Un entre-deux insupportable
Cette parenthèse ouverte dans le temps des élections n’est pas seulement un purgatoire démocratique, c’est un enfer pour certains collègues. Soyons solidaires !
Par Yves Charmont, directeur de Cap'Com
Le Covid-19 a courbé l’espace-temps des élections municipales comme un trou noir celui de l’univers. L’épidémie, par sa gravité, a étiré le temps des scrutins jusqu’à le faire tendre vers l’infini, dans une équation mathématique insoluble. On pense retrouver le second tour… mais dans quel état physique ? Solide, liquide ou gazeux ? Et poser la question du quand revient à vouloir observer le chat de Schrödinger. Il y a là un horizon indépassable. Osons la métaphore physique jusqu’au bout, ce n’est pas un mur de Planck, mais un mur de plans… sur la comète !
Braves soldats en rase campagne électorale
Et dans ce vide sidéral, que deviennent les oubliés de Dieu, les soldats de la démocratie, qu’invoquait Bernard Deljarrie en ouverture du 31e Forum de la com publique à Bordeaux : les communicants publics ?
- Il y a ceux dont les missions ont été déterminées dès le premier tour, en général par une réélection de l’équipe sortante, et qui désormais sont attelés à la phase de début de mandat, les chanceux ! (et avec le report des conseils municipaux d'installation, une patenthèse vient là-aussi de s'ouvrir - ndlr - 20/03/2020)
- Il y a ceux dont le cadre de travail n’est pas remis en cause par le vote citoyen du 15 mars 2020, quand les maires/candidats ont terminé honorablement la course en tête et pourront, avec ou sans éventuelles alliances, proposer à leur territoire un programme en continuité du précédent mandat (mais il ne faudrait pas que l'ensemble des élections soit rejoué dans plus de trois mois).
- Et il y a ceux, et je pense particulièrement à eux, dont le premier magistrat a pris le premier tour comme un missile sol-air d’origine inconnue, dont l’aile (droite ou gauche, à choisir) a volé en éclats et qui se précipite de façon irrémédiable vers le sol sans espoir de pouvoir sauter en parachute.
Gare au germe quand vous aspirez…
… car la faille qui s’ouvre sous vos pieds va étendre les mesures de restriction de la communication publique en période préélectorale pour plusieurs mois. Cet assèchement et cette période de doutes, d’atermoiements, de lutte pour ne pas céder et faire le mauvais pas, ce ramadan communicationnel (petite pensée pour ceux qui vont en plus commencer le ramadan, le vrai !) seront déjà une épreuve d’endurance, par allongement, par doublement ! Imaginez un marathon, puis, à l’arrivée : « On repart dans le sens inverse, bonne course ! » De plus, la communication hyper sécurisée de la période préélectorale jouxtera une phase de communication sanitaire de crise et d’accompagnement des équipes en télétravail, des agents réquisitionnés, des citoyens confinés ! L’exercice va demander aux communicants publics du tact, du métier, de l’endurance et du sang-froid ! Il ne s’agira pas de manquer de souffle dans un air devenu irrespirable dans les deux sens du terme. Les germes honnis seront autant biologiques que politiques. Je sais, par expérience, que ce sera invivable pour les collègues de troisième catégorie, ceux qui vivent une atmosphère de fin de règne, sans voir arriver le second tour au tranchant libérateur.
Électeur, fais ton office
On peut facilement deviner le jeu d’acteur dans cette tragédie en deux actes :
- le ou la maire, trahi(e) par sa base électorale, voyant fuir la dynamique de la victoire au profit d’opposants motivés et excités par l’hallali ;
- l’équipe de la DG, prenant la mesure du bouleversement à venir, repliée sur ses bases statutaires ;
- le cabinet du maire, tentant la dernière manœuvre, cherchant à faire le maximum dans le temps restant, désignant les raisons de l’insuccès (comme la com bien souvent)…
Bref, on s’agite comme un poisson hors de l’eau. Mais cette période, qui dure sept longs jours, connaît son repli, son reflux, sa décrue et la direction de la communication, bien souvent liée au sort des maires et de leurs cabinets, fait ses valises. On en connaît même qui ont eu plusieurs mois pour les faire, tendance observée il y a six ans. C’est alors humainement gérable. Sauf qu’aujourd’hui, il y en aura pour trois mois de purgatoire infernal. Trois mois de malaise dans les couloirs. Trois mois d’agitation stérile. Trois mois de charrette tirée dans les rues avant que l’électeur ne fasse son office.
Soyons solidaires
Ce qui n’est pas supportable seul peut s’affronter à plusieurs. Il sera encore plus important pour les collègues, prisonniers de cet entre-deux démocratique, de pouvoir s’appuyer sur leur métier. Car oui, au fond, c’est notre planche de salut.
Quand les élus ne s’occupent pas de votre reclassement (tous ne sont pas élégants), quand les clans politiques n’ont plus d’entregent (et l’influence des partis est plus que réduite), quand le statut n’est pas un filet de sécurité (merci les CDD), il faut se tourner vers ce que l’on a de plus précieux : notre métier.
C’est une expertise, mais c’est aussi une somme de savoir-faire, et avoir exercé à la direction de la communication d’une collectivité est un atout dans le monde agile qui nous entoure. Gestion de projets, de concertation, de réseaux sociaux, de groupes internes, de produits éditoriaux, de campagnes multicanal, d’événements… le métier de communicant public ouvre des espaces et atteste de solides compétences. Le réseau Cap’Com est là pour en témoigner. C’est par le réseau que beaucoup trouveront le soutien dans cette période difficile ; c’est en investissant le réseau que tous peuvent animer solidairement une profession parfois bousculée.
Chers collègues d’entre-deux-tours, nous pensons à vous. Courage.