Droit de l’opposition sur les réseaux sociaux
Le tribunal administratif de Dijon a récemment jugé que l’opposition municipale devait disposer d’un espace d’expression sur la page Facebook de la commune de Migennes. Une telle décision remet-elle en cause la manière dont les collectivités gèrent la parole politique locale sur leurs réseaux sociaux ? Défrichons ce terrain miné avec notre spécialiste en droit de la communication publique.
La décision du tribunal de Dijon n’est pas une première. Le tribunal administratif de Montreuil a fait jurisprudence dès juin 2015 en affirmant que la page Facebook de la commune de Noisy-le-Sec ouvrait droit à espace réservé à l’expression des élus de l’opposition. Que faut-il retenir de ces décisions ? Nous avons interrogé Rolande Placidi, avocate au Barreau de Strasbourg et spécialiste du droit de la communication publique.
Maître Rolande Placidi : « Ces décisions ne m’étonnent pas du tout. La loi (article L. 2121-27-1 du CGCT) dit que, dans les communes de plus 3 500 habitants, les EPCI, les départements et les régions, les élus n’appartenant pas à la majorité disposent d’un droit d’expression sur les supports de communication qui constituent des bulletins d’information générale. Certains élus considèrent que si l’opposition ne sollicite pas expressément d’exercer ce droit, ils ne l’accordent pas. Lors des formations organisées par Cap'Com, j’entends souvent "Moi, tant qu’on ne me demande rien, je n’accorde rien". Cette attitude est en réalité fautive. Les textes accordent ce droit d’expression et imposent que les modalités pratiques soient fixées dans le règlement intérieur de la collectivité. Il ne faut donc pas attendre que les élus demandent à bénéficier de ce droit, on doit leur attribuer. C’est ce qui s’est passé à Montreuil. Un des élus a constaté que le règlement intérieur de la commune, s’il prévoyait bien les modalités d’expression sur le magazine municipal et sur le site Internet, n’indiquait rien pour la page Facebook officielle de la ville. L’article 30 du règlement intérieur a donc été attaqué devant la juridiction administrative afin qu’il soit annulé car il ne définissait pas ces modalités pour la page Facebook de la commune. C’est donc le silence du règlement intérieur qui a conduit à cette jurisprudence. »
Me R. P. : « Ce qu’il faut retenir, c’est que pour les réseaux sociaux, les règles s’appliquent de la même façon que sur les autres supports de communication de la collectivité. Pour que le droit d’expression des élus ou groupe d’élus n’appartenant pas à la majorité s’exerce, il faut que la publication donne des informations diverses portant sur les compétences exercées par la collectivité (budget, travaux, restauration scolaire, etc.). Par contre, les documents pratico-pratiques ou techniques (programme de la saison culturelle, documents relatifs à une informations des riverains sur les travaux en cours, guides à destination de public cible,…) n’ouvrent pas droit à l’expression de l’opposition. »
Me R. P. : « Les collectivités doivent, à chaque fois qu’elles se dotent d’un nouveau support, se demander si ce support ouvre un droit à l’expression des élus n’appartenant pas à la majorité. Si la réponse est oui, il faut ajouter un article dans le règlement intérieur. Et être suffisamment précis pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, ni dans l’esprit de l’exécutif, ni dans celui des élus. Le règlement intérieur, ce n’est pas du prêt-à-porter, c’est de la haute couture ! Il faut savoir utiliser les problèmes rencontrés lors des précédents mandats pour trouver des solutions.
Il faut aussi bien se rappeler que le directeur de la publication engage sa responsabilité pour l’ensemble du contenu de la publication, y compris les contenus conçus par des membres de l’opposition. Je déconseille donc vivement que les élus aient un accès direct à l’administration d’un site ou d’une page Facebook. Il faut protéger l’exécutif en passant par une relecture. Le règlement intérieur doit en réalité créer ces procédures. Il précise par exemple que chaque élu ou groupe d’élus devra communiquer sa contribution X jours avant le BAT ou la parution au directeur de la communication. Celui-ci procède à une relecture pour s’assurer qu’il ne contient pas de propos diffamatoires ou injurieux, puis met en ligne. À noter que si le contenu n’est ni diffamatoire ni injurieux mais ne plaît pas, il faut le publier quand même. »
Me R. P. : « Comme pour Facebook, tout dépend de l’usage que la collectivité fait du compte Twitter. Mais sur ce réseau social, la question technique est complexe. Est-ce que 140 caractères, c’est un droit d’expression ? Quand, sur un bulletin, une collectivité réduit à deux lignes l’espace d’expression de l’opposition dans son règlement intérieur, le tribunal administratif considère que ce n’est pas un droit d’expression à la hauteur de ce que peuvent attendre les élus de l’opposition. De la même façon, pour Twitter, le juge ne va-t-il pas considérer que les spécificités techniques de Twitter avec ses 140 caractères ne permet en réalité pas de disposer d’un droit d’expression effectif, et donc exclure Twitter des dispositions du droit d’expression de l’opposition La collectivité doit de toute façon tweeter des choses en lien avec l’intérêt local et faire attention au retweet des messages des élus surtout en période électorale. »
Me R. P. : « Si la collectivité est intéressée par le scrutin (parce qu’un de ses élus est candidat aux législatives) et dispose d’une page Facebook ou d'un compte Twitter, elle doit publier comme toujours des informations qui présentent un interêt local. Mais surtout, elle ne doit pas utiliser ses réseaux sociaux pour valoriser en des termes laudatifs les réalisations de la collectivité. Attention également à l’utilisation de Twitter le jour des élections. Un appel à aller voter en pleine journée pour pallier une faible participation par exemple, pourrait altérer la nature du scrutin surtout si l’écart de voix entre les candidats est faible. »