Marketing territorial : à marche forcée vers l’authenticité
Réunis pour la 10e édition des Rencontres du marketing et de l'identité des territoires, les professionnels de l'attractivité ont tiré le bilan d'une décennie de marketing territorial. Une rétrospective qui souligne les principaux points d’attention pour la mise en œuvre de stratégies d’attractivité durables et l’importance d’une démarche complète et sincère.
Par Christophe Devillers, directeur adjoint de l'agence d'attractivité Mulhouse Sud Alsace et membre du Comité de pilotage de Cap'Com.
Photo principale : dragon calaisien scrutant l'avenir du marketing territorial avec la dose de pondération qui sied et d'enthousiasme qui motive.
Attractivité des territoires : 10 ans dans le rétroviseur
Avec ce millénaire, les territoires (ah, les « territoires » !) sont entrés dans l’univers impitoyable (mais très soft power) de la conquête de nouveaux publics allochtones (1) à fortes compétences ou à gros pouvoir d’achat, susceptibles de pallier les carences de développement interne.
C’est alors que le marketing territorial est entré dans nos vies. Il est entré dans nos vies tout court de citadins, de périurbains, de campagnards, mais surtout, et singulièrement, dans nos vies de communicants publics, dont certains ont d’ailleurs réorienté leur carrière vers les questions d’attractivité en même temps que changeaient les pratiques, que passaient les générations d’élus, que se modifiait l’action politique et qu’apparaissaient de nouveaux métiers.
Tout cela a donné une nouvelle façon d’envisager la promotion des bassins de vie, des métropoles, une nouvelle façon de penser le tourisme, l’économie, la culture, le sport comme des vecteurs, intimement liés entre eux, de notoriété, d’image et comme des outils de séduction.
Et tout cela a donné de nouveaux dispositifs, de nouvelles aventures, de nouveaux métiers et une palette de sujets qui s’élargissaient pour Cap’Com ! Voire plus : un rendez-vous annuel majeur, les Rencontres nationales du marketing et de l’identité des territoires, dont la 10e édition se déroulait, après Lyon et Annecy, à Calais.
En matière d’attractivité, la doctrine et la pratique se sont enrichies mutuellement et développées de concert. L’expérimentation, l’analyse des actions ont donné naissance à une expertise nouvelle. Pour faire le point, Cap’Com avait justement réuni à Calais les 12 et 13 mai 2023, pour cette édition, des acteurs avisés du marketing territorial, dont les plus anciens ont vécu, animé, nourri et décrit cette histoire récente.
Marc Thébault, conseiller et formateur en stratégie de communication et attractivité des territoires, Anne Miriel, fondatrice du cabinet Inkipit, Vincent Gollain, directeur du département économie de l'Institut Paris Région et animateur du blog marketing-territorial.org depuis 2007, Marie Bougeois, directrice du pôle marketing territorial de l’agence Bastille, et Gauthier Dubos, directeur de la marque emblématique OnlyLyon ont confronté leurs observations des dix dernières années. Quel que fût leur prisme, leurs analyses pour l’avenir convergeaient, au bout du compte.
Assurément, la matière reste souple et en permanente évolution. On peut même conclure – si une conclusion d’un tel débat est possible – qu’on entre aujourd’hui dans une nouvelle ère de l’attractivité territoriale, qui intègre notamment les questions nécessaires d’adhésion locale, de transition environnementale et de sobriété, mais surtout d’authenticité.
En effet, si la définition de Benoît Meyronin reste valable (« comment faire de ma ville, de mon territoire, une chose et une histoire belles et désirables pour ceux qui y vivent et pour ceux que je souhaite séduire et attirer ? »), les paramètres évoluent avec les mouvements profonds de la société.
Au début de tout, il y a la nécessité de savoir où et d’où l’on parle. De préférence d’un territoire homogène, différent des frontières administratives, qui a demandé, à ses habitants, introspection et compréhension quasi psychanalytique pour gagner en pertinence.
Le réel ne se plie pas aux conditions d'un dessein politique
On sait désormais qu’il est illusoire de penser construire un « récit de territoire » sur des bases faussées et sur une promesse qui ne sera pas tenue ensuite aux yeux des « visiteurs ». Voilà qui signe la fin du storytelling, du top-down par lequel on veut imposer d’en haut un dessein politique qui voudrait trop plier le réel à ses conditions.
