L’IA, un support d’information qui bouscule la communication publique
L’édition 2024 du Baromètre de la communication locale s’intéresse pour la première fois à l’intelligence artificielle. Mais en quoi l’IA est-elle un outil de communication ? L’utilisation de l’IA pour accéder à l’information locale va-t-elle bouleverser les stratégies et les outils de la communication publique ?
Ils étaient nombreux à assister dans le cadre du dernier congrès de l’AMF à l’atelier de présentation du Baromètre de la communication locale. Mais lorsque les analyses du Baromètre abordent la place de l’intelligence artificielle dans l’information locale, de grands yeux d’incompréhension se sont subitement ouverts. Sans aucun doute, les maires font partie des Français qui n’appréhendent pas encore bien ce qu’est l’IA et ce qu’elle a commencé à transformer dans notre relation à l’information.
L’IA générative a débarqué dans le quotidien des Français fin 2022 avec la sortie du robot conversationnel ChatGPT. Deux ans plus tard, si deux tiers des Français en ont entendu parler, ils sont seulement un tiers à reconnaître savoir ce dont il s’agit, nous indique le Baromètre. Et moins d'un quart des personnes de plus de 50 ans voient clairement ce qu’est l’IA.
L’IA transforme l’accès à l’information locale
Les Français utilisent de nombreux supports pour s’informer sur l’actualité et les services de leur territoire de vie. Supports papier, digitaux, oraux ou audiovisuels. Supports dont l’émetteur est institutionnel (journaux territoriaux, sites et RS de collectivités, affichage public, événements ou réunions publiques…) ou supports privés (presse locale, sites et RS, affichage publicitaire, télés et radios…).
Dans ce palmarès des supports d’information locale se loge, depuis peu, l’IA qui vient transformer l’accès à l’information locale. 75 % des Français disent s’informer au travers du journal de leur commune, 70 % utilisent le site internet de leur collectivité, 40 % passent par une application publique et, d’ores et déjà, 29 % reconnaissent utiliser une IA pour s’informer sur la vie de leur territoire. Certes, l’usage d’une IA reste encore une question de génération. Sans surprise, nous indique le Baromètre, « l’âge est un important facteur de différenciation : plus de la moitié des 25-34 ans déclarent déjà utiliser cette technologie pour s’informer sur la vie locale contre seulement 1 Français sur 10 ayant plus de 50 ans. Un effort d’acculturation sera sans doute nécessaire pour éviter une fracture générationnelle et sociale ».
Malgré cette connaissance toute relative de l’outil, l’IA est perçue comme une source d’information assez fiable. Pour plus de deux tiers des Français, selon le Baromètre, les IA comme ChatGPT informent bien sur la vie locale.
Des réponses filtrées et adaptées par des algorithmes difficiles à maîtriser
Interroger une IA pour s’informer revêt bien des avantages. La recherche est simplifiée et adaptée à son profil. Grâce aux algorithmes d'IA, les requêtes sont interprétées, analysées, et les réponses sont recherchées dans des bases de données indexées, puis évaluées et classées pour fournir une information pertinente.
Cette pertinence est fondée sur les usages similaires des internautes (nombre de clics, temps passé sur la page, partages sociaux, etc.), ce qui conduit à privilégier les informations les plus consultées. Elle est aussi basée sur l’historique de navigation ou les préférences de l’utilisateur (localisation, historique de recherches, habitudes d'achat…), et la réponse est adaptée en conséquence. Autant dire que les algorithmes d'IA proposent aux utilisateurs en priorité des informations les plus présentes sur la toile, ce qui conduit à privilégier certains contenus, pas forcément les plus fiables, et à en rendre invisibles certains autres. Les algorithmes d'IA proposent aussi les réponses personnalisées, grâce à l’apprentissage fondé sur la connaissance accumulée de l’utilisateur. Des réponses alignées sur les préférences, qui limitent la diversité des informations et renforcent les biais cognitifs.
Quels contenus publics l’IA référence-t-elle, comment les sélectionne-t-elle ?
