Démocratie participative : qui doit s’exprimer ?
Des gilets jaunes demandeurs du référendum d’initiative citoyenne au grand débat dégainé par Emmanuel Macron, la démocratie participative s’est récemment développée sur le principe de : « Demandons aux intéressés ! » Certes, mais qui est intéressé et qui ne l'est pas ? Généreuse dans l'idée, la démocratie de proximité se heurte facilement à la question de la représentativité et donc de sa légitimité si l'on ne définit pas clairement en amont les règles du jeu… et du nous !
Par Yann-Yves Biffe.
L’année 2019 aura été marquée par l’avancée de la démocratie participative, ou au moins l’expression d’une attente particulièrement forte envers elle. Au-delà de revendications économiques d’abord et assez fourre-tout ensuite, le mouvement des gilets jaunes avait comme dénominateur commun de demander à avoir voix au chapitre, et in fine d’exister.
Le président de la République a répondu par un grand débat qui aura eu le mérite de libérer la parole même si cela s’est fait presque sans les premiers demandeurs.
Cette aspiration à la consultation des citoyens est donc bien établie et a trouvé une place, y compris à l’échelle de petites collectivités, qui ne semble pas devoir être rediscutée. Ainsi, selon le Baromètre sur la concertation locale mené par Harris Interactive pour Res Publica et l’Institut pour la concertation et la participation citoyenne en décembre 2016, « 4 Français sur 5 déclarent qu’il faudrait développer les démarches de démocratie participative ».
Pour autant, face à une remise en cause de la démocratie représentative dont la légitimité est réelle à défaut d’être acceptée par tous, quelle est celle de la démocratie participative ou de proximité ?
Ça donne à bien définir qui est légitime pour donner son avis
L'idée est frappée du coin du bon sens, c'est d'ailleurs la valeur qu'elle veut mettre en avant et qui fait son succès auprès de la population : les intéressés vont donner leur avis (remarquez qu'on n'a pas dit « vont décider »).
Pourtant, dans cette proposition simple, deux éléments posent problème : définir les intéressés et ce qu'est « formuler un avis ».
Qui s'intéresse à un projet ? Bah, c'est évident ! Ceux qui ont un lien avec le sujet ! Évident, oui… Reprenons l'idée d'un arbre (question sensible, cf. la chronique sur le syndrome Idéfix) ou d'un ensemble d'arbres qui pourraient être plantés dans une rue.
- Option 1 : les services techniques décident tout seuls. Pas démocratie participative.
- Option 2 : le maire décide avec l'adjoint aux espaces verts. Démocratie représentative au carré.
- Option 3 : on va demander l'avis des intéressés. Démocratie participative et début des problèmes si on veut bien se pencher dessus.
On associe à la réflexion, bien sûr, les riverains. Ils peuvent dire si cela leur plaît d'avoir un arbre devant chez eux ou s'ils pensent être gênés par les feuilles qui vont leur couper la lumière du soleil et pourrir dans leurs gouttières en hiver.
Mais les riverains ne sont pas propriétaires de la rue devant chez eux ! Et si chaque riverain refuse un arbre devant chez lui, il n'y en aura pas dans la rue, alors que les gens du quartier aimeraient bien un peu de verdure…
Alors on va demander à ceux qui habitent dans la rue. Ils y vivent toute la journée. Enfin, certains y entrent mais leurs fenêtres donnent sur l'autre rue, derrière. Et puis certains arrivent tard dans la nuit et repartent tôt le matin… Ils n'en voient pas grand-chose, de la rue, mais c'est leur adresse. Il y a aussi des propriétaires bailleurs qui n'habitent pas là mais sont très intéressés par le devenir de l'environnement de leur bien immobilier… où ils ont peut-être prévu d'aller vivre, plus tard…
Oui, ceux-là ont un intérêt dans la rue.
Mais en sont-ils les seuls utilisateurs ? Il n'y a pas un portail à chaque bout de la rue dont les seuls riverains auraient la clé.
Les voisins des rues adjacentes donnent aussi sur la rue, ils voient le haut des arbres apporter une touche de vert sur le rouge ou le bleu des toits pour les plus éloignés. Bien sûr, ils empruntent régulièrement cette voie, à pied ou en voiture, pour partir ou revenir chez eux. Donc eux aussi sont légitimes pour donner leur avis.
