Sprinters et marathoniens
Le nez sur les urgences qui se succèdent depuis deux mois, les communicants publics ont toutefois l’œil sur un horizon plus ou moins lointain, inquiétant ou excitant. Ils regardent vers un espace plus vaste et se préparent… à l’inconnu. Tentative pour poser quelques repères sur ce chemin incertain.
Par Alain Doudiès, consultant en communication publique, ancien journaliste, membre du Comité de pilotage de Cap’Com.
C’est la crise ! Parmi la quinzaine de définitions qu’inventorie le Centre national de ressources textuelles et lexicales, retenons celles-ci : « Situation de trouble profond dans laquelle se trouve la société ou un groupe social, laissant craindre ou espérer un changement profond » ou « Situation troublée caractérisée par des transformations plus ou moins violentes (des régimes, de l’équilibre des pouvoirs, des États) » ou encore « Situation où les principes sur lesquels repose une activité sont remis en cause ». Bref, ça bouge et ça va bouger autour de nous, ça va et ça doit changer pour nous.
« Je ne pourrai pas payer les agents »
C’est la crise ou, plutôt, l’hypercrise. Les crises se chevauchent et s’enchaînent : crise sanitaire, crise économique, crise sociale dont les ravages se déploient et… crise écologique dont les dégâts se perpétuent, même si on a vu trois canards traverser la place du Panthéon. La crise des finances publiques sera aussi là : elle va frapper les collectivités locales. Le choc s’annonce rude. Certains élus s’alarment déjà. Un président de conseil départemental, peut-être tenté de forcer le trait parce que dans l’opposition, évoque « l’effondrement des recettes » venant des transactions immobilières et des entreprises, et menace : « Sans un plan d’aide de l’État, en novembre, je ne pourrai payer ni le RSA, ni les salaires des agents. »
Avec des politiques publiques amplifiées, pour faire face aux besoins, ou réorientées, pour concrétiser de nouvelles priorités, les budgets vont être très difficiles à élaborer et à exécuter, d’autant plus que, contrairement à l’État, les collectivités n’ont pas droit au déficit. Conclusion : nous devrons être très convaincants pour démontrer que, plus que jamais, la communication sera nécessaire pour accompagner les mutations. Nous devons aussi être performants pour aller vers une communication plus modeste et plus sobre, sans perdre en efficacité. La porte sera étroite.
Le temps long de l’hypercrise
Nous avons compris que la crise sanitaire ne cessera pas le 11 mai, ni le 11 juin, ni le 11 octobre. Les autres crises vont aussi se prolonger. Il faudra deux ans pour que l’activité retrouve son rythme, disent des économistes. Les autres effets sur la société vont probablement être autant de répliques, plus ou moins fortes et plus ou moins différées, du tremblement de terre initial. Nous devons donc nous situer dans le temps long de l’hypercrise dont l’ampleur, la durée et les multiples conséquences n’ont rien à voir avec une crise circonscrite dans le temps et l’espace, comme l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen.
Sous l’aiguillon habituel de délais courts, nous sommes souvent des sprinters et, avec le calendrier du plan annuel de communication, des demi-fondistes. Mais nous devons tenir la distance : être aussi des marathoniens, résolument musclés pour une course de longue haleine, bornée par la mandature des élections plus ou moins prochaines.
Dix mois après le début de l’hypercrise, le prochain Forum de Cap’Com, tel qu’il se préfigure, nous permettra de reprendre notre souffle, en prenant du recul. Il devra éclairer notre chemin sur les grands enjeux, par le triple apport du bilan de la communication de la crise, des analyses d’experts et de l’examen de l’état de l’opinion, et proposer des réponses opérationnelles aux diverses problématiques à traiter. Vivement décembre !