Covid et compublique : une profession sur le pont
Vague après vague, les pays font face à une épidémie inédite et longue. Partout la parole publique est à la fois attendue et contestée. Si l’heure des bilans n’a pas encore sonné, on peut déjà mesurer le chemin parcouru, les changements intervenus et s’accorder sur l’importance qu’a prise l’expertise en matière de compublique.
Tribune d'Yves Charmont, délégué général de Cap'Com, parue sur le site Culture RP le 22 février 2021.
Mutation des canaux de la com
Au premier confinement, il a fallu parer au plus pressé, mais les communicants publics n’ont pas été mobilisés là où on les attendait le plus. Certes, il y eut une com utilitaire, pratique, sur les règles, les contingences en proximité, mais il a fallu en parallèle gérer la satellisation de tous les agents des collectivités pouvant télétravailler.
Et, aux côtés des directions des ressources humaines et des services informatiques, trouver les canaux adéquats pour garder les liens essentiels avec ceux qui font le service public. En effet, de nombreux agents n’avaient pas d’adresse mail du fait de leurs missions, pas d’outils numériques dédiés. Tous n’avaient pas renseigné leurs dossiers personnels avec des adresses électroniques ou des numéros de téléphone portable. Tous n’avaient pas d’accès extranet et tous n’avaient pas vraiment idée de ce qui se passait.
La com est sortie des circuits connus pour inventer, en temps réel, un réseau vivant de relations en distanciel. Mot qu’il a bien fallu intégrer dans les relations citoyennes également. Cette mutation générale des canaux de la com fait dire aujourd’hui à de nombreux spécialistes que nous avons « gagné » au moins cinq ans en avancées technologiques pendant cette période. Des avancées purement numériques, s’entend.
Covid vs web : match nul
Les habitudes des citoyens, des services et des élus ont été bousculées au point que certains freins (présence obligatoire, exigence de papiers avec signature, visioconférences jugées trop complexes) ont sauté. Plus que le recours systématique aux médias et réseaux numériques, c’est bien une culture de l’échange et de la collaboration qui s’est digitalisée en un clin d’œil. Les communicants publics ont développé leurs outils de diffusion numérique, comme cela a été démontré lors de l’enquête Cap’Com « Impact de la crise sur le numérique » où 57 % des répondants ont déclaré avoir créé un nouveau support numérique à l’occasion de cette crise sanitaire.
Mais tout en investissant la toile et ses applications, ils ont tiré la sonnette d’alarme concernant l’inclusion numérique et – au-delà des questions d’illectronisme – des difficultés à toucher 38 % de la population (le service public doit s’adresser à toute la population sans distinction). Pour eux, il a fallu trouver d’autres moyens, et investir, malgré les difficultés matérielles et sanitaires, des médias plus adaptés. Le tout avec le souci constant d’utiliser un langage clair, limpide pour toutes et tous.
Jamais de ma vie pro je n’ai mis autant de temps à écrire ne serait-ce que trois lignes de communiqué…
Nathalie Olla, dircom de Tourcoing
Chaque phrase doit être finement ciselée, car chaque mot pèse. La parole publique est passée au crible, avec une caisse de résonance nouvelle. Car le monde dans lequel nous vivons combine deux phénomènes qui se renforcent l’un l’autre : le développement des liens et des échanges par les réseaux sociaux et la propagation de fausses nouvelles, les infox. Les communicants, community managers, spécialistes de la com de crise et des relations publiques, ont été largement mis à contribution pour agir – et réagir – afin de maintenir l’échange public et citoyen dans un cadre dépassionné et efficace pour le bien commun.
Les vertus d’une gouvernance ouverte
On a beaucoup entendu parler de transparence dans nos services com, car beaucoup savent que, sans elle, le lien de confiance est vite rompu. La question des masques est passée par là. Il a fallu reconstruire, expliquer et accompagner. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des derniers mois, avec l’épisode de la vaccination en masse, attendue, vécue comme la seule sortie possible de cette crise. Avec l’arrivée des vaccinodromes, et des doses de vaccins, pas toujours dans le bon ordre, les territoires et leurs communicants ont vécu une forme de synthèse de la communication de crise et de crise de la communication. Les différents à-coups de l’actualité de la vaccination collective, dus à des causes techniques, ont servi de révélateur au rôle des communicants à cette échelle.
