« Veiller à ce que l’e-gouvernance soit véritablement au service des citoyennes et citoyens »
Non seulement la digitalisation des administrations publiques recrée du lien avec les citoyens. Mais plus encore, elle permet de définir des politiques publiques efficaces ou innovantes, à condition qu’elle s’adresse à tous. Responsable des programmes chargée de la politique numérique et spatiale du think tank Friends of Europe, Elizabeth Wiltshire trace les contours d’une e-gouvernance inclusive.
Elizabeth Wiltshire est responsable des programmes chargée de la politique numérique et spatiale chez Friends of Europe à Bruxelles. Elle est également membre associée du Tony Blair Institute for Global Change sur les questions de politique technologique. Ses travaux portent actuellement sur la politique numérique et spatiale, et elle s’intéresse particulièrement à l’éthique et aux droits numériques.
Cap'Com : En tant que spécialiste des politiques publiques et des technologies, pensez-vous que la numérisation et les innovations technologiques peuvent améliorer la relation entre le gouvernement et la population ?
Elizabeth Wiltshire : Oui, absolument. Je pense que la numérisation et les technologies peuvent améliorer cette relation. La recherche de solutions aux défis de la numérisation est l’occasion d’intégrer les citoyennes et citoyens au processus de gouvernance en favorisant la participation et l’engagement. Les outils numériques et les nouvelles technologies font partie des processus de gouvernance, lesquels pourraient être plus efficaces et davantage au service des populations. Il est également important de prendre en compte les aspects en ligne et hors ligne de chaque processus. L’e-gouvernance offre la possibilité de numériser plus de démarches et favorise la participation citoyenne.
Cap'Com : Selon vous, quels sont les plus grands obstacles à l’e-gouvernance à travers le monde ?
Elizabeth Wiltshire : Certains pays comme l'Estonie ou Taiwan sont très en avance dans l’e-gouvernance. J’identifie trois grandes problématiques en la matière.
- La sécurité informatique : c’est plus simple pour les pays moins peuplés, parce qu’il est très difficile, lorsque l’on numérise des démarches dans de plus grands pays, de garantir leur sûreté et leur fiabilité.
L'inclusion numérique : il est crucial de veiller à ce que tout le monde ait accès à internet, et puisse et sache utiliser les outils numériques.
Une mise en place progressive : j'habite en Belgique. Et la Belgique a déjà commencé à développer l’e-gouvernance. De nombreuses démarches administratives peuvent être faites ou au moins commencées sur internet. Je pense qu’il est possible de mettre en place ce nouveau modèle progressivement et que tous les pays peuvent, petit à petit, optimiser et rendre accessibles les démarches en ligne. Il est certes essentiel de bien concevoir l’e-gouvernance, mais il est tout aussi important de penser à son déploiement à grande échelle, aux informations à diffuser et à d’autres questions de cette nature pour s’assurer que l’e-gouvernance soit véritablement au service des citoyennes et citoyens.
Nous devons veiller à ce que l’e-gouvernance soit véritablement au service des citoyennes et citoyens.
Elizabeth Wiltshire appuie son propos sur l'observation de plusieurs pays qui mènent de manière volontariste des projets d'e-gouvernance avancés :
- Taiwan via son portail officiel de la République de Chine, Taiwan ;
- l'Estonie et sa promesse de réaliser 99 % des services publics en ligne ;
- la Belgique, qui avance de manière progressive.
Cap'Com : Répondre au mieux aux intérêts des citoyennes et citoyens, cela passe aussi par l’amélioration des politiques publiques. Dans un cercle vertueux, pensez-vous que les technologies peuvent y contribuer ?
Elizabeth Wiltshire : Je pense qu’il y a aujourd’hui beaucoup de plateformes d’engagement en ligne qui offrent la possibilité de participer à la vie publique et de s’impliquer dans les prises de décisions qui orientent la définition des politiques. On peut donner son avis, faire part de son expérience et échanger avec d’autres personnes sur internet, et cela peut être extrêmement bénéfique. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur les différentes façons dont sont utilisées les technologies. Les individus s’emparent plus rapidement des nouvelles technologies et du numérique que les institutions, et peuvent ainsi non seulement soulever des problèmes mais aussi identifier des opportunités.
Cap'Com : Pendant votre présentation lors du séminaire à Toulouse, vous avez indiqué que de nombreux pays étaient en retard sur le plan de la numérisation. À quoi ce retard est-il dû ?
Elizabeth Wiltshire : Je pense qu’il est dû au fait que ces institutions sont obsolètes, mettent du temps à se créer et ne parviennent pas à s’adapter aux évolutions rapides du numérique et des technologies. Je ne pense pas que nos structures gouvernementales soient conçues pour pouvoir s’adapter aux technologies et évoluer avec celles-ci. Généralement, ce sont d’énormes structures bureaucratiques, créées il y a plusieurs siècles, qui font face à de nombreuses problématiques, et qui n’ont pas conscience des risques et des opportunités du numérique. Malheureusement, mettre en place des