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Sommes-nous condamné·e·s à être des idiot·e·s confiant·e·s ?

Publié le : 5 septembre 2017 à 11:23
Dernière mise à jour : 26 mars 2018 à 13:58
Par Marc Thébault

Lorsque, grâce au temps offert par quelques congés patiemment gagnés, heure par heure, tout au long d’une année de surbookage chronique, on tombe sur ce genre article : « Pourquoi les gens les plus incompétents se croient meilleurs que les autres » (à retrouver ici), inutile de vous dire que tout le monde se jette dans cette lecture, moi le premier, histoire de vérifier qu’on a bien raison de penser ce que l’on pense de certain·e·s, et histoire également de trouver des arguments scientifiques (l’article est en rubrique « Psychologie ») pour pouvoir, enfin, expliquer pourquoi cela ne va plus être possible de travailler avec Truc ou Machin.

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Cerise sur le gâteau, c’est aussi l’occasion de se laisser aller, in petto tout du moins, à une revue de détail des collègues, où le surmoi lâchera prise pour permettre au ça de vider, il était temps, son sac !

Côté arguments scientifiques, nous sommes servis car nous ressortons de la lecture en ayant complété notre lexique avec « l’effet Dunning-Kruger », ou « effet de surconfiance », qui sera du meilleur effet dans un dîner mondain ou en Comité de Direction. Si vous ne l’avez pas encore fait, vous lirez le détail dans l’article. Pour se résumer, on n’est pas loin de ce type de citations qui naviguent régulièrement sur les réseaux sociaux : « Le problème du monde, c'est que les imbéciles sont présomptueux et les gens intelligents bourrés de doutes » (version attribuée à Bertrand Russel) ou « Le problème avec ce monde est que les personnes intelligentes sont pleines de doutes tandis que les personnes stupides sont pleines de confiance » (version attribuée à Charles Bukowski). Choisissez celle qui vous cause le plus.

Mais l’essentiel de l’article n’est peut-être pas là. En effet, comment pourriez-vous penser que j’écrive exclusivement un billet autorisant une forme de calomnie, moi qui ne suis que bienveillance et émerveillements permanents, sans penser à en tirer quelques leçons pour notre champ professionnel ? Effectivement, ce qui m’a le plus marqué, c’est cette phrase « Nous sommes des machines à désinformer ». Nous voici résolument au cœur de nos préoccupations communicantes non ?

Que précise l’article ? D’abord que ces résultats sont assez attendus car « ainsi est fait l'humain : irrémédiablement confiant en ses propres capacités, et incapable d'admettre son ignorance ». Le problème résiderait peut-être, finalement, plus dans le fait que « nous sommes non seulement nuls pour nous juger, mais tout aussi nuls pour juger les autres … [De plus] … la logique elle-même suppose ce manque de clairvoyance : pour que les incompétents reconnaissent leur inaptitude dans un domaine, il leur faudrait posséder précisément l'expertise qui leur manque […] Voilà ce qu'illustre réellement l'effet Dunning-Kruger : la relation entre la cognition et la métacognition, qui rend excessivement difficile l'évaluation d'une capacité chez soi-même ou les autres dès lors qu'on ne la possède pas. ».

Il précise également, et nous allons côtoyer de près les théories des représentations sociales, que pour Dunning « le problème ne vient pas de l'absence d'information mais de la désinformation à l'œuvre derrière les stores de notre boite crânienne […] nos cerveaux, et leur imagination sans limites, sont des machines à désinformer, en créant des certitudes de toutes pièces au mépris de la rationalité. Couplé à notre incapacité à évaluer correctement nos capacités, ce talent inné pour la fabrication de « savoir » ex nihilo nous transforme en ignorants certains de leur talent ».

Ajoutons à cela une dose de dissonance cognitive, de « croyances sacro-saintes » et voilà que l’on note, malheureusement, que « remettre en question une de ces sacro-saintes certitudes revient à remettre en question l'entièreté de sa vision de soi. Et ça, notre esprit s'y refuse catégoriquement. Nous préférons donc le confort (de l’illusion – ndlr) à la véracité des faits, pourtant irréfutable … ». À partir de tout cela, évidemment, des interrogations, sachant que la vente de mensonges considérés comme acceptables en lieu et place de vérités délicates à énoncer est un sport que tout communicant a un jour pratiqué sur le mode « Les gens y comprendront pas, y’a qu’à dire que … ». Je vous laisse le soin de finir la phrase.

Si l’on part du postulat que la communication, entendre « boucles d’échanges », ne peut se concevoir sans prise en compte de l’Autre dans ce qu’il est réellement et non pas dans ce que nous croyons qu’il est, et que l’ensemble doit se faire sans jugement de valeurs et sans prise de position dominante par l’un ou l’autre, on sent bien qu’on n’est pas sorti de l’auberge et que sur notre planche les pains sont innombrables. Et on tâchera de s’en souvenir avant d’entrer en réunion avec des commerçants au sujet de futurs travaux qui vont supprimer des places de stationnement. Ou avec des adeptes du vélo qui viennent revendiquer de futurs aménagements. Ou encore, tenez, avec cette association qui vient d’installer un squat dans cette ancienne école en attente de travaux. Ou, enfin, avec des collègues qui ont tellement de « sacro-saintes croyances » à partager avec vous (et malgré vous) sur vos fonction et sur l’utilité finale de votre direction mais qui pourtant portent des projets que vous connaissez mal ou pas du tout et que vous allez devoir promouvoir. Au risque, sinon, de ne plus être dans la communication, mais dans de la propagande, du dialogue de sourds ou du combat de coqs …

Voilà un beau défi qui consisterait à nous permettre de nous détacher totalement de nos propres convictions, de nos propres croyances, de notre esprit militant ou « fan de », de nos généralisations à outrance pour, en ayant pleinement conscience de nos capacités mais aussi de nos limites, accepter de considérer l’Autre et le monde tel qu’ils sont, et non pas comme le sont nos cercles habituels de relations ou comme cela nous arrangerait qu’ils soient. Ou, au moins, de savoir à partir de quand on commence à se désinformer soi-même, et les autres dans la foulée, car « pour échapper à l'idiotie confiante, conclut Dunning, rappelons-nous que la vraie sagesse réside dans la conscience de ses limites intellectuelles » …

La prochaine fois, nous parlerons empathie et ouverture d’esprit.