Révéler l’humanité de nos territoires
Allons chercher dans nos entrailles la fibre qui nous distinguera, car le marketing territorial cloné a fait son temps. Qui êtes-vous ? Quelle est votre histoire et quelles sont vos aspirations ? À Annecy, Marc Thébault et Philippe Lentschener ont invité les territoires à révéler leur identité et leurs valeurs avec authenticité et discernement.
Les 7es Rencontres nationales du marketing et de l'identité des territoires, les 6 et 7 février 2020 à Annecy, ont mis l'accent sur les identités attractives. Dans un contexte de concurrence des territoires et de démarches de marketing territorial tous azimuts, comment identifier et révéler la singularité de son territoire ? Comment en faire le socle de sa stratégie marketing pour promouvoir son territoire et le rendre plus attractif ? Philippe Lentschener, publicitaire, président de la mission gouvernementale Marque France, et spécialiste du nation branding, et Marc Thébault, responsable de la mission attractivité de Caen-la-Mer, ont tour à tour partagé leur expertise de marketeur. Avec un constat commun : la recherche sincère de l'identité et des valeurs de son territoire est le socle d'une démarche de marketing réussie et différenciante. Ils nous ont également livré, face caméra, leurs réflexions sur l'évolution des marques, du marketing territorial, le temps de quelques questions.
Le marketing territorial n’a pas échappé à la demande d’authenticité croissante. Le caractère précurseur des premières marques de territoire émergeant à la fin des années 2000 a depuis été balayé par la multiplication des avatars : « Mon département, Terre d’innovation », « Ma ville Unlimited », etc.
« Onlytruc, Bemachin, de nombreux territoires ont voulu trouver dans leur nom quelque chose qui permette un jeu de mots, ce que la langue anglaise permet tellement », explique Philippe Lentschener, publicitaire et spécialiste du nation branding.
Bien sûr, en près de quinze ans, la professionnalisation des marketeurs territoriaux a permis à une majorité de collectivités de passer de la question « Comment créer une marque pour votre territoire ? » à « Comment votre territoire peut-il devenir une marque ? » souligne Marc Thébault, responsable de la mission attractivité de Caen-la-Mer. Non sans une nécessaire prise en main du sujet « marketing territorial » jugé de prime abord complexe. « Le marketing territorial est assez simple à comprendre. Il suffit de répondre aux huit questions suivantes : Que souhaite vendre le territoire ? À qui ? Face à quels concurrents ? Sur quelle base argumentaire, propre au territoire ? Avec quelle mobilisation interne (ou intramuros) ? Avec quel plan d’action ? Épaulé par quels partenaires ? Avec quels outils et indicateurs d’évaluation ? » nous expliquait-il dans un précédent billet. Une méthode en huit points synthétisée ci-dessous.
Mais ce recentrage salvateur sur la démarche et l’implication des parties prenantes du territoire n’empêche pourtant pas de voir fleurir des campagnes et films de promotion territoriale trop facilement interchangeables. Une banalisation considérée par Philippe Lentschener comme la conséquence de la panique stratégique dans laquelle se trouvent les villes et territoires. « L’ impératif de l’attractivité économique internationale a fait perdre leurs racines et leur singularité à certains territoires. Ils font pourtant leur travail, celui de la fierté et de la promotion. Nous sommes dans un métier où on peut se tromper de bonne foi car en plus tout est vrai. »
Le territoire : une marque à l’idéal
Face à cette panique stratégique, un autre chemin est possible pour les collectivités. Une voie royale, pourrait-on dire. « Le territoire est une marque à l’idéal, affirme Philippe Lentschener. Une marque, c’est du contenu, qui a plus de contenu qu’un territoire ? »
Voilà bien un avantage que le secteur privé peut envier au secteur public dans la construction du discours marketing : « Le traditionnel marketing mix est passé de 4 P (Prix, Produit, Placement, Promotion) à 7 (Packaging, Personnel, Personnalité de l’entreprise, c’est-à-dire sa culture, ses valeurs), ajoute Marc Thébault. La promotion des performances des produits, puis celle de la notoriété des marques ont laissé place à celle des valeurs de l’entreprise. RSE, marques employeurs, recherche de la "raison d’être", le secteur privé cherche à donner à ses marques une personnalité. Elles construisent un récit valorisant et différenciant en concevant un storytelling souvent basé sur quelque chose d’artificiel. »
Pour le secteur public, tout est déjà là (ce qui a d'ailleurs été utilisé littéralement par Toulouse dans sa campagne d'attractivité « Toulouse a tout », ndlr). Il peut aller à la recherche d’un récit fondé sur ce qu’est le territoire : « Une révélation de ses racines, un argumentaire fondé sur ce qui préexiste et surtout sur ce qu’il pourra devenir. »
Définir l'identité et l'ipséité de son territoire
Les collectivités regorgent de contenu. Mais souvent l’offre présentée d’un territoire à un autre diffère peu : sport, culture, économie, cadre de vie, services, etc. Tout l’enjeu du marketing pour un territoire va être de trouver ce qui fait son identité – ce qu'il est fondamentalement et durablement – et son ipséité – ce qui le rend unique.
Cela passe par un travail sur son portrait identitaire, c’est-à-dire « l ‘étude exploratoire du portrait physique et psychologique d’un territoire dont l’objectif est de faire émerger les traits saillants qui le singularisent et le démarquent ».
Pour construire ce portrait, les experts du marketing nous proposent différentes méthodes, rappelle Marc Thébault qui s'attarde sur deux d'entre elles : celle de Vincent Gollain, plutôt axée sur l’économie et intitulée « CERISE REVAIT », et celle du portrait identitaire « sensible », de Joël Gayet.
Dépasser les poncifs et le portrait rationnel pour révéler les valeurs du territoire
À Caen-la-Mer, l’exploration a porté sur les éléments symboliques caennais déjà présents, les appellations déjà utilisées sur le territoire, l’étude de la concurrence, etc. avec une ligne de conduite : dépasser les poncifs, ceux d’une aire urbaine de 400 000 habitants au bord de la mer, aller au-delà du recensement du « patrimonial matériel » (chiffres-clés, équipements, événements, classements, etc.) pour s'orienter vers la révélation du territoire et la mise en avant de ses valeurs.
Un travail exploratoire, mené avec les parties prenantes : les habitants, interrogés sur le portrait, et les partenaires, pour leur faire valider la valeur principale retenue : la liberté. « Il faut amener nos élus vers la révélation du territoire et la mise en avant de ses valeurs collectives ancrées donc uniques. »
Pour arriver à dépasser les poncifs et la liste des caractéristiques du territoire, Marc Thébault invite à considérer les territoires comme des personnes. « Des personnes morales, d’accord, mais des personnes d’abord. Et comme pour toute vraie personne, c’est toujours la révélation de l’intime qui est plus captivante que l’étalage des muscles. C’est toujours ce qui rend les personnes uniques qui attise l’attention et déclenche l’attachement. »
L’identité d’un territoire ne se décrète pas : tenir ses promesses
« Le travail de l’identité n’est pas une coquetterie. L'identité n’est pas l’unique clé de la réussite d'une démarche. Mais elle en est le socle et n’a de sens que si elle fonde durablement les actions et les offres de services du territoire », souligne Marc Thébault. Ce recensement et cette sélection d'atouts immatériels et matériels vont mettre à disposition toute une gamme d’arguments de laquelle seront extraits :
- ce qui suscitera l’engagement des acteurs locaux ;
- les preuves qui rendront les offres territoriales plus crédibles et plus bénéfiques que celles des concurrents ;
- une dynamique qui donne un sens au mouvement du territoire.
Cela permettra de proposer aux cibles visées des arguments perceptibles car adaptés à leurs attentes.
Les élus ont dépassé le côté extatique : si la réalité ne valide pas la promesse, la démarche de marketing est vouée à l’échec.
Marc Thébault
Tout ce travail identitaire ne peut se faire que si le territoire est en paix avec lui-même. Et si l'on en revient à considérer le territoire comme une personne, « c’est la connaissance des névroses territoriales, des pannes de libido, des défauts trop prégnants – la composition de l’âme territoriale en quelque sorte – qui indique les blocages à lever ». Pour pouvoir séduire, il faut être séduit soi-même, conclut Marc Thébault.
Crédit illustration principale : Scenarii pour Caen-la-Mer