Un résumé très représentatif est donné dans ce témoignage de la dircom de Toulouse, Béatrice Managau : « La plus grosse difficulté que nous rencontrons est le mécontentement de la population qui peine à obtenir un rendez-vous via les plateformes numériques et téléphoniques mises en place par les services de l’État. Les Toulousains nous font part de leurs difficultés via les réseaux sociaux, la boîte mail de notre site internet, en téléphonant à nos plateformes téléphoniques Allô Toulouse et Allô Senior ou en écrivant directement au maire. Dans tous les cas, notre message de réponse est toujours le même, à savoir que la collectivité n’est pas compétente sur le sujet, que les plateformes de prise de rendez-vous sont submergées mais qu’il faut s’armer de patience et renouveler sa démarche. Nous avons publié sur notre site internet des infos sur les modalités de prise de rendez-vous, nous avons relayé également cette information via notre newsletter “généraliste” ainsi qu’au travers des 20 newsletters de quartiers. Un flyer a été conçu pour distribution aux personnes (seniors essentiellement) qui se présentent, sans rendez-vous, sur les sites mis à disposition par la ville, dans l’espoir d’être vaccinées malgré tout. » On retrouve là le « bouquet » de compétences qu’il faut savoir développer sur son territoire.
Un rôle stratégique reconnu
C’est ainsi presque partout en France où, avec dévouement et implication, toute une profession est sur le pont. Les services de l’État apportent des réponses sur ces sujets précis avec une approche là aussi transparente : les vrais chiffres, les contraintes, les objectifs.
Un des traits les plus saillants de la compublique en temps de covid : sa mobilisation à tous les échelons, surtout au niveau stratégique.
Derrière une parole publique soumise aux remous d’une crise sanitaire et économique de grande ampleur, on retrouve les mêmes compétences et une expertise dans des domaines qui convergent vers la communication. C’est sans doute un des traits les plus saillants de cette compublique en temps de covid : sa mobilisation à tous les échelons, y compris – et surtout – au niveau stratégique. Car – et la pratique l’aura imposé – il ne sert à rien d’actionner tel ou tel levier de communication, sur un réseau social, par un communiqué ou en publiant des contenus vidéo, si cette action n’est pas inscrite dans un projet large, maîtrisé, écrit, validé, planifié, coordonné, suivi, évalué… en accord avec la stratégie de l’institution.
Ce rôle stratégique, impliquant souvent une participation aux cellules de crise, a renforcé le rôle de conseil des communicants publics et mis en évidence leur agilité multicanale, leur connaissance à la fois des citoyens et des services, et leur utilité dans la formulation des messages.
Les mots-clés de la compublique pendant la covid
Inclusion numérique : veiller à ne pas décrocher d’avec une partie de la population en difficulté avec les outils numériques.
Multiforme : lettres, tracts, affichage digital, newsletter, sms, e-mailing, vidéos, pages sur les réseaux sociaux, projections sur les murs… il n’y a pas de règle ni de limite pour diffuser les informations publiques.
Langage clair : ne pas se laisser enfermer dans les formules administratives et le langage sanitaire et juridique. Proposer des reformulations, s’assurer que la parole publique peut être rapidement comprise par l’ensemble des habitants.
Nouveaux canaux : réagir vivement pour ouvrir des canaux de communication accessibles et les utiliser pour diffuser, à intervalle régulier, les informations fiables qui sont disponibles.
Stratégique : la communication est d’autant plus efficace qu’elle est « dans le game » et qu’elle peut conseiller en amont dans les cellules de crise et formuler les messages.
Interne : les outils et méthodes de la com externe ont été réorientés en com interne pour reconstruire une relation interne et entre agents dans un contexte d’éloignement physique.
Généraliste : les communicants publics, bien que regroupant beaucoup de professions spécialisées, dans la gestion numérique, la production graphique, l’écriture, etc. sont plutôt apparus comme des généralistes dont le rôle de chef d’orchestre permet justement de coordonner toutes ces spécialités.