Faire moins mais mieux, le nouveau cap du marketing territorial
Le marketing territorial est en train de quitter l’esprit de la société d’hyperconsommation et sa logique du toujours plus, pour aller vers une logique du toujours mieux. Telles sont les conclusions des échanges qui ont animé les dernières Rencontres nationales du marketing territorial. Revenons sur les réflexions et les apports de cet événement inédit, tant dans sa forme que dans ses contenus.
Les 8es Rencontres nationales du marketing et de l’identité des territoires se sont déroulées les 25 et 26 février. Elles ont pris la forme exceptionnelle d’un webinaire tourné en direct depuis les Papeteries d’Annecy, lieu totem de l’image et de l’industrie créative. Près de 100 professionnels de la promotion et de l’attractivité des territoires étaient réunis en visioconférence et une dizaine d’experts mobilisés, à distance où en présence (1). Grâce à l’interactivité du format et à la diversité des intervenants, ces deux demi-journées ont fédéré de nombreux acteurs autour de la question : quelle transition pour le marketing territorial ?
Un webinaire qui a donné lieu à des échanges nombreux et de qualité, caractérisés par une tendance de fond : la profession se recentre aujourd’hui sur des problématiques nouvelles, et plus pragmatiques.
Être à l’écoute des transformations, donner du sens à l’avenir
La majeure partie des interventions et des échanges entre participants converge vers un constat objectif : la pause qui a été faite à l’occasion du premier confinement a accentué et transformé, non seulement les comportements, mais surtout les aspirations en matière d’habitat, de consommation, de mobilité et d’environnement. Les observations pointées en conférence d’ouverture par Guénaëlle Gault, directrice générale de l’Observatoire société et consommation, permettent de dessiner les nouvelles attentes et les nouvelles pratiques des cibles du marketing territorial. Elles montrent à quel point la crise sanitaire est venue consolider des évolutions sociétales profondes, avec des aspirations fortes à vivre et à consommer autrement : « 55 % des Français souhaitent une organisation de l’économie et de la société qui tende vers l’équilibre, vers une forme de sobriété. Il s’agit de faire moins, mais mieux. Il s’agit d’une économie de la proximité, du faire soi-même, du ralentissement. Et surtout du sens. On voit que ces changements et ces transformations vont être pérennes car cette adhésion à ce que nous appelons “l’utopie écologique” est massive. »
La nécessaire compréhension, par les professionnels du marketing, de ces transformations est soulignée par Catherine Réju, déléguée générale de l'Adetem - l'association des professionnels du marketing - et François Laurent, co-auteur du Manifeste pour le marketing de demain : "Aujourd'hui, le marketing doit devenir responsable et plus respectueux, de la planète et des gens qui la peuplent. Une des principales fonctions du marketing est de comprendre comment ces gens raisonnent. En ne tenant pas compte de cette diversité intellectuelle des gens on aboutit à des choses contre-productives".
Pour Vincent Gollain, directeur du département économie de l’Institut Paris Région, ces nouvelles aspirations sont à écouter et à prendre en compte dans la construction des démarches d’attractivité : « Il est important que les professionnels du marketing et de l’attractivité des territoires ralentissent leurs projets pour se donner le temps de dialoguer avec les habitants et avec les visiteurs, afin de co-produire quelque chose de plus ancré dans le sens. Ce sens qui renvoie à ce dont ont envie nos cibles aujourd’hui. Parce qu’elles ont envie de savoir où elles vont, il faut donner du sens à l’avenir des territoires. »
En accélérant les transformations déjà à l’œuvre, la crise sanitaire impose donc de repenser le sens des démarches de marketing territorial, pour aller vers une attractivité des territoires qui réponde aux nouveaux comportements, plus centrés sur la sobriété et la proximité.
L’attractivité autrement
Vers un tourisme durable, équilibré et apaisé
Les notions d’éthique et de durabilité des démarches d’attractivité ont largement été développées tout au long du webinaire. En matière de tourisme notamment, Étienne Andréys – vice-président au tourisme durable du Grand Annecy – détaille les orientations du territoire et propose quelques innovations qui n’ont pas manqué de questionner les participants dans le chat du webinaire : « Notre objectif est de mettre en place un tourisme apaisé, qui rende la destination durable en s’engageant dans un processus de labellisation, comme “Green Destination”. Tous les acteurs seront sensibilisés à ces pratiques nouvelles, y compris les visiteurs, avec la mise en place d’un serment du visiteur. Inspirée du serment islandais, cette charte a pour vocation de sensibiliser au respect de l’environnement et de limiter les conflits d’usage en s’adaptant au territoire où elle opère (lac, montagne). »
La vision du tourisme bienveillant exposée par Lionel Flasseur, directeur général d’Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme, fait quant à elle le focus sur le développement équilibré d’une filière touristique accessible à tous : « Le tourisme bienveillant prend en compte des logiques environnementales et économique. Surtout, il s’intéresse aux enjeux sociaux. Son objectif étant de s’adresser au plus grand nombre, et pas uniquement à une partie de la société. Il s’agit donc de développer des offres, des services et des tarifs qui permettent l’accès à tous – en tous lieux et en toutes saisons – et qui rassemblent les différentes classes sociales. »
Valoriser la nouvelle utopie rurale
Alors que 38 % des urbains souhaitent déménager, on observe un regain d’attractivité pour des villes moyennes et les territoires ruraux. Guénaëlle Gault précise : « Les personnes interrogées veulent être en contact avec la nature, mais elles aspirent à conserver une qualité de vie : entourage social, commerces, écoles et culture. Cette attirance préexistait à la crise sanitaire. Mais la massification du télétravail a levé les freins et avantage les territoires ruraux avec la possibilité d’une installation durable. »
Spécialiste de l’attractivité des territoires ruraux et maire de la commune d’Auger-Saint-Vincent, Fabrice Dallongeville détaille les leviers à activer pour valoriser cette nouvelle utopie rurale : « Il est temps que les territoires ruraux portent un discours d’attractivité et un message plus positif sur ce qu’ils sont capables d’apporter aux candidats à l’installation. » Pour ce faire, il propose plusieurs leviers, parmi lesquels :
- valoriser l’offre culturelle, très structurante pour redonner du sens aux habitants et en attirer de nouveaux ;
- exploiter la dynamique des tiers-lieux – dont bon nombre sont implantés dans les petites villes et territoires ruraux – pour rééquilibrer l’aménagement et l’offre de services. Ces espaces permettent en outre de disposer de ressources et d’ingénierie pour aborder tous les enjeux de transition énergétique ;
- construire un imaginaire positif autour de la ruralité ;
- développer des actions de découverte et d’expériences telles que les micro-aventures ;
- sensibiliser les élus, en s’appuyant notamment sur l’implication – réelle – des habitants.
