La peur, la colère, les émotions
Peur, colère et émotions. Voici les déclencheurs d'engagement et de succès sur les réseaux sociaux. Ce sont aussi les recettes pour favoriser la propagation des fake news, créer du buzz et influencer les comportements des esprits les plus faibles.
Par Marc Cervennansky.
@Cervasky
Ce n'est pas moi qui l'affirme, c’est Bruno Patino, le directeur éditorial d’Arte France et auteur de La Civilisation du poisson rouge, ouvrage dont je vous recommande vivement la lecture. Notre ami Alain Doudiès y faisait référence dans sa dernière chronique Regardons Facebook en face.
Bruno Patino nous alerte ainsi sur une société numérique qui ressemble à « un peuple de drogués hypnotisés par leur écran », où nous sommes passés de « l’habitude à l’addiction ». Où les réflexes prennent le pas sur la réflexion, où « l'agora est transformée en Arena ».
L'écosystème mis en place par Google, Apple, Amazon, Facebook, fonctionne sur l’économie de l’attention en exigeant en permanence de nous, utilisateurs compulsifs de nos smartphones, « des réponses à des stimuli rapides et superficiels, qui nourrissent les pulsions et les émotions ».
Le doute questionne, fait réagir, provoque un choc émotionnel
Le spécialiste des médias et des questions numériques poursuit son raisonnement illustré par une citation de Barnum qui date du XIXe siècle ! « Ce n'est pas à quel point il est facile de tromper le public mais à quel point il aime être trompé, pour autant qu'il soit diverti. » Peu importe qu’un post Facebook ou un tweet soit vrai ou non. Ce qui compte, c’est d’y croire et de partager. La crédibilité d’un message remplace peu à peu la vérité sur les médias sociaux. C’est ainsi une économie du doute qui se met en place.
« Le doute questionne, fait réagir, provoque un choc émotionnel, qui pousse plus à l'action numérique, qu'à une réflexion posée », argumente Bruno Patino. Vous pouvez le constater tous les jours sur Facebook ou Twitter : l'émotion est virale, elle favorise le partage et le retweet.
Il est en effet plus facile de publier des informations vraisemblables, où un simple déclencheur émotionnel suffit, que des informations véridiques nécessitant une argumentation longue et étayée. Il est utile d’avoir également à l’esprit que, sur un réseau social comme Facebook, on partage de l’intime – des photos de ses enfants – et des informations de portée mondiale – les incendies de la forêt amazonienne. Dans ce maelström où tout se mélange, se vaut, sans hiérarchie, que valent les informations ?
Des réactions basées davantage sur l’émotion que sur la réflexion
Comprendre les comportements pour mieux les prévoir et les influencer est devenu pour certaines entreprises un véritable business. Je vous renvoie à l’édifiant documentaire visible sur Netflix : The Great Hack. Ou comment la société Cambridge Analytica a personnifié la face obscure des réseaux sociaux dans l'élection de Donald Trump, ou dans le vote en faveur du Brexit au Royaume-Uni.
Dans des proportions plus modestes et plus locales, communicants publics, nous sommes tout autant confrontés à ces réactions, basées davantage sur l’émotion que sur la réflexion : contestations de politiques publiques, remises en cause de l’intérêt de projets structurants, défenses d’intérêts personnels contre le bien commun…
S’il n’existe pas de solution toute simple et prête à l’emploi, il est important de comprendre les mécanismes comportementaux des utilisateurs des réseaux sociaux, sans forcément en approuver les ressorts décrits plus haut.
Derrière l’émotion se cachent des besoins
Derrière l’émotion, qui suscite réactions et commentaires parfois acerbes, se cache sans doute l’expression de différents besoins de la part de leurs auteurs. La peur peut exprimer une nécessité de sécurité, la colère une nécessité de respect et de considération, la tristesse une envie de réconfort, et la joie une envie de partage.
Face aux commentaires et messages parfois agressifs ou polémiques que nous avons à gérer sur les comptes de nos collectivités, et qui risquent de s’amplifier à l’approche des prochaines élections municipales, il convient peut-être de mieux écouter nos concitoyens et de décrypter la nature profonde de leurs réactions.
Cela ne signifie pas pour autant tomber dans une empathie naïve et bienveillante à tout prix. Comprendre qu’émotion n’est pas raison est une aide potentielle au community manager qui prendra le recul nécessaire pour répondre et modérer à bon escient.
Illustration : photo extraite du film L’empire contre-attaque © Lucasfilm Disney.
À lire, À voir :
- La Civilisation du poisson rouge. Petit traité sur le marché de l'attention, Bruno Patino, éditions Grasset.
- The Great Hack, film de Karim Amer et Jehane Noujaim. Disponible sur la chaîne Netflix.