Travailler avec les influenceurs : quel intérêt pour le communicant public ?
Sur les médias sociaux, certains influenceurs ont pignon sur rue et entrent dans l’écosystème médiatique des communicants publics. La question se pose donc : pour quelles raisons travailler avec les influenceurs ? Quels sont les conseils pratiques de base ? Interview de Baptiste Bruzel, chargé de communication numérique à Bordeaux Métropole.
Parce que certains influenceurs sont plus proches de leurs communautés que les comptes réseaux sociaux institutionnels, les stratégies d’influence se développent dans le secteur public. Mais elles ne sont pas systématiques. Quels sont les apports des influenceurs en communication publique ? Quand et pourquoi travailler avec eux ? Comment les choisir ?
Pour faire le point sur ce sujet de plus en plus viral, nous avons interrogé Baptiste Bruzel, spécialiste en la matière. Il est chargé de communication numérique à Bordeaux Métropole. Auparavant, il a notamment exercé cette fonction au Centre des monuments nationaux. Au-delà de son expertise en création de contenus web, il a particulièrement travaillé sur les relations influenceurs. Il interviendra sur ce sujet lors de la journée d’actualité dédiée aux relations presse du secteur public, le vendredi 23 juin à Paris.
Votre prochain rendez-vous relations presse
Point commun : Vous avez travaillé sur les relations influenceurs et mis en place plusieurs opérations. Aujourd'hui, que peut faire, selon vous, une collectivité territoriale ou une institution publique avec les influenceurs ? Quel est l’intérêt de travailler avec eux ?
Baptiste Bruzel : Les principaux apports pour le communicant public se situent au niveau de deux objectifs : toucher des cibles nouvelles ou élargies, et gagner en notoriété.
Pour le premier objectif, la cible sera différente, lorsque l’on travaille avec un influenceur, de celle que l’on touche habituellement. Les communautés des collectivités et organismes publics sur les réseaux sociaux sont en effet plutôt âgées. De par l’attrait de l’incarnation, les influenceurs sont plus suivis et ont des communautés jeunes assez importantes. De plus, les influenceurs ont une caractéristique intrinsèque qui est la spécialisation. Certains influenceurs ont de petites communautés ciblées par rapport à des sujets très précis : sport, culture, écologie, etc., lesquels peuvent entrer dans le champ des compétences des collectivités locales. L’apport à travailler avec un influenceur est donc ici vraiment la cible que l’on veut toucher : grâce à lui on pourra toucher des communautés très précises, ce que l’on n’arrive pas trop à faire avec les communautés et les supports classiques dans le secteur public.
Le second intérêt se situe au niveau de la notoriété que cela peut apporter. Parce que travailler avec un influenceur, ça demande de trouver un sujet original, de bien le penser, de faire un bon brief, etc. S’il est bien fait, ce travail amène à montrer qu’on fait des pas en avant avec une communication audacieuse. Et ça peut être un vrai gain en termes de notoriété pour l’institution.
Micro ou gros influenceurs : quelques points de repère
Ce n’est pas le seul et unique critère pour faire le choix de l’influenceur avec lequel on va travailler. Mais il a son importance. Quel est le mètre étalon de l’influence pour le secteur public ?
- Les micro-influenceurs comptent généralement jusqu’à 2 000 abonnés. Cette échelle peut être intéressante et suffisante pour une collectivité qui voudrait toucher des cibles très précises et très éloignées.
- L’influenceur moyen compte environ de 2 000 à 10 000 abonnés. Il peut être pertinent pour des objectifs de notoriété, par exemple.
- Les gros influenceurs comptent de 10 000 à 50 000 abonnés. Les structures privées travaillent souvent avec eux.
- Les grosses stars comptent plus de 50 000 abonnés. Il peut être plus difficile de travailler avec eux. Surtout, il faut veiller à ce que ces personnalités créent de vrais contenus.
Point commun : Certains sujets ou certains types d’opérations de communication se prêtent-ils mieux à la stratégie d’influence ?
B. B. : Avant toute chose, il faut se poser la question suivante : quel sujet va plaire à un influenceur ou pourra être original ou ludique pour travailler avec lui ? Dans les collectivités, il y a beaucoup de sujets et tous ne sont pas très attractifs pour eux. À Bordeaux Métropole par exemple, les sujets transports/mobilité fonctionnent très bien. Ça permet de valoriser un point spécifique du plan de com auprès d’une autre cible. Autre exemple, l'armée de l'air et de l'espace a quant à lui mené une opération succès sur le recrutement. L'important, c’est surtout de se dire : quel type d’influenceur pourrait travailler sur mon sujet, comment amener le sujet pour lui plaire, et quel brief ? Côté influenceur, il doit y voir une possibilité de création et d’originalité pour être attiré ou pour qu’il entre facilement dans le sujet. Le type d’opération conviendra à un influenceur parce que c’est son domaine !
C’est important de bien lier l’opération au type d’influenceur. Il faut être dans leur champ d’action.
Ensuite, selon moi, les opérations « coulisses » et les événements avec expériences sont les types d'actions qui fonctionnent le mieux.