Travailler l’offre de services et la convivialité au niveau local
L’une des observations majeures de cette édition est le resserrement, non plus sur des objectifs de notoriété ou sur des valeurs de marque à promouvoir, mais sur des préoccupations locales et sur l’hospitalité des territoires.
Sur le terrain de l’attractivité économique et résidentielle par exemple, Anne Miriel, consultante et fondatrice d'Inkipit, souligne que les collectivités territoriales doivent affirmer leur mission sociétale, en développant une offre qui corresponde aux aspirations de vie : « Les stratégies de marketing territorial peuvent apporter une vraie valeur ajoutée aux dispositifs de recrutement et de marque employeur par exemple, à condition qu’il y ait convergence entre les aspirations des candidats et la qualité de vie sur le territoire. Pour faire converger ces besoins, les territoires doivent apporter des solutions ou y contribuer. »
Pour Vincent Gollain, c’est en s’appuyant sur l’expérience des utilisateurs que se fabrique l’avenir des territoires conviviaux et qualitatifs : « L'idée est d’améliorer la convivialité et l’attractivité des villes et de la ruralité, en croisant les regards. Il ne s’agit pas de peaufiner un discours, mais bel et bien de s’appuyer sur le vécu, sur l’expérience des gens, ainsi que sur les différents corps de métiers pour réenchanter l’offre et les espaces publics. »
Casser les silos : la transversalité au service de l’hospitalité des territoires
En termes de pratiques et de méthodologie, les différentes interventions pointent un réel besoin de transversalité pour renouveler le sens et mener à bien les démarches d’attractivité.
Ayant assisté au webinaire, Philippe Lancelle, directeur du tourisme de la région Bourgogne-Franche-Comté, résume : « On s’aperçoit qu’il y a un lien très fort entre marketing et aménagement des territoires. Chaque geste public qui est mis en place par une collectivité sur un territoire participe à la démarche d’attractivité : le marketing territorial est dans l’ensemble de l’action publique et il faut créer ces liens. » Au-delà d’une transversalité qui opère au niveau des services d’une administration, les différentes institutions d’un même territoire sont appelées à travailler ensemble. Marc Thébault, responsable de la mission attractivité de la communauté urbaine de Caen-la-Mer, mène par exemple, depuis plusieurs années, une action mutualisée avec le département du Calvados. Il témoigne : « Cette culture du collectif est assez récente et répond à une logique de pragmatisme, de réalisme (…). L’aire d’attraction de Caen correspond à environ 70 % du département du Calvados. En termes de bassin de vie et de bassin économique, on est sur les mêmes objectifs. À mutualiser les moyens et les idées, on est tous gagnants. »
L’organisation et le management des stratégies marketing deviennent de vrais enjeux.
Anne Miriel
Pour Anne Miriel, « les dix dernières années ont permis de travailler les notions, de peaufiner les stratégies. Aujourd’hui, on arrive à maturité et on entre dans des phases opérationnelles beaucoup plus pragmatiques (…). Pour s’en donner les moyens, il faut travailler en transversalité. Cela demande de l’animation, des personnes ressources qui vont créer des liens et des expérimentations. On entre dans une phase où l’organisation et le management des stratégies marketing deviennent de vrais enjeux ».
Recréer du lien : un enjeu fort pour la profession
Si de nombreux apports et nouveautés sont venus confirmer le changement de cap du marketing territorial tout au long de ces Rencontres, c’est sur la question du lien que convergent finalement bon nombre d’enjeux. Guénaëlle Gault observe : « Aujourd’hui, le tissu social est très abîmé et il va falloir le réparer. Les Français sont prêts à le faire, il y a une disponibilité et il va falloir penser cela avec eux. Les attentes sont énormes. Ils attendent beaucoup des acteurs locaux et des territoires sur les dimensions de convivialité et de solidarité notamment. » Et Vincent Gollain de conclure : « Il faut provoquer le lien entre le territoire et ses publics, locaux ou extérieurs. C’est dans la profondeur de ces échanges que se situent désormais les grands enjeux du marketing territorial et de la communication publique. »
(1) Photo principale de gauche à droite : Fabrice Dallongeville, consultant et formateur, maire d’Auger-Saint-Vincent – Nastassja Korichi, responsable des événements de Cap'Com – Yannick Heude, responsable du développement économique Citia Les Papeteries Image Factory – Yves Charmont, délégué général de Cap'Com – Lionel Flasseur, directeur général d'Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme – Vincent Gollain, directeur du département économie de l'Institut Paris Région.