C’était le cas autour de 2006/2008 avec le début des « marques de territoire » (on a en tête cette carte géographique couverte par une forêt de bannières, de signatures ou de marques territoriales toutes plus colorées les unes que les autres, et qui asphyxie l’hexagone) ; la marque était alors la porte d’entrée de toutes les démarches de marketing territorial. On en faisait l’alpha et l’oméga de la promotion d’image et de notoriété, avec le sentiment (alors juste) de s’éloigner de la sacro-sainte communication institutionnelle. La marque mobilisait, fédérait les acteurs territoriaux, était idéale pour faire des habitants des ambassadeurs ; elle était repérée, positionnée sur la carte par des publics extérieurs, et incarnait la recherche d’un résultat visible et immédiat. Cette révolution fut salutaire mais insatisfaisante. Car y manquaient l’humilité (il est dangereux de balayer ses faiblesses d’un revers de main), l’offre correspondante, la réalité du marché, l’expérience et les usages, le projet.
Un territoire, c'est une société pleine de dynamique. Le travail du marketeur territorial, c'est de capter cette dynamique et de lui donner vie.
Marc Thébault
Des stratégies qui viennent aider à formaliser des projets de développement territorial
« Il n’y a pas de lieux perdus, il n’y a que des territoires sans projets », écrivait Jean Viard, cité par un intervenant. Remettre le projet de développement territorial au cœur de la réflexion, comprendre les problématiques d’attractivité, d’hospitalité, d’image restent, dès lors, des préalables à l’élaboration des réponses spécifiques en matière d’attractivité.
Aujourd'hui, les démarches d'élaboration de stratégies transversales viennent questionner le projet de territoire.
Anne Miriel
Prendre en compte la montée en puissance de l'expérience de vie
Il manquait aussi la prise en compte d’éléments moins rationnels, affectifs, émotionnels, qu’il fallut se résoudre à agréger à l’argumentaire ; ils constituent d’ailleurs souvent la vraie différenciation, au cœur de la culture et des valeurs d’un lieu. De la même façon, l’histoire d’un espace de vie, à condition d’être projective, ne doit pas être réinventée, mais comprise, déclinée, réinterprétée, comme preuve d’un terreau unique pour porter une dynamique attirante. Et enfin manquaient une adhésion et une appropriation « populaires » (préférable à « citoyennes ») des habitants. On a assez vite compris que la réalité devait confirmer le discours, donc qu’un récit devait être si possible co-construit et en tout cas validé par l’expertise d’usage et les forces vives qui auraient à le manier. Aucune marque, aucun récit hors sol n’ont percé ces dernières années, et le phénomène s’accroît et s’accroîtra avec la montée en puissance de l’expérience de vie qui se développe et participe, plus que jamais, et tout particulièrement dans les villes, à la définition du paysage, des usages, des transports et des modes de circulation ou de l’offre culturelle et patrimoniale.
On est bon pour raconter des histoires mais on a du mal à se connecter avec celles et ceux qui produisent la ville pour améliorer l'expérience vécue.
Vincent Gollain
Vers une nouvelle ère du marketing territorial
C’est une nouvelle façon de préparer et de flécher son marketing territorial qui est en train de s’écrire.
Plus fédérateur, il fera la synthèse entre un projet politique pragmatique de développement et une ouverture rêvée au monde.
Plus sensible, il sera désormais plus proche de la vie réelle et vécue, et de la diversité d’une population dont l’identité – les identités – n’est pas statique et se recompose sans cesse.
Plus intègre, il correspondra mieux aux attentes légitimes des groupes ciblés.
Une terre attractive, c’est, au fond, une terre où les habitants, les premiers, vivent heureux, sont prêts à le dire et consentent de façon éclairée au déploiement d’une politique d’attractivité. Du travail assuré pour les techniciens de l’attractivité comme pour les communicants dans les dix ans qui viennent.
(1) Le terme allochtone (substantif ou adjectif) signifie littéralement « terre d'ailleurs », du grec ἄλλος (allos), « étranger », et χθών (chthon), « terre ». À l'opposé du concept d'allochtone, on trouve celui d'autochtone, littéralement « terre d'ici ». (Wikipédia)