- Les coulisses et les « vis ma vie » d’agent ou de métier se prêtent très bien au travail avec les influenceurs. Coulisses, visites insolites, valorisations de chantiers, etc., on a tous des choses insolites à montrer qui permettront de faire connaître certains sujets ou compétences de la collectivité. Sur ce type d’opération, les influenceurs vont pouvoir créer des contenus et mettre en avant la vie locale. Dans ce cas, le mieux est de travailler avec un local, il y a toujours un influenceur intéressé par ce type d’opération parce que le côté exceptionnel d’une coulisse marche très bien ! Point de vigilance néanmoins : il faut faire attention à ce que le sujet ne soit pas trop polémique pour ne pas mettre l’influenceur dans une mauvaise situation. Il faut bien anticiper et cadrer cela.
- Les influenceurs peuvent également accompagner le lancement ou la promotion d’événements types inaugurations, festival, etc. Classiquement, ils font des articles, des stories avec liens, des posts Instagram, etc. Les événements fonctionnent très bien. Là aussi, il est intéressant selon l’influenceur – surtout s’il est « gros » – de lui proposer quelque chose d’exceptionnel, comme une rencontre avec un artiste. Ça permet de lui faire vivre l’expérience et de créer des contenus attractifs.
Enfin, il faut toujours avoir en tête qu’on a beaucoup à gagner à travailler en collectif. C’est notamment vrai pour les opérations plutôt liées au tourisme. On peut par exemple travailler sur des voyages, des expériences pensées globalement avec des offices de tourisme, des comités départementaux du tourisme, des hôteliers, des restaurateurs, des musées, etc. Plus globale, ce genre d’opération apportera un vrai plus à l’influenceur et aux contenus qu’il créera parce qu’en travaillant avec les autres structures, on peut proposer une vraie expérience.
Il n’est pas obligatoire de créer un compte réseau social institutionnel, celui de l’influenceur peut être suffisant
Twitch, TikTok, Instagram, Snapchat, etc. Les réseaux sociaux sont nombreux. Selon sa stratégie, une collectivité choisit de cibler en moyenne deux ou trois réseaux. Et si l’influenceur choisi s’exprime sur un réseau social pour lequel la collectivité n’a pas de compte, il n’est pas impératif d’en créer un. En effet, comme toute campagne de communication digitale, l’influence a plusieurs objectifs :
- le recrutement de nouvelles cibles : dans ce cas-là la collectivité doit posséder un compte sur le même réseau social que l’influenceur avec lequel elle travaille ;
- la notoriété : cet objectif n’est pas du tout lié au fait de posséder le même réseau social que l’influenceur. Si les communicants ne peuvent pas l’alimenter derrière, il est même contre-productif de créer un compte. L'important dans un objectif de notoriété, c’est de parler du sujet sur le compte de l’influenceur et de mettre des liens vers le site internet de la collectivité.
Point commun : Au-delà de la cohérence entre l’opération ou le sujet et le type d’influenceur, comment s'y prendre concrètement pour choisir un influenceur et le contacter ?
B. B. : Pour choisir un influenceur, c’est beaucoup de travail, beaucoup de veille, beaucoup de temps. Bien sûr, il existe des logiciels tenus par des agences pour trouver son influenceur selon son sujet, mais les prix sont assez élevés. Pour un influenceur plutôt local, avec une communauté plutôt moyenne de 2 000 à 5 000 « followers » par exemple, il faut faire de la veille. Il faut aller chercher par mots-clés, être curieux, regarder des contenus, aller sur des réseaux sociaux que l’on n’a pas ou que l’on ne connaît pas très bien. Il faut créer des listes, regarder le nombre d’abonnés et les engagements, et également bien vérifier s’il n’y a pas de polémiques autour de l’influenceur. Puis il faut créer de l’affinité avec certains influenceurs. Prendre le temps de cela, c’est important.
Par ailleurs, il faut se demander si l’influenceur est plutôt « visuel » (influenceur réseaux sociaux) ou s’il est plutôt « contenus » (influenceur blog). Et puis il faut savoir ce que l’on veut. J’aurais plutôt tendance à recommander de prioriser le travail avec un influenceur qui a un blog car le référencement web est très utile pour les collectivités. Un influenceur qui a un blog important permet une bonne visibilité du sujet mais aussi un bon référencement. Et puis l’avantage du blog, c’est qu’il a souvent un formulaire de contact ou bien une adresse mail.
La stratégie d’influence n’est pas systématique dans un plan de communication numérique.
S'il n'a pas de formulaire de contact, le mieux est de le contacter par message privé sur les réseaux sociaux. Ici, il faut faire attention car on entre dans une relation potentielle de client/prestataire. Il faut donc garder un langage professionnel et institutionnel, même si l’influenceur tutoie tout le monde sur les réseaux. Parce qu’il ne faut pas créer avec eux une ligne éditoriale qu’on ne leur demanderait pas de faire. Autre point de vigilance : il ne faut pas interpeller un influenceur en public, dans les commentaires ou autre.
En définitive, ce qui importe, c’est d'anticiper son récit, et de prendre le temps de trouver quel influenceur parle de ça. Selon moi, il faut partir de ce postulat, et non l’inverse. Si les contenus n’ont pas de sens parce que l’influenceur ne maîtrise pas le travail ou le sujet : les communautés ne suivent tout simplement pas. S’il n’y a pas d'influenceur pertinent sur le sujet, il n’y en a pas. Il faut savoir dire non. La stratégie d’influence n’est pas systématique dans un plan de communication numérique. Il y a d’autres types de communication si on ne trouve pas. Enfin, il faut aussi préparer les arguments si on nous impose une personne que l’on considère n’être pas adaptée au sujet.