Sondages : quelles sont les questions ?
Sont-ils crédibles ou douteux, nécessaires ou inutiles, éclairants ou néfastes ? Réponses ou NSP (ne sait pas ou ne se prononce pas).
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
Bon gré, mal gré, nous sommes dans le bain des sondages. Levons la tête hors de l’eau pour y voir plus clair.
Quel est l’état des lieux ?
Nous ne connaissons que le haut de l’iceberg. La grande majorité des instituts produisent uniquement des études de marché et des études marketing aux résultats confidentiels. Parmi ceux qui réalisent des études d’opinion, celles-ci ne représentent qu’une part du chiffre d’affaires : 13 % pour BVA ou 7 % pour Ipsos. Certaines de ces études ne sont pas, non plus, rendues publiques.
Le nombre de sondages politiques a explosé. Pour l’élection présidentielle, ils ont été multipliés par quarante entre 1965 (14 sondages) et 2017 (560). Record probablement battu cette année.
Les études d’opinion à caractère politique connaissent la même inflation. Au SIG (Service d’information du gouvernement), le budget « sondages » a été de 1,4 million d’euros en 2017, 1,9 en 2018, 3,3 en 2019 et 2,6 en 2020 dont 40 % portaient sur l’épidémie de covid-19. Au total, l’exécutif a eu recours à 225 études pendant la crise sanitaire.
Les sondages politiques polluent-ils l’élection ?
Leur parution dans les médias joue un grand rôle dans le débat public, les commentaires des candidats et détermine une partie des votes, notamment en renfort d’une dynamique positive en faveur d’un candidat. Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’université de Lille, analyse ainsi le phénomène : « Plutôt que porter sur la confrontation des idées et des programmes, sur des visions politiques et des enjeux pour la France, les débats se concentrent sur les indications, sur les tendances sur les prétendues attentes des Français. Les candidats n’assument pas des idées, ils les testent en fonction de retours chiffrés instantanés. » Philosophe et chercheure associée de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (CNRS-EHESS), Valérie Charolles formule le même diagnostic : « Alors que le vote est réputé secret, les sondages heurtent ce principe. Ils prennent le pas sur les programmes, donnant l’impression que l’élection est un pari sur le “cheval” gagnant. »
Faut-il interdire les sondages ?
« Pour éviter que le débat politique ne soit ainsi perturbé, il serait judicieux d’interdire la diffusion de sondages à l’approche d’une élection », propose Jean-Philippe Derosier. Donc, selon lui, interdire la publication, pas la réalisation. Damien Regnard, sénateur pour les Français établis hors de France, va plus loin. Il a déposé, le 28 avril, une proposition de loi visant à interdire la réalisation et la diffusion de sondages, pas seulement la veille et le jour du scrutin, mais « à compter du deuxième lundi précédant le scrutin », c’est-à-dire deux semaines avant le vote. Comme d’autres, Jean-Philippe Derosier s’interroge : « Pourquoi ne pas les interdire généralement ? » Il répond lui-même : « Leur interdiction totale constituerait une atteinte à la liberté d’expression. »
Les sondages politiques sont-ils crédibles ?
Ratage historique : lors de l’élection présidentielle de 2002, aucun institut n’avait indiqué la possible présence de Jean-Marie Le Pen au second tour et l’élimination de Lionel Jospin. Mais, ont souligné… ensuite les experts, l’écart entre les deux (14 % et 16 %) était faible. De manière moins spectaculaire, avant le récent second tour, le score de Jean-Luc Mélenchon a été sous-estimé de quatre à cinq points. Défense de Brice Teinturier, directeur général délégué d’Ipsos : « Le vote se fait de plus en plus dans les derniers jours. » Le contexte et les conditions dans lesquelles les sondages sont réalisés n’en font pas des outils totalement prédictifs, ce qu’ils ne revendiquent d’ailleurs pas. Alors, pourquoi se priver de cet instrument avec prudence, sans surinterpréter les résultats ? Mon petit doigt me dit que ça vaut mieux… que le doigt mouillé.
Depuis 2016, la loi oblige les instituts de sondage à publier les marges d’erreur (ou intervalle de confiance). Ce n’est pas toujours le cas de manière claire, en particulier dans les médias qui, souvent, simplifient à l’excès les chiffres d’un exercice complexe. Valérie Charolles, à rebours du cliché, pense que « les sondages ne sont pas une photographie de l’électorat à l’instant T, mais une stylisation, un cliché éminemment flou : un échantillon de 1 500 ou 2 000 personnes sur 48 millions d’électeurs contient par principe de l’incertitude ».
À quoi sondages et études d’opinion peuvent-ils nous servir ?
Bien sûr, il y a, non pas le pifomètre, les bavardages de couloir ou les idées fausses, toutes faites, assénées avec assurance, mais notre regard… nécessairement affûté sur notre environnement ou la fine perception d’un élu expérimenté sur la température chez les habitants. Cependant, rationaliser notre connaissance et notre compréhension de ce qui se passe autour de nous est très utile dans trois domaines.
- Au plan national sur les tendances, les mutations, les valeurs de la société, comme le baromètre annuel « En quoi les Français ont confiance aujourd’hui » (OpinionWay/Sciences Po (CEVIPOF), « Le cœur des Français - Trajectoires et perspectives partagées par les Français en 2021 » (Harris Interactive pour Challenges) ou le solide et passionnant baromètre « Fractures françaises » (Ipsos/Sopra Steria pour Le Monde, la fondation Jean Jaurès et l’institut Montaigne).
- Dans notre territoire… si nous en avons les moyens, sur l’image de la collectivité et la perception des politiques publiques. Ainsi, le baromètre que le DGS et moi avons mis en place, quand j’étais dircom du Gard, avait donné deux résultats de première importance pour la conduite de la communication. Une majorité des Gardois interrogés : se sentaient dépossédés du site du pont du Gard, aménagé et embelli, mais à l’accès moins libre ; ou attribuaient le RSA à l’État et ignoraient le rôle du département.
- Dans notre univers professionnel, les études que Cap’Com lance ou accompagne fournissent de précieuses indications sur nos métiers et nos pratiques. Les dernières réalisées : « La marque employeur », « L’état d’esprit des dircoms », « Les communicants des petites collectivités ». Quant à la nouvelle vague du très attendu Baromètre de la communication publique, réalisé avec Harris Interactive et Epiceum, elle est en préparation.
Deux sources pour BIEN s’abreuver
- « La fabrique des sondages ». Une énorme enquête de Luc Bronner, grand reporter et ancien directeur des rédactions au Monde. Pendant six semaines, sous des identités factices, il a répondu à plus de 200 sondages. Il raconte les coulisses et décortique les méthodes des instituts.
- L’Observatoire des sondages. Fondé par Alain Garrigou, professeur de sciences politiques à l’université de Paris Ouest-Nanterre, il rassemble les travaux de chercheurs sur les différentes facettes des sondages : aspects méthodologiques des enquêtes et des statistiques, usages confidentiels et commentaires politologiques ou journalistiques.