Ainsi, la communication ne s’apprendrait pas ?
Le hasard de ma lecture de certaines publications sur les réseaux sociaux m’a donné envie de revenir à un billet sur le mode « humeur », sous-entendu « mauvaise humeur ». Cette fois, il est question du métier de communicant, qui serait l’un des rares où toute formation en amont serait superflue. Ce qui compterait, c’est d’être fait pour ça, ou pas. C’est un résumé. Regardons le détail…
Par Marc Thébault, consultant en attractivité territoriale et communication publique, ancien responsable de la mission attractivité territoriale de Caen-la-Mer.
Cette fois, je suis énervé. Enfin, agacé surtout. Et, comme souvent, à cause des réseaux sociaux. Cependant ce n’est pas X qui est à l’origine de ma mauvaise humeur – et pourtant il y a de quoi y puiser sans fin de bonnes raisons de monter dans les tours – mais LinkedIn. Sur ce dernier, pour une fois, ce n’est pas en raison du mode hyper enjoué des « coachs de vie », des « activateurs » et autres tenants de recettes miracles pour développer notre chiffre d’affaires. Non, c’est un post de communicant (enfin, « agence de communication ») qui m’a interpellé.
En effet, au détour d’un scrollage distrait, je suis tombé sur ce post au titre alléchant :
« Je n’ai pas de diplôme en communication.
Pourtant :
- je suis capable de voir ce qui cloche dans une communication en quelques minutes ;
- je peux imaginer un plan de communication à partir d’une problématique en quelques instants ;
- je sais exactement comment je communiquerais si j’étais à votre place.
Bâtir une stratégie de communication d’entreprise ne s’apprend pas à l’école. Pour moi, la com est un métier de terrain, de pratique et de retour d’expérience.
Cela fait vingt ans que j’accompagne des entreprises, petites ou grandes, sur leur problématique de communication. En vingt ans :
- j’ai pu traiter des centaines de cas de communication institutionnelle, commerciale, digitale, locale, interne, externe, de crise, BtoB, BtoC et BtoBtoC ;
- j'ai pu apprendre les différents métiers de la communication aux côtés de spécialistes, de collaborateurs et de partenaires brillants dans leur domaine.
Et parce que la communication et l’entreprise sont des mondes en constante évolution, j’en apprends encore tous les jours.
Je n’ai pas de diplôme en communication, et pourtant, il y a vingt ans, j’ai choisi d’en faire mon métier. »
Et pas mal de commentaires applaudissent des deux mains. Extraits :
- « Je te rejoins totalement sur le fait que la com est totalement un métier de terrain et que c'est l'expérience qui fait progresser ! Pas besoin d'avoir un bac +5 en communication pour devenir expert dans ce domaine » ;
- « La pratique et l'expérience sur le terrain surpassent l'éducation formelle. Un diplôme c'est bien. Si derrière tu travailles, tu nourris tes connaissances et tu continues d'apprendre. Sinon ça ne sert à rien » ;
- « Sur la question je suis totalement en phase avec vous. En communication, bien plus que les diplômes, ce sont les compétences qui font la différence. Et les compétences s’acquièrent sur le terrain, au fil du temps et des expériences (cas traités) » ;
- « Je suis ravie de lire un post qui parle… de moi. Les meilleurs communicants ne sont pas forcément sortis des écoles de com. Merci pour votre post » ;
- « Je n'ai pas de diplôme en communication et pourtant je travaille dans la communication depuis plus de quinze ans, je suis autodidacte mais j'ai toujours été passionnée et bien accompagnée ! Je suis une communicante dans l'âme », etc.
D’autres interventions convoquent même notre cher et éminent confrère, Frédéric Fougerat : « La com est un métier, comme dirait un certain Frédéric Fougerat, auquel j'ajouterais : “et pas un diplôme” ! »
Certes, il est aussi noté par d’autres que « Tout métier sérieux s'apprend. Si la com est un métier (#laComEstUnMétier), il doit s'apprendre. Reste maintenant : où se fera cet apprentissage ? Dans une université/école ou sur le tas ? Dans des agences ou dans un service com ? Sous la tutelle d'un mentor/guide aguerri qui en maîtrise les arcanes ou en autodidacte ? Toujours est-il que, s'il faut établir des normes, des standards, une démarche, etc., il faut que ces normes et standards soient transmis. Autrement, c'est la porte ouverte à toutes les impostures. »
Pour le coup, je n’ouvre pas le débat autour de ces affirmations qui enfoncent des portes bien ouvertes en stipulant que l’expérience de terrain est indispensable pour acquérir de l’expertise. En voilà une découverte ! Bien sûr que, à tout prendre, je préfère me faire opérer par un chirurgien chevronné que par un interne qui a encore du lait qui coule du nez. Passons sur ces truismes.
Je reviens au fond. Je le répète, tout cela m’a un tantinet fait monter la tension. Mais, dans le même temps, j’ai fait un rien d’introspection. En effet, je fais partie de cette ancienne génération de communicants publics arrivés dans le métier au début des années 1990, sans le diplôme adéquat (oui, bon, deux années de droit, et le droit mène à tout à condition d’en sortir, dit-on). Je suis donc, et malgré quelques formations suivies dans les sciences humaines et la communication interpersonnelle (dans l’une de mes anciennes vies, lorsque je travaillais dans la formation et l’animation sociale), un autodidacte. Je ne vais donc pas remettre en cause le fait que des autodidactes puissent réussir parfaitement dans leur domaine professionnel.
