« Les publications des collectivités sont des instruments du lien social »
Interview de Mémona Hintermann, présidente du 23e Prix de la presse territoriale. Ex-membre du CSA, membre du Conseil national des villes, elle porte, grâce à son parcours de journaliste grand reporter et à sa collaboration actuelle à « Midi Libre », un regard bienveillant sur les publications des collectivités et sur les communicants publics qui « font un travail d’explicitation, avec pédagogie, respect et transparence ».
Cap’Com : Votre carrière vous a emmenée aux quatre coins du monde pour couvrir la grande actualité. Mais quel regard portez-vous sur les territoires qui composent notre pays ?
Mémona Hintermann : Ce qui m’attache aux villes, c’est une quantité d’expériences et, en cherchant bien, un sentiment profond qui m’a toujours poussée à regarder de près les gens, les rues, les lieux de vie. Ce n’est pas un hasard si je fais partie du collège des personnes qualifiées au sein du Conseil national des villes. Avec l’Agence nationale des territoires, nous menons une action, avec les habitants de tous les territoires, des élus de terrain, des maires. Lorsque j’étais grand reporter, j’ai toujours voulu être de plein pied dans le terrain. En allant sur place, j’y apportais mon attachement au sol. Comme dans le cadre de mes fonctions au Conseil supérieur de l’audiovisuel où j’ai veillé au maillage territorial par les médias.
Venant de l’île de La Réunion, la première figure locale pour moi fut Paul Badré, maire du Tampon, dans le sud de l’île. J’ai perçu autour de lui la force du lien local. Je suis retournée plus tard voir les élus du Tampon, et j’en suis aujourd’hui citoyenne d’honneur. Près de là, un lycée porte désormais mon nom. J’en suis fière. Mon attachement aux territoires vient de ma propre vie.
Mémona Hintermann, présidente du jury du Prix de la presse territoriale 2021
Grand reporter sur les principaux événements internationaux à partir de la fin des années 1980 (mouvements de dissidence en Europe de l'Est, chute du mur de Berlin, guerres au Moyen-Orient, dans les Balkans, en Afghanistan…), Mémona Hintermann a présenté le journal Soir 3. En 2012, elle reçoit le Grand Prix de l’Association de la presse internationale et devient membre du CSA de 2013 à 2019. Elle est également engagée pour l’école et la formation des jeunes dans les associations Reporters d’Espoirs et Moteur ! Membre du Conseil national des villes, elle écrit aussi, depuis 2020, pour Midi Libre.
C’C : À vous écouter, l’information locale semble être un défi qui se rapproche du défi démocratique…
M. H. : On entend dire que les partis sont devenus des ombres, et cela concerne également le personnel politique. À l’exception des maires qui sont en relation presque directe avec les citoyens, immergés, en responsabilité et en contact. C’est justement quelque chose qui transparaît dans la presse des collectivités locales. J’y retrouve ce lien naturel. Pour moi, ces publications, ce sont des instruments du lien social. Lorsque j’arrive dans les Landes, ou que je rentre à Bagneux, je retrouve la revue de la mairie, c’est comme cela que je suis au courant des choses du quotidien. Je me remets à l’heure locale et j’apprends les détails qui concernent, par exemple, les travaux au bout de ma rue, l’aménagement urbain, la vie associative, les enjeux du moment en proximité. Ce type de publication, il faut s’y attacher, c’est un « journal sur site », avec les infos prises à la source. Ce n’est pas antinomique avec Sud-Ouest, le titre de la presse quotidienne régionale dans mon territoire landais : c’est complémentaire. On trouve dans les magazines des villes de bons papiers d’information générale, je repense à l’interview d’un scientifique dans un récent numéro. J’y ai appris des choses intéressantes.
Les citoyens doivent se rendre aux urnes !
« Aujourd’hui, je m’engage encore plus, avec volonté, pour l’éducation citoyenne. L’actualité par exemple, ce sont de prochaines élections locales, et il faut voter ! Les citoyens doivent se rendre aux urnes ! Nous avons jusqu’au 14 mai pour nous inscrire sur les listes électorales et il faut le faire savoir. Nous, les citoyens, on fait quoi ? Si on vote, si on prend part au dépouillement, on s’investit, c’est un commencement. Le lien vital de la démocratie passe par là. » Mémona Hintermann
C’C : Vous décrivez ici une complémentarité entre presse régionale et presse des collectivités. Elles ont pourtant une nature différente. Comment voyez-vous leur positionnement ?
M. H. : D’abord je trouve qu’un exercice n’exclut pas l’autre. On peut regarder le travail de la communication municipale comme une mission de service public. C’est un autre métier, qui requiert énormément d’expertise. Mais nous savons tous que si l’on produit un support uniquement destiné à diffuser la « bonne parole », une nouvelle Pravda, si vous me permettez, eh bien personne ne le lira. Pourquoi moi, journaliste, je suspecterais systématiquement ceux qui font un travail d’explicitation, avec pédagogie, respect et transparence ?
