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Droit à la déconnexion : pour les communicants aussi

Publié le : 18 novembre 2017 à 11:28
Dernière mise à jour : 19 mars 2018 à 10:16
Par Cap'Com

L'activité professionnelle des communicants publics tend à empiéter de plus en plus sur leur vie privée. Depuis le 1er janvier 2017, la loi impose aux entreprises de réguler l’usage des outils numériques en dehors des heures de travail, mais ce droit à la déconnexion ne s’applique pas dans le secteur public. Comment trouver le juste équilibre entre la pratique de la communication publique numérique et la déconnexion nécessaire au bien-être personnel ?

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Une prise en compte des enjeux de la déconnexion dans les collectivités

Selon une étude du cabinet Éléas, environ 37 % des actifs utilisent les outils numériques professionnels hors temps de travail. Près de 60 % des dirigeants d’entreprise et 45 % des managers intermédiaires estiment qu’il y une attente de connexion « quasi continue de la part de leur employeur » pointe un rapport du Kaspersky Lab. Une hyper-connectivité dont plusieurs études montrent l’impact néfaste sur l’état émotionnel des salariés et sur leur équilibre travail-famille. À l’instar des entreprises privées désormais soumises à l’obligation de mettre en œuvre le droit à la déconnexion, plusieurs collectivités conscientes de l’enjeu en matière de préservation de la vie privée et de la santé de leurs agents prennent des initiatives : mise en place d’astreinte à Aix-en-Provence, organisation de journées sans email dans la commune de Saint-Sébastien-sur-Loire, diffusion d’un « mode d’emploi de la déconnexion » par la ville de Paris, …

Le droit à la déconnexion entériné par la loi

Depuis le 1er janvier 2017, les entreprises doivent prendre leur responsabilité face aux dangers de l’hyper-connectivité suite l’entrée en vigueur de l’article 55 de la loi Travail. Ce texte entérine le droit pour un salarié de se déconnecter de tout outil numérique professionnel en dehors de ses heures de travail. « Techniquement, ce droit à la "déconnexion" était déjà reconnu par la jurisprudence, qui opposait le droit au repos à toute exigence de l'employeur quant à la disponibilité permanente d'un salarié », précise Pascal Touhari, directeur de l’Administration générale de la ville de Montreuil, dans un document présenté dans le cadre des 9e Rencontres nationales de la communication numérique. « Le nouveau texte se limite à imposer aux entreprises de prévoir les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et de mettre en place des dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale. ».

Pour les collectivités et établissements publics, ce droit à la déconnexion, qui figure désormais dans le Code du travail, n’est pas obligatoire.

Débrancher, un casse-tête pour la communication publique

Les communicants publics, dont la fiche de poste est rarement exempt des termes « grande disponibilité », parfois assortis de la mention « soirs et week-ends », sont particulièrement exposés aux conséquences de la transformation digitale sur la porosité des frontières physiques et temporelles entre leur vie professionnelle et leur vie privée. La notion de déconnexion semble à priori peu compatible avec la nature même de certains postes de communication, qui plus est à responsabilité, et/ou en lien avec le politique, lui-même tenu à une grande disponibilité. Sans parler de la notion de continuité du service public, notamment en cas de gestion de crise.

Déconnexion : quel plan d’action mettre en œuvre ?

Comment mettre en place des mesures de déconnexion dans sa collectivité ou son service communication ? Dans son document présenté dans le cadre des Rencontres nationales de la communication numérique, le 29 septembre dernier, Pascal Touhari distingue trois principales étapes :

Analyser

Parce que l’imprégnation numérique n’est pas la même d’une collectivité à une autre, d’un service à un autre, et même d’un agent à l’autre, la mise en place d’un plan de déconnexion passe d’abord par une bonne connaissance des pratiques internes en matière digitale. Questionnaires, enquêtes de terrain, mise en place d'un groupe de réflexion, permettent de déterminer les outils numériques utilisés et leur mode d'utilisation, les agents concernés (cadres dirigeants, itinérants, etc), l’organisation du travail (travail en continu, télétravail, astreintes, etc.), les contraintes managériales (horaires imposés pour les réunions, fixations d’objectifs raisonnables et réalisables). Une phase de diagnostic auquel peut être associé le directeur des systèmes d'information (DSI) afin d'évaluer notamment le volume d’emails échangés en dehors des horaires de travail et le week-end.