La prochaine édition du Baromètre, dans deux ans, pourrait révéler bien des surprises. Car l’usage de l’IA pour accéder à de l’information locale pourrait se faire au détriment de la consultation directe des sites internet et des applications des collectivités. Point besoin de surfer pour rechercher l’info, point besoin de consulter un site pour quérir la réponse, celle-ci sera donnée par l’IA. Mais quels contenus publics cette IA référencera-t-elle ? Comment va-t-elle sélectionner les informations publiques ?
Cette transformation de l’accès à l’information a été annoncée par Thomas Gouritin, expert IA pour Smart Tribun, lors de l’atelier « L’IA générative va-t-elle remplacer les moteurs de recherche ? » du 36e Forum de la communication publique de Lille, le 11 décembre 2024. Les leaders de la recherche sur le web s'en inquiètent et les communicants publics voient se dessiner une nouvelle bataille. Car l’objectif ne sera plus d’être bien référencé, d’être parmi les premiers sites apparaissant dans une recherche, il va falloir s’assurer que la réponse générée par l’IA intègre les informations mises en ligne par la collectivité.
Bien évidemment, si l’internaute cherche, par exemple, les horaires de la piscine communale, l’IA ira puiser l’information dans les contenus numériques de la collectivité. La réponse dépendra certainement de la localisation de l’internaute, de la fréquentation du site disposant de la réponse, de l’ampleur des conversations sur les réseaux sociaux, voire de l’appréciation des internautes quant à la qualité de la piscine. Le réflexe d’aller sur le site de sa commune n’est plus nécessaire, la chance d’y découvrir d’autres informations est très incertaine, la réception de publicités associées à la recherche est assurée, mais la réponse sera donnée.
Mais si l’internaute souhaite se renseigner, par exemple, sur un projet d’aménagement, quelle sera la réponse de l’IA ? Les opposants au projet, bien présents sur les réseaux sociaux, pourraient disposer d’une place de choix dans la réponse donnée tout comme la communication publicitaire autour du projet, pas forcément en adéquation avec celle de la collectivité. L’explication plus complexe de la communication publique pourrait aussi être moins prise en compte que les polémiques autour du projet. La réponse, moins identifiée, moins sourcée, ne renverra pas nécessairement sur la collectivité. Et elle n'évitera pas forcément les risques liés aux IA génératives qui créent de faux contenus convaincants (textes, images, vidéos), ou qui présentent en priorité des informations biaisées ou des fake news. « La rumeur prend l’ascenseur quand la vérité prend l’escalier », a-t-il été énoncé devant les participants de l’atelier du Forum Cap’Com.
Les communicants publics ont rapidement intégré l’intelligence artificielle dans leur métier. Ils savent que l’accélération et l’optimisation de leur travail permises par les outils d’IA posent aussi une série de problèmes dans l’accessibilité de l’information. Ils devinent que la qualité des contenus est essentielle pour que les informations soient reprises, que les services rendus en ligne restent un atout déterminant pour les sites de leur collectivité et qu’il va falloir imaginer des parcours complémentaires d’accès à l’information s’appuyant sur tous les outils, pas seulement numériques. Comme l’arrivée d’internet, comme celle des réseaux sociaux, l’IA nous prépare une (petite) révolution.
Le Baromètre Epiceum & Harris Interactive de la communication locale
Le Baromètre Epiceum & Harris Interactive de la communication locale a rendu publique sa 8e édition réalisée en septembre 2024. Ce sondage grand public, présenté tous les deux ans par l’institut Harris Interactive, l’agence Epiceum en partenariat avec l’AMF, Cap’Com et le groupe La Poste, offre un regard pertinent sur la perception qu’ont les Français de la communication de leurs collectivités locales. Il a donné lieu à un atelier organisé avec Cap’Com lors du congrès des maires de novembre 2024.
Il a été réalisé du 27 août au 5 septembre 2024 auprès d’un échantillon de 1 005 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.