Sur le web, les habitants préfèrent leurs pairs à leur maire !
Beaucoup de questions sur les territoires circulent sur le web et les réseaux sociaux. Et, pourtant, la plupart de leurs auteurs sont souvent des habitants de ces territoires ! Mon étonnement, c’est qu’ils se tournent d’abord, pour obtenir des réponses à leurs interrogations, vers les autres habitants plutôt que vers les acteurs publics qui ont pourtant la réponse (en théorie). En somme, on préférerait le bouche à oreille, même numérique, même non sourcé de façon fiable, aux informations « officielles » ?
Par Marc Thébault, consultant en attractivité territoriale et communication publique, ancien responsable de la mission attractivité territoriale de Caen-la-Mer.
Autant l’avouer, j’aime jeter un œil sur les publications de pages, beaucoup sur Facebook, dédiées à une ville, une interco, un département, etc. Elles sont indépendantes a priori de toutes initiatives publiques et sont reconnaissables à leur nom qui varie entre « Vivre à... », « Bouger (ou « Sortir ») à... » et « Les bons plans de... ». Très communautaires, elles publient nombre d’infos et d’idées. Et suscitent en général un grand nombre de commentaires ou de likes. Elles sont également l’endroit où assez régulièrement des questions sont posées. C’est là que cela devient intéressant pour la communication publique.
D’abord, il y a des questions qui auraient, normalement, des réponses sur les sites internet des collectivités, car elles concernent directement leurs compétences, leurs services : formalités administratives, horaires d’équipements sportifs ou culturels, recherche de loisirs ou d’associations, dates d’un événement ou d’une expo, transports en commun, collecte des déchets, propreté, etc.
Ensuite, il y a des questions, et souvent nombreuses, dont les auteurs trouveraient leur salut sur les sites des offices de tourisme : recherche d’hôtels ou de restaurants (avec précision de critères spécifiques), pistes pour gîtes, chambres d’hôtes ou locations de salles, endroits où pique-niquer loin de la foule, promenades originales, idées d’occupations d’enfants ou d’ados, activités à faire le week-end, expositions à voir, où promener son chien, etc.
Il y a enfin des questions que tout bon responsable d’attractivité ne devrait absolument pas laisser passer, notamment lorsqu’elles commencent par « Venant d’arriver à... », ou « Notre famille arrive à… dans quelques semaines », voire « Pensant nous installer à... ». Et souvent la question de l’emploi est soulevée, sans savoir que pas mal de territoires ont désormais des « job board ». Mais je vais garder cette troisième catégorie pour un prochain billet et me concentrer, ci-dessous, sur les deux premières.
Ce qui est frappant, c’est l’absence du réflexe de poser la question à celles et ceux qui ont pourtant la réponse : les institutions publiques ou les offices de tourisme.
Bien sûr, on sait que, les réseaux sociaux étant entrés quasiment dans le quotidien de tout le monde, c’est devenu un automatisme de poser une question à la cantonade numérique plutôt que d’effectuer soi-même, et même si cela ne dure que quelques minutes, une recherche sur Google (ou autre moteur de recherche). Mais ce qui est frappant, c’est l’absence du réflexe de poser la question à celles et ceux qui ont pourtant la réponse : les institutions publiques ou les offices de tourisme. Ou alors cela a été tenté et le seul résultat a été une grande déception ? Allez savoir !
Concernant les institutions publiques, on va d’abord se dire que, peut-être, les habitants n’ont pas toujours une connaissance précise de qui fait quoi (détail : je crois qu’on constatait déjà la même chose dans les années 1990…). Et, même si l’impact des intercommunalités, par exemple, date déjà de plusieurs décennies, il faut croire que le flou persiste et que nombre d’habitants ne savent toujours pas qui gère la piscine ou la bibliothèque, qui collecte les encombrants ou qui s’occupe des permis de construire ou des espaces verts. Une remarque en passant : quelques villes aiment entretenir la confusion et omettent parfois, les coquines, de préciser que certaines de leurs compétences ont été transférées à l’EPCI du coin. Bref...
On pourrait ensuite se demander si les habitants n’ont pas plus confiance dans leurs semblables que dans les sites officiels, tant pis si les réponses obtenues sont approximatives, au mieux, ou totalement erronées, au pire. D’ailleurs, le 7e Baromètre des relations entre les Français et l’information locale (millésime 2022) indiquait que le deuxième moyen de s’informer, derrière le magazine (score de 78 %), est ce fameux « bouche à oreille » (score de 77 %).
On pourrait aussi s’attarder sur l'ergonomie de ces sites publics et sur l’absence majoritaire de moteurs de recherche intégrés vraiment performants (mais je suis preneur de contre-exemples). En somme, des sites publics qui tardent à être vraiment « user centric » (là aussi, je crois qu’on en parle depuis au moins dix ans) et qui imposent bien trop de clics avant d’arriver au bon endroit, le tout avec une logique d’organisation des menus un tantinet trop administrative. Du coup, direction Facebook pour interroger celles et ceux qui se sont peut-être donné la peine de chercher avant. Cerise sur le gâteau, les pairs répondent même le week-end ou même tard le soir. Je dis ça… Vous connaissez la suite.
Côté offices de tourisme, doit-on y voir le fait que, pour la plupart des personnes du territoire, leur but serait uniquement de prendre en charge des visiteurs de passage, et non les habitants eux-mêmes ? Pourtant, si je ne m’abuse, et notamment depuis 2020, et les restrictions de déplacements, le développement du marché touristique « intérieur » a concerné nombre de territoires, de même que l’incitation à redécouvrir le patrimoine local. De mon côté, j’ai arrêté de compter le nombre de fois où je répondais à des questions, comme n’importe quel quidam, en renvoyant systématiquement sur la page de l’office de tourisme où se trouvait la bonne réponse. Mais, pour être honnête, les questions sur l’ergonomie des sites publics que je posais ci-dessus sont certainement à évoquer aussi pour les sites des OT. Idem pour les questions de dates. Pourtant, les agendas en ligne des offices sont souvent les plus complets et les mieux renseignés de tous ceux qui existent sur le net. Mais visiblement les habitants ne le savent pas. Et se pose forcément la question des relations entre directions de la communication des collectivités et ces offices. Quid d’une collaboration, du partage des tâches, de la connaissance de ce que chacun fait ? Évidemment, je ne veux pas croire que des rivalités internes (rivalités de structures ou d’ego) bloqueraient d’attendues synergies. Mais qui sait ?
Bien sûr, il n’est pas question de tenter de supplanter ces pages indépendantes par d’autres, gérées par des institutions publiques. Et, détail à prendre en compte pour les collectivités, ces pages indépendantes bénéficient d’un taux d’engagement souvent bien supérieur à ceux de nos institutions. Il serait en revanche bienvenu que d’ambitieux projets soient menés, en mutualisant sites ou pages, informations et agendas, comme la visibilité des services proposés, histoire que chacun ne fasse pas, de manière cloisonnée, isolée, incomplète, et peu visible du grand public, la même chose. Et histoire que les habitants connaissent, utilisent et recommandent des portails (avec ou sans IA) simples et complets.
Illustration : John Schnobrich – Unsplash.