Adapter

Cette première étape d’analyse, permet ensuite d’adapter les solutions à la situation en jonglant entre actions incitatives (pop up invitant à différer l’envoi d’email au lendemain, obligation de limitation du nombre de destinataires des messages, ...) et actions contraignantes ( fermeture des serveurs sur certaines plages horaires, effacement automatique des emails pendant les congés,...). Les entreprises privées et quelques organismes publics ont déjà expérimenté un certain nombre de solutions en mettant en place : - des mesures de prévention : identification des connexions excessives et mise en oeuvre de mesures de sensibilisation ciblées (Michelin) ; suivi régulier des mails et de leur répartition temporelle (Areva) ; formations/sensibilisations au bon usage des outils numériques (Natixis) - des mesure « émetteurs » : fermeture des serveurs informatiques les week-end et/ou le soir (ville de Paris) ; journées sans mail (Priceminister); pop-up au démarrage de la messagerie ou lors de l'envoi d'un mail tardif (La Poste) - des mesures « récepteurs » : effacement automatique des messages reçus durant les congés (Daimler) ; mention automatique insérée dans le corps du mail rappelant que les mails tardifs n'appellent pas de réponse immédiate (Banques Populaires) ; utilisation de la fonction d'envoi différé pour l'envoi de mails tardifs (Orange).

Accompagner

La diffusion de ces mesures de déconnexion – qui vont parfois transformer les manières de travailler – doivent être accompagnées : sensibiliser les membres de l'encadrement aux risques de l'hyper-connexion et les agents à la préservation de leur vie personnelle (ex : mention sur l'intranet ou dans le livret d'accueil), communiquer sur un usage raisonnable des outils numériques. Un accompagnement à la déconnexion dont la communication interne peut avoir à se saisir.

Les expérimentations des communicants numériques

Peu de communicants chantonnent donc nonchalamment « Débranche tout ». Mais ils tentent de s’organiser. Notamment pour les plus concernés par la problématique de la déconnexion : les community manager. « Si l'éloignement du bureau peut s'avérer problématique selon les psychologies concernées, le rôle du community manager pose structurellement problème une fois confronté à la question des congés », souligne Yann-Yves Biffe, ‎directeur général adjoint et directeur des moyens généraux et de la communication des Sables d'Olonne dans une de ses chroniques capcomiennes intitulée « Pas de vacances pour les community managers ? ».

Pour répondre à cette question, il a interrogé des animateurs de communauté dans les collectivités sur le manière de gérer le travail pendant leurs congés. Une partie des community managers a recours à la programmation des publications pendant leur absence. Une pratique bien ancrée chez ces animateurs dont la base du travail est d'organiser le calendrier éditorial, mais qui présente quelques limites. Sans présence humaine derrière l’écran, difficile de déprogrammer une publication en cas de changement comme l’annulation d’un événement par exemple. « Vous ne pourrez vous contenter que de contenu relativement froid, car déconnecté d'un contexte temporel que vous ne maîtriserez pas. Or votre communauté vous apprécie d'autant plus que vous savez mettre le ton léger et convivial qui est adapté au moment où vous parlez, qui répond précisément aux commentaires de vos fans. » najoute Yann-Yves Biffe. Dans certaines collectivités, les community managers débranchent tout pendant leurs congés. Une solution radicale, à priori plutôt rare « Le petit hic, c'est que la communauté de vos usagers, elle, même si elle part en vacances au même moment, restera toujours branchée à son compte Facebook ou Twitter et sera peut-être en attente de nouvelles de sa commune au loin qui lui manque tant. » À l’inverse d’autres community managers choisissent de ne pas débrancher et de continuer l'animation de manière plus légère pendant les vacances.

