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On est passé à ça

Publié le : 11 juillet 2024 à 07:00
Dernière mise à jour : 11 juillet 2024 à 14:48
Par Christophe Devillers

On est passé à « ça » ce dimanche 7 juillet. Mais de quoi exactement ? Et quelle doit ou peut être l’approche d’un communicant public face à un événement électoral d’ampleur comme ces élections législatives ? En attendant les conclusions institutionnelles et la nomination du gouvernement, y a-t-il matière à tirer des enseignements particuliers de cette séquence politique hors normes ?

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Par Christophe Devillers, directeur adjoint de l'agence d'attractivité Mulhouse Sud Alsace et membre du Comité de pilotage de Cap'Com.

L’individualisme croissant, la revendication facile par la grâce des réseaux sociaux, la crise de confiance démocratique, et plus récemment les infox et la complosphère, voilà des phénomènes auxquels les acteurs de la communication publique sont confrontés en première ligne, directement liés qu’ils sont aux élus avec lesquels ils travaillent.

Que ces phénomènes s’incarnent dans les urnes, et c’est tout un dialogue civique, dont les communicants sont les passeurs, qui vole en éclats. Le vote de ce 7 juillet s’avérait donc crucial.

Entre l’éthique du métier qu’il promeut depuis toujours et la loyauté qui s’impose aux agents publics, le réseau Cap’Com a su maintenir avec constance une ligne professionnelle mesurée mais ferme. Ses animateurs l’ont encore confirmée en cette fin de mois de juin en rappelant les enjeux humanistes de la communication publique.

On est donc passé à « ça ». Et nous allons goûter collectivement, dans les prochains jours, et sans doute durablement, aux joies des coalitions, comme en sont coutumiers les Allemands, les Belges ou les Italiens.

Sans s’engager ici dans une scabreuse analyse du scrutin, on peut tenter de tirer tout de même quelques enseignements liés directement aux questions de communication.

  • Un retour du Projet face à la communication « bullshit » (1)
    Storytelling, post-vérité, nudge, digital installent un nouveau modèle de manipulation adroite fondé, au-delà du mensonge, sur une désinvolture totale par rapport à la vérité (« bullshit »), qui permet des manipulations adroites par le langage (cf. Trump : « Who cares ? » ou Cahuzac : « Ça n’est pas ma faute »). Cela explique la prolifération des vérificateurs en temps réel ou l’insistance des journalistes (« à la Bourdin ») à demander des précisions à leurs interlocuteurs ; journalistes qui ont été fortement mis à contribution ces quatre dernières semaines et ont souvent poussé, à bon escient et au profit des électeurs, leurs interviewés dans leurs derniers retranchements.

  • La communication politique « au cordeau » a ses limites
    Ni les efforts de « shop staging » (relooking de la « boutique »), ni le contrôle forcené de tous les paramètres de l’image, ni les camouflages et les artifices de communication, ni les arguments physiques ou vestimentaires d’un (d’une) candidat(e) ne suffisent jamais à masquer les carences ou le sous-texte du discours. Ça finit par se voir.

  • L’humour du moment crée la confusion
    L’humour parodique généralisé, renforcé aujourd’hui par le numérique, avec les mèmes, les détournements, l’IA et le deepfake (hypertrucage), mais aussi avec des médias comme « Le Gorafi » qui singent les codes de l’information pour faire du 2e degré, rendent plus ténue la frontière entre le vrai et le faux. Et parce que certaines déclarations confinent quelquefois à l’absurde dans la vraie vie, il peut être difficile de faire la part des choses.

  • La communication ne pèse (heureusement) rien dans la démocratie
    Le peuple est souverain. Et tout, dans notre vie publique, procède de ce principe, en vertu duquel on est légitime quand on est élu sur des bases républicaines. Le communicant, courroie de transmission du projet politique du décideur vers les citoyens, ne peut pas s’en affranchir. Les questions de déontologie et d’éthique personnelle deviennent alors bien évidemment centrales.

On est passé à « ça ». Un sursaut. Un sursis… en attendant les prochaines échéances électorales qui concerneront les communes et les intercommunalités – à condition qu’aucune dissolution de l’Assemblée nationale ni démission du président de la République n’intervienne d’ici le printemps 2026.

Car, si le mécanisme majoritaire du Parlement est en train d’amortir la sidération de ce début d’été, elle se fera assurément plus aiguë dans le scrutin municipal.

En attendant, au-delà de leur situation personnelle, les communicants et acteurs du marketing territorial devront continuer à faire œuvre utile et à faire entrer des carrés dans des cercles :

  • rendre compréhensibles des politiques publiques complexes ;
  • maintenir une langue soutenue mais accessible au plus grand nombre ;
  • justifier les délais de l’action publique pour tempérer les impatiences des citoyens ;
  • tenter de rendre plus attractive qu’une vidéo de chats sur TikTok, une publication aux thématiques institutionnelles austères ;
  • magnifier le « roman local » et « faire communauté » sans affaiblir l’unité nationale.

Et peut-être, je dis bien peut-être, imposer urbi et orbi un peu de concorde en vertu de cet aphorisme, tiré des Essais, de Montaigne, selon lequel « l’amitié se nourrit de communication ».


(1) Lire à ce sujet le livre passionnant et pragmatique Anti bullshit de la sémiologue Élodie Mielczareck (éditions Eyrolles).

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