Mais il n'y a pas de péage à l'entrée de la rue avec accès libre pour les seuls habitants du quartier. Les habitants des autres quartiers de la ville passent aussi par là, au gré de leurs déplacements, ou parce que justement cette rue est agréable pour se promener et le sera encore plus avec des arbres. Et en plus, leurs impôts servent aussi bien à cette rue qu'à celle où ils habitent, et même plus maintenant que la taxe d’habitation va être supprimée. Pour sûr, tous les habitants de la ville ont le droit de demander à ce qu'il y ait un arbre dans cette rue. Donc il faut faire un référendum communal pour cet arbre !
Cependant, il n'y a pas non plus d'octroi à l'entrée de cette ville. Des habitants des communes voisines ont pris l'habitude de se promener dans cette jolie rue. Peut-on modifier leur parcours sans leur demander leur avis ? D'autant que les communes tirent leurs revenus pour une bonne part de la dotation globale de fonctionnement versée par l’État, donc l'arbre, ce sont un peu les Français qui vont l'acheter…
Les Français d'ici mais aussi de l'autre bout de la France. Cette rue touristique attire les visiteurs, ceux d'hier, d'aujourd'hui, ceux de demain, encore plus nombreux avec la perspective de cet arbre ! Alors c'est une consultation nationale, que dis-je mondiale qu'il faut organiser séance tenante !
Bref, du rendez-vous de concertation avec le riverain au référendum international, la démocratie participative fait le grand écart… mais elle a la même légitimité. Le véritable écueil est en fait de ne pas bien définir au départ qui sont les personnes intéressées, ou de ne pas s'y tenir. Les règles du jeu doivent être posées clairement, en particulier si un vote est organisé, au risque, dans le cas contraire, de décrédibiliser la démarche.
Ça donne à définir les règles de l’expression
De même, il faut définir à qui la parole est donnée, qui peut s'exprimer. Si chaque foyer obtient une voix, on simplifie la question logistique mais on sur-représente la veuve dans son studio par rapport à la famille de 15 personnes dans la propriété qui fait la moitié de la rue. Si chaque adulte a une voix, on sur-représente la population par rapport à la propriété. Si on donne la parole aux seuls électeurs inscrits, on oublie les non-inscrits, les étrangers, les enfants…
Vous l'avez compris, il n'y a pas de bonne réponse. Là aussi, il importe surtout de définir dès le départ de la concertation les conditions d'expression. Sinon, bonjour le désenchantement, toujours sous-jacent concernant la concertation : « 64 % des Français pensent que “les décisions étaient déjà prises avant la réunion ” et 55 % que “la dernière concertation à laquelle ils ont participé n’a pas eu d’impact sur la réflexion ou la décision finale” », selon le Baromètre sur la concertation locale cité plus haut.
La démocratie de terrain a beau vouloir s'opposer à la démocratie sondagière, c'est la rigueur de la démarche qui donne leur valeur à ces deux formes d'expression démocratique. Pardon ? Vous ne rangez pas les sondages (je veux dire les vrais, réalisés par des instituts formés à cela) dans les outils de la démocratie ? Et finalement, si ces sondages, tellement décriés par les médias qui en raffolent, étaient la forme de démocratie participative la plus représentative localement ? Mis à part le référendum, n'est-ce pas la seule forme d'expression directe où la combinaison des statistiques et des critères socio-géographiques (quand c'est bien fait) donne un résultat à peu près représentatif ?
Car la démocratie participative, même si elle n’a pas d’arrière-pensée, n’a pas de portée universelle. Ainsi, le Baromètre sur la concertation locale montre que 46 % des habitants des communes où ce type de démarche a été organisée disent avoir été invités à au moins une réunion, en progression de 17 points par rapport à 2011. Mais les hommes, les plus de 65 ans et les propriétaires y sont sur-représentés.
Notons enfin, mais ce n'est pas rien, que, si la démocratie participative n'a pas de valeur représentative, a-t-elle même une valeur quelconque ? Si les élus peuvent passer outre, à quoi sert le participatif si ce n'est cautionner des décisions déjà prises ?
À l'inverse, si la démocratie participative a une valeur représentative, alors elle pose la question même de la légitimité de la démocratie représentative ! Les élus du peuple peuvent-ils prendre une décision quand le participatif, donc le peuple, a massivement dit non ? S'ils ne le peuvent pas, à quoi servent-ils ?
Entre bonnes intentions et hypocrisies, le débat participatif reste ouvert et pour compléter Coluche qui a rendu célèbre la maxime : « La dictature c'est “Ferme ta gueule”, la démocratie, c'est “Cause toujours” », alors la démocratie participative c’est : « Cause toujours, tu m'intéresses » !...
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