Organiser le passage de relais, clef de la déconnexion ?

Mais un certain nombre de community managers passent tout "simplement" le relais à un collègue pendant leur absence en lui donnant codes d’accès et instructions. Une passation idéale dans les services disposant de plusieurs personnes en charge des réseaux sociaux mais plus chaotique dans les collectivités de taille modeste qui ont « un seul community manager, en même temps le seul chargé de com, qui cumule parfois avec la culture, voire l'urbanisme ou les cimetières », pointe Yann-Yves Biffe.

Certaines collectivités organisent ce passage de commandes de manière pérenne pour gérer l’équilibre entre connexion et déconnexion en dehors des horaires de travail tout au long de l’année. « Au départ tout le monde partait à 18h30 du bureau et on attendait le lendemain pour réagir sur les réseaux sociaux. On s’est vite rendu compte que cela avait ces limites, » a expliqué Clotilde Larrose, directrice de la communication de la ville du Havre lors des dernières Rencontres de la communication numérique. Pour pallier ce problème de l’arrêt des interactions après la sortie des bureaux, son service a mis en place un dispositif de « veille » encadré par une charte pour les volontaires. Elle concerne six personnes : les journalistes, le community manager et l’iconographe et les attachés de presse. « Chacun prend en charge une semaine entre 18h et 21h30. La personne scrute les réseaux sociaux et les médias, et doit faire un reporting », explique la dircom. « Elle doit savoir mesurer l’impact, reconnaître si c’est critique y compris au niveau politique. Elle effectue également de la veille sur une sphère d’influenceurs (râleur, personnalité politique, opposants politiques, etc.) il faut aller voir plusieurs pages, enquêter. Il faut à la fois surveiller et répondre. À 21h30 on ferme et c’est moi qui intervient si besoin. Le week : la personne fait deux points par demi-journée. » Un système de veille qui permet au service d’être réactif lors des évènements. Comme, par exemple, le départ des Grandes Voiles des Havre un dimanche matin qui a été couvert en direct sur les réseaux sociaux notamment par la personne qui faisait la veille. Un live qui a enregistré plus de 100 000 connexions cumulées en deux heures.

Interdiction de répondre aux mails entre 19h et 7h30

Les agents concernés ont été équipés d’ordinateurs portables et de dispositifs de veille. Une forme de « reconnexion » nécessaire pour la mise en place de la veille qui s’accompagne de garde-fous : l’interdiction de répondre aux mails entre 19h et 7h30 et pas d’instantanéité dans les publications : on prend le temps de publier, de se relire, de réfléchir.

Partager stratégie et responsabilité pour déstresser

Pour les agents du service com du Havre, la veille ne représente pas une contrainte d’autant plus qu’ils ont collectivement construit la stratégie éditoriale de chaque réseau social utilisé par la ville. Une fois les objectifs, les politiques éditoriales construites collectivement, ils ont tous été formés pour comprendre les enjeux, et maîtriser la technicité des outils et des différents réseaux. Comprendre et partager les enjeux et les stratégies permet ensuite de partager la responsabilité. « La personne de veille déstresse les autres », explique la dircom. « Ils ont parfois l’info avant moi. Ce qu’il faut c’est qu’ils aient la lucidité de savoir ce qu’il faut publier. Il n’y a pas de circuit de validation. Chacun peut se tromper, ça arrive. Les réseaux sociaux sont une question de bon sens. C’est une responsabilité partagée intéressante. »

On le voit bien à travers l’exemple de la ville du Havre, réfléchir sur les modalités de la déconnexion conduit plus largement à se poser des questions fondamentales sur l’organisation du travail. Avec à la clef, un vrai gain pour la qualité de vie des communicants dans et en dehors de la collectivité. Mais aussi, potentiellement une meilleure efficacité avec un service communication à la fois plus « détendu » et mieux adapté aux usages numériques de ses usagers. Un bilan gagnant qui passe forcément par l’expérimentation.