Je regarde ces publications, comme pour toute source, avec les précautions d’usage. Les personnes qui travaillent dans ce domaine-là peuvent le faire de façon correcte. Chacun a sa place. Il n’y en a pas un plus haut que l’autre. Et on peut s’informer de multiples façons, tout en continuant de se fier au regard plus distant des journalistes.
C’C : Avec ce regard et ces convictions, quelle présidente du jury de la Presse territoriale ferez-vous ?
M. H. : Je vais, avec le jury, entrer dans le détail, éplucher, lire, essayer de sentir le territoire dont ces publications sont l’émanation. Je m’attacherai à juger de leur utilité par rapport aux citoyens, à me poser la question : « En quoi cette revue apporte-t-elle quelque chose aux habitants, quel est son plus ? »
Les candidats pourront compter sur mon attention scrupuleuse, mon regard professionnel, avec mon côté subjectif, mais aussi ma totale honnêteté.
La presse de proximité a retrouvé des couleurs, pendant la période de la covid. C’est vrai pour les titres de la presse quotidienne ou hebdomadaire locale, mais également pour les titres de la presse des collectivités. Avec mon mari, nous les lisons, nous les feuilletons, nous en avons l’habitude. Ce ne sera donc pas difficile pour moi de questionner les productions candidates : « En quoi puis-je mieux connaître ceux qui vivent sur ce territoire ? Est-ce que des commerçants engagent une action pour les étudiants ? Je vois des barrières, pourquoi sont-elles là ? Comment je vais mieux comprendre mon environnement immédiat ? Qu’est-ce qu’on va me dire de plus ? »
Les villes et territoires qui ont fait l’effort de déposer leur candidature pourront compter sur mon attention scrupuleuse, mon regard professionnel, avec mon côté subjectif, mais aussi ma totale honnêteté. Car c’est un travail important.
Y a-t-il du nouveau dans la presse territoriale ? Vous le saurez le 8 juin
Le besoin d’information de proximité, en cette année de pandémie et de nouvelles équipes municipales issues des élections de 2020, a conduit à des refontes et des évolutions dans les magazines des collectivités publiques.
Les 120 dossiers reçus au Prix de la presse et de l'information territoriale organisé par Cap’Com laissent voir ces évolutions qui renforcent la presse territoriale. Une presse qui pèse 150 millions d’exemplaires par an et reste le premier support d’information locale pour les habitants.
Nombreuses refontes et relookings de magazines
Comme après toutes les élections municipales, les dossiers reçus au Prix de la presse territoriale comptent de nombreuses refontes et relookings de magazines. Leur analyse par les jurys du Prix permettra d’en mesurer les tendances. Même chose pour les bulletins des petites communes. La nouvelle génération d’élus n’a vraisemblablement pas déserté les publications papier.
Bien évidemment, cette année sera aussi marquée par la presse interne des collectivités. Confinement et télétravail ne semblent pas avoir freiné le besoin des personnels pour une information print. Le Prix de la presse territoriale 2020 remporté par la publication interne du Grand Besançon aurait-il encouragé la presse interne ?
Rendez-vous annuel de la presse territoriale : mardi 8 juin
Les jurys qui se réunissent en mai vont analyser les publications et décerner les lauréats. Mais ils révéleront aussi les mutations qui vont marquer l’année.
La cérémonie de remise des prix – événement gratuit et en ligne – aura lieu le mardi 8 juin de 14h à 16h. Les analyses de la présidente du jury, Mémona Hintermann, de Didier Rigaud, maître de conférences à l’université Bordeaux-Montaigne, les présentations des stratégies éditoriales des lauréats et les observations des 20 membres des jurys, feront de cet événement le rendez-vous annuel de la presse territoriale.
C’C : Vous semblez attacher une grande importance à l’information locale ?
M. H. : Vous savez, j’ai commencé comme localière. Je m’occupais, moi la petite Créole, de choses du quotidien, des gens simples, des réalités. J’allais sur les lieux de vie, de travail, pour faire mes premiers papiers, j’allais voir les coupeurs de canne à sucre, les mamans près des écoles, je dénichais des sujets, quelquefois formidables dans ce territoire. J’ai mis en lumière, par exemple, l’utilisation par les esclaves, puis par leurs descendants, d’une plante ancienne aux propriétés puissantes. Tout cela pour dire que les plus beaux sujets peuvent surgir de n’importe où.
Vous, dans les médias des territoires, êtes au courant de plein de choses. Vous pouvez, et je le vois bien certaines fois, faire du très bon boulot. Car il y a de la matière partout, pour tous.
Avec mon mari, grand reporter également, nous disons toujours qu’il y a seulement deux types de sujets : les bons et les mauvais.
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