Pages de com : « Les défis de la démocratie » dans les « Cahiers français »
Nous revenons sur cette excellente publication de La Documentation française avec ce numéro de mai/juin 2024 qui, s’il est sorti avant les conséquences des élections européennes et le coup de tonnerre de la dissolution de l’Assemblée nationale, en est étonnamment un outil très utile de décryptage. Il montre que ces défis de la démocratie ont des racines et il permet de prendre de la distance. Jamais le sous-titre de ces Cahiers n’aura été aussi fort : « Comprendre la société, éclairer le débat public ».
Nous avions relayé l’analyse de Rémy Lefebvre, publiée sur viepublique.fr, s’achevant sur une inquiétude face à une partie de l’électorat qui, tout en faisant preuve d’un désinvestissement par rapport à l’action politique et la démocratie représentative, montrait une soif d’autorité, voire d’autoritarisme. Dans ce numéro 439 des Cahiers français, les auteurs, la plupart venant du monde académique, entrent dans le détail et livrent des analyses convaincantes, sur l’abstention et la défiance, la dérive populiste ou la sécurité et l’État de droit. En plus de 100 pages, on y retrouve cette ambivalence des Français qui disent très majoritairement vouloir prendre plus de place dans le processus de prise de décision politique, mais s’abstiennent massivement, contestent de façon épidermique ou rejettent leurs représentants légitimes. Pour Marc Lazar, professeur émérite à Sciences Po, « les fictions fondatrices sur lesquelles se sont édifiées nos démocraties sont aujourd’hui mises en cause ».
Des gilets jaunes à la crise démocratique majeure
Il ajoutera une remarque très percutante, page 34, sur les conséquences du 25 janvier 2024. Mais à quoi fait-il référence ? À « cette accusation de gouvernement des juges, à l’occasion de la décision du Conseil constitutionnel rendue le 25 janvier sur la loi immigration. Cela conforte une partie de l’opinion qui a l’impression que l’on censure une loi avec laquelle elle était à l’unisson ». Des malentendus, des malaises et des manipulations, il y en eut tant et tant. Si l’on parcourt ces pages, on remonte aux gilets jaunes et aux récupérations et trahisons, vécues ou réelles, décrites sans concessions par des spécialistes éclairés, mus par une volonté commune de comprendre et de trouver les facteurs ayant conduit à la situation démocratique vertigineuse que nous vivons aujourd’hui. On y retrouve, pêle-mêle, l'essoufflement des institutions, la désinformation et les campagnes de dénigrement (Cap’Com est fier d’avoir soutenu la publication récente de l’ouvrage de Klimentini Diakomanoli sur la lutte contre les infox), la radicalisation du débat public, la perte d’un référentiel culturel commun, le creusement des inégalités sociales…
Il est incroyablement pertinent ! Il faut l’acheter et le faire lire.
On trouvera ici également des pistes et des propositions, notamment sur l’éducation aux médias, avec le long article de Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie, membre du Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République (page 70).
Mais ce qui frappe, avec la sortie de ce numéro d’analyses à froid, c’est qu’il arrive à chaud. Il est incroyablement pertinent ! Il faut l’acheter et le faire lire. Et se dire collectivement qu’on a une chance folle d’avoir une institution comme La Documentation française qui puisse produire en toute indépendance scientifique une somme d’une telle profondeur, avec les moyens publics. Car, oui, c’est œuvre de service public. De la plus belle manière.
C’est à l’évidence un genre d’ouvrage qui disparaîtrait si les institutions nationales françaises passaient sous une gouvernance méfiante envers la raison, cherchant plus comment conduire, même brutalement, que comment éclairer. Bref, nous parlons là d’un obscurantisme idéologique aux antipodes de ce que la République française et tous ses acteurs, même locaux, ont patiemment construit depuis la Libération. Vive les Cahiers français, vive la République !
Les Défis de la démocratie
Les Cahiers français numéro 439
La Documentation française
Mai/juin 2024
112 pages