Mais pour en revenir à mon parcours, assez vite, j’ai senti les limites de l’exercice. Œuvrant aux côtés de collègues qui, eux, avaient une formation universitaire dédiée, j’ai régulièrement mesuré mon manque de fondements théoriques. Pas pour mon ego (enfin je laisse mon psy dire ce qu’il en pense), mais bien parce que je constatais que ce savoir pourrait m’être directement utile. Alors, direction quelques formations supplémentaires, passage d’une maîtrise (cela existait encore à l’époque) et avalage de pas mal de livres. Avec, en arrière-pensée, le sentiment d’avoir perdu du temps : si j’avais eu en amont tout ce socle théorique, j’aurais travaillé mieux et abordé certaines situations avec plus de recul, plus de discernement. En un mot, avec plus de billes.
Alors, me direz-vous, quel est le problème avec le post présenté ci-dessus ? Voilà ce que j’ai répondu à l’auteur. Enfin presque car, pour les besoins de ce billet, j’ai un peu amélioré et complété ce que j’avais écrit sous la pression de mes nerfs. Mais l’essentiel reste intact. Voici donc mon propos :
« Si je peux me permettre, faire croire que la communication ne s'apprend pas est assez contre-productif et ouvre les portes à toutes les incompétences, au-delà de donner une image négative de nos métiers, qui risquent alors de se retrouver rangés aux côtés de l'astrologie ou de la sorcellerie.
Certes on peut avoir des prédispositions personnelles qui font qu'on peut se sentir à sa place dans les métiers de la communication. [Une confidence, j’ai failli être nettement plus agressif, sur le mode : on peut être dans l’illusion qu’une bonne expression orale et qu’avoir la “gueule de l’emploi” (“présenter bien”, donc) sont suffisants. Mais je me suis retenu.]
Pour autant, laisser entendre qu'une formation serait superflue laisse supposer qu'il n'y aurait pas de théories à intégrer, pas de mécanismes de réflexion à comprendre (en somme, que n’importe qui peut faire ce travail sous réserve d’avoir de l’allure (voir ci-dessus) et du bagout).
Dans la communication, un certain nombre de sciences sociales et humaines sont pourtant des socles théoriques indispensables : communication interpersonnelle, sociologie, psychologie sociale, théorie des représentations sociales, sciences politiques, et j'en passe. Et les analyses, y compris universitaires, sur les pratiques professionnelles sont rarement inutiles.
En somme, si on peut compter sur son “feeling” et son expérience, c'est quand même mieux s'ils sont étayés par de solides fondations théoriques qui serviront à bâtir un argumentaire vraiment professionnel (et qui dépassera, je l’espère, le simple “On va faire comme ça, je le sens bien”). »
À ce stade, une précision. J’ai, dans le passé, souvent revendiqué le droit à l’intuition pour les communicants. Et ce « pifomètre » se travaille et s’affine avec l’expérience, c’est une évidence. Mais le nourrir dès le départ avec une bonne dose de théorie est indispensable. « Sentir les choses » ne veut pas dire, à mon sens, qu’il convient d’avoir un don d’extralucide depuis la naissance. Cela veut juste dire que l’on peut acquérir cette compétence d’anticipation, ce savant mélange de savoirs et d’expériences engrangés.
Mais je crois que ce qui m’a le plus agacé, c’est l’image qui est ainsi renvoyée de notre profession. Une fois de plus, laisser croire que tout s’acquiert seulement sur le terrain et que, donc, sous réserve d’avoir l’inné qui va bien et de la motivation (« Je suis communicant dans l’âme », cf. plus haut), on peut se passer de l’acquis académique et ouvrir nos métiers à tout le monde. D’ailleurs, nombre de nos élus et de nos collègues en sont totalement convaincus : la communication, ça ne s’apprend pas, on est doué ou pas pour ça, c’est tout. Sous-entendu : faites gaffe à votre poste, je peux nommer n’importe qui à votre place si ça me chante.
Bien sûr, je garde le meilleur pour la fin, le retour de l’auteur sur mon commentaire. Inutile de vous dire que je me suis retenu à plusieurs reprises pour ne pas lâcher des grossièretés quand j’ai lu : « (…) Bien entendu et vous avez tout à fait raison, c’est d’ailleurs mon principal propos si vous jetez un œil à mes différentes prises de parole (j’ai par ailleurs un diplôme en marketing d’école de commerce). Mon parcours est aussi marqué d’expériences au sein de grandes agences. Je gère aujourd’hui une équipe de personnes diplômées et expertes dans leur domaine. La com ne s’improvise pas et c’est bel et bien un métier. Nous sommes en phase. Merci pour votre apport à ces échanges. »
La vache ! Cette personne a un diplôme en marketing d’école de commerce et nous la joue « Tralala, j’ai pas de diplômes mais comme je suis super doué naturellement, je suis un super communicant ! » ! N’y aurait-il pas des baffes qui se perdent ?
Mais je me suis réfréné en me contentant d’écrire : « C'est donc votre titre qui était provocateur (un truc de communicant ?) [NB : j’ai failli écrire “titre putaclic”, mais vous connaissez ma bonne éducation.] La réalité serait donc que vous avez des diplômes. Confidence : ce n'est pas une tare ! »
Et vous, chères et chers collègues, êtes-vous de la team « Brûlons les facs » ou de la team « Sans technique un don n’est rien qu’une sale manie » (vous avez la référence, j’imagine) ?
Illustration : image générée par IA.