Pages de com : « Tentative d’épuisement de l’avenir du futur » par Rafi Haladjian
C’est le dernier livre de l’année et le premier de l’été. Alors voici une proposition touffue, libre et non conventionnelle qui nous a été faite par Christophe Agnus, de Reporters d’espoirs, président du grand jury de notre Prix de la presse et de l’information territoriales 2024. Ce livre, il l’a édité et il en défend l’auteur, un de ses amis du monde du web. Un ouvrage qui peut se lire à l’endroit ou à l’envers, sur une plage ou dans un lit breton sombre. Il est épuisant et cela repose.
Christophe Agnus n’est pas une oie blanche, même s’il aime la candeur et la simplicité dans un monde numérique ouvert et bienveillant. Il a été ce journaliste avant-gardiste, défrichant pour L’Express les éditions numériques. Il garde de ces années-là des fidélités (comme il reste un homme de mer ; en témoigne sa maison d’édition, Nautilus, dont « Aronnax » est une collection). Et s’il édite aujourd’hui ce livre de Rafi Haladjian, c’est que c’est important. Il nous l’a présenté avec convictions et a mis en avant le foutoir provocateur de ces pages, rédigées d’une main sûre par un petit génie du web, entrepreneur et curieux, issu d’un melting pot culturel et qui a tracé sa vie comme on navigue dans des eaux perturbées, surfant, prenant les vents, attaché à sa barre, déterminé, accrocheur, visionnaire. Le bonhomme revient sur ce parcours et collectionne des images, familières pour beaucoup d’entre nous, liées aux changements dans les médias, à l’avènement du numérique, rappelant d’anciens rituels binaires, le Minitel, les modems et les géants du web dans une grande saga humaine avec ses aventures économiques et commerciales, ses modes, ses succès, ses échecs.
De l’attention à perte de vue
Il dit avec un humour constant, une distance même, presque ironique, nos espoirs et nos naïvetés. Il prend tout au second degré dans des paragraphes décousus, remplis de sous-catégories, d’encadrés, de notes, ou de titres décalés (« Un homme azerty en vaut deux », p. 91). Il use et abuse d’expressions en arménien, en arabe, en hébreu, en grec ancien… Il nous fait revivre des scènes dans son Liban natal. En fait l’auteur livre tout, en vrac : sa vie, son expérience, ses réflexions, son analyse, auxquelles il ajoute des curiosités et des fantaisies. Il n’hésite pas à convoquer les images de grands créateurs, saint Jérôme de Stridon, Steve Jobs, avec lesquels il choisit, en quelque sorte, de dialoguer à travers ces pages, pour parler d’innovation, sa quête. Heureusement que vos Pages de com avaient pris soin de chroniquer un ouvrage d’Anthony Galluzzo paru à La Découverte (collection « Zones ») l’an dernier : Le Mythe de l'entrepreneur. Défaire l'imaginaire de la Silicon Valley. Un bon vaccin pour ne pas oublier que ces mythologies sont construites et cachent des réalités collectives bien moins oniriques.
Mais vaccinés que nous sommes, nous pouvons donc pénétrer cet été dans ce livre tapissé de réflexions personnelles, presque des maximes, témoins d’un itinéraire passionnant au cœur de la construction de ce qui est désormais notre univers et qui tend toujours vers une forme de double numérique, un métavers, qui réapparaît ici dans son dernier chapitre : « Postweb et métaverse ». Bonnes vacances à toutes et à tous avec ce rafraîchissant « Rubrique-à-brac » de notre Gotlib digital !
Tentative d’épuisement de l’avenir du futur
Rafi Haladjian
Éditions Nautilus
Collection « Aronnax »
Oct. 2023
420 pages