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Revenir sur le cumul des mandats, c’est revenir à l’homme providentiel… et au patriarcat !

Publié le : 21 janvier 2025 à 07:07
Dernière mise à jour : 23 janvier 2025 à 15:03
Par Vincent Lalire

Dans sa déclaration de politique générale, le nouveau (nouveau) Premier ministre a été clair : « Nous devons obligatoirement reposer la question de l’exercice simultané d’une responsabilité locale et nationale. » Quelle ne fut pas ma surprise, lors d’un récent Comité de pilotage Cap’Com, de constater que certains jeunes homologues dircoms, parmi les plus estimables, envisageaient eux aussi d’un très bon œil le cumul des mandats. Pour être plus tranquilles, peut-être ?

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Par Vincent Lalire, membre du Comité de pilotage de Cap'Com, responsable de la communication interne du département de la Seine-Maritime, enseignant en communication politique.

Sans polémique aucune, revenons sur cette merveilleuse France d’avant : celle où nos maires se faisaient également élire député, sénateur, président de conseil départemental (on disait général à l’époque), président de conseil régional et autre mandat.

Mais, avant cet émouvant flash-back, écoutons de façon objective les arguments des partisans du cumul. Si la France va mal, disent-ils, c’est que nos parlementaires sont déconnectés de la réalité. Si notre pays part à la dérive, c’est que nos maires sont assignés à résidence. Bref, Paris et la Province ne se parlent plus ! « C’était bien différent du temps de Guy Lux et d’Intervilles », croit-on entendre. Les moins de 30 ans ignorant certainement cette référence télévisuelle, replongeons dans la France « pattes d’eph’ » des années 1970 et 1980.

Au temps de Guy Lux donc, le fameux député-maire (pour ne garder que cette hypothèse) se partageait entre son fief électoral et l’Assemblée nationale. À mi-temps auprès de ses citoyens, à mi-temps auprès des huiles parisiennes. Ne ratant sous aucun prétexte le marché du dimanche matin de sa commune pour serrer des mains, ni les questions au gouvernement du mercredi après-midi au palais Bourbon pour briller devant les caméras de FR3.

Qu’il avait fière allure, notre député-maire (100 % masculin) avec son écharpe tricolore autour du cou et sa cocarde tricolore posée à l’avant de sa DS Citroën. Le plus souvent, il présidait même l’assemblée départementale : quitte à être irremplaçable, autant l’être partout. Pas un ruban ne lui échappait : du petit rond-point de quartier au contournement périphérique de son territoire. Un petit mot au ministre des Transports, une subvention de l’État, une paire de ciseaux, un joli sourire au photographe : le tour était joué… et sa réélection assurée.

Seulement voilà, au début des années 1990, l’abominable moralisation de la vie politique a commencé son travail de sape. D’abord en encadrant juridiquement le financement des campagnes électorales. Du jour au lendemain, il ne fut plus possible au député-maire de bénéficier des largesses de ses plus fidèles soutiens (souvent bénéficiaires de marchés publics) pour payer ses tracts et affiches. Diantre. Un peu plus tard, on lui demanda de ne plus confondre la communication de sa commune et sa propagande électorale, au risque d’invalider son élection et de le rendre inéligible. Fichtre. Mais le coup de grâce fut incontestablement donné par l’injonction de choisir entre ses deux mandats.

Que visaient donc les promoteurs de la loi sur le non-cumul des mandats ?

D’une part, faire du parlementaire (député ou sénateur) un véritable acteur des choix politiques engageant la nation. Disons-le, le pouvoir législatif était jusqu’alors la victime collatérale de l’absentéisme structurel du député-maire. À force d’être au four et au moulin, on devient mauvais boulanger.

D’autre part, le non-cumul devait mettre le législateur à l’abri de la pression amicale des lobbies de son territoire. Combien de maires ont-ils combattu des lois simplement parce qu’elles n’allaient pas dans le sens de leur réélection ? Un amendement bien placé, c’était 1 000 voix de gagnées.

Enfin, et cela est souvent oublié, le non-cumul devait aussi permettre de renouveler le personnel politique, notamment féminin. Un député qui n’est plus maire (et inversement) laisse forcément émerger une nouvelle personnalité locale pour occuper le siège vacant. Enfin de nouvelles têtes !

Mais voilà, en dépit de ses nombreuses vertus, des personnalités politiques remettent aujourd’hui en cause la loi du 14 février 2014 interdisant le cumul des mandats. Ou plus exactement (la nuance est fondamentale) interdisant l’exercice de deux mandats exécutifs simultanés. Car, jamais, au grand jamais, la loi n’a empêché un député de siéger comme simple élu au sein d’un conseil municipal, départemental ou régional. On repassera donc sur le caractère forcément hors sol du député.

Disons-le clairement, revenir sur le non-cumul, ce serait revenir à la France d’avant. Celle de l’homme providentiel. Tellement compétent qu’il ne souffrait d’aucune concurrence possible au sein de son territoire. Tellement habité par le pouvoir qu’il était le seul à savoir ce qu’il faut décider au niveau local et national. Dialoguer en local avec un autre élu que soi-même, non merci.

Mais plus encore, revenir sur le non-cumul, ce serait revenir au patriarcat. Celui qui permettait – des années 1960 aux années 1990 – aux maris d’offrir de l’électroménager à leur épouse. Celui des notables de province auprès desquels on s’arrachait les faveurs. Celui des baronnies municipales (parfois transmises de père en fils) qui étouffaient toute velléité d’émancipation locale. Celui d’avant #MeeToo ?

Le mandat exécutif unique, c’est l’assurance, pour les dircoms que nous sommes, d’avoir un ou une maire 100 % présent, impliqué, concerné.

Alors oui, chers collègues communicants, gardons le non-cumul. La souveraineté absolue, fût-elle servie par le suffrage universel, n’a pas sa place dans une France moderne. La démocratie, c’est l’alternance, c’est l’émergence permanente de nouveaux talents, c’est le partage apaisé du pouvoir. Le mandat exécutif unique, c’est l’assurance, pour les dircoms que nous sommes, d’avoir un ou une maire 100 % présent, impliqué, concerné, qui ne pense pas en permanence à son destin national. Vivre, c’est choisir. Alors maire ou député mais pas maire et député ! Et si, à l’instar du mandat du président de la République, nous limitions aussi l’un et l’autre dans le temps ?

Illustration générée à l'aide de l'intelligence artificielle