement, ce sont peut-être certains parents qui devraient avoir accès à cette action pédagogique. Parce que les jeunes, eux, sont très curieux, ils sont finalement... disons-le clairement : ils maîtrisent parfaitement les réseaux sociaux, ils savent grosso modo qu’il y a des influenceurs qui sont crédibles, d’autres qui ne sont pas crédibles. Ils arrivent plus ou moins à voir les pièges et les dangers. Après ils ne connaissent pas trop le fonctionnement exact des médias, comment nous travaillons au quotidien, ce qu’est une rédaction, ni comment tout cela est géré. Mais finalement je considère que certains adultes, leurs parents par exemple, qui nous accusent de « faire du sensationnel » et qui se méfient de la presse, sont bien moins conscients de leur propre rôle dans la boucle informés/média/journalistes. C’est parce qu’une majorité de personnes provoquent les audiences des médias les plus racoleurs que ceux-ci prospèrent. Il y a une responsabilité de chacun. C’est comme pour la généralisation des fast-foods au grand dam de l’ego gastronomique collectif français ; en même temps, si nous étions moins nombreux à y aller…

Point commun : Le sensationnalisme n’est-il pas assez général pourtant, y compris dans le service public ?
F. P. : Non. Malgré tout, sur le territoire que je couvre, je suis souvent assimilée à une certaine presse sensationnelle. Pourquoi ? Parce que c'est de la télévision ? Je pense que c’est surtout parce que l’on suit les faits divers. Quand vous arrivez sur le terrain, le fait divers, c'est la base. Mais cela devient difficile, polémique. Pour avoir simplement traité journalistiquement un fait divers, on se fait insulter.

Certains adultes ont une vision biaisée des médias et ils projettent leurs opinions, voire leurs frustrations ou leur susceptibilité sur nous.

Mais ces mêmes personnes, le matin, avant même de prendre leur café, allument les chaînes d'info continue. Il faut être cohérent ! La plupart n’ont pas suivi un sujet d’Arte sur la fonte des glaces. Ils ont souvent suivi des infos spécialement anglées pour provoquer des émotions et du ressenti (je ne veux pas citer de médias). Nous avons de plus en plus de mal à exercer sereinement notre métier parce que certains adultes ont une vision biaisée des médias et qu’ils projettent leurs opinions, voire leurs frustrations ou leur susceptibilité sur nous. Comme sur les agents du service public en général.

Retrouvez les « Reporters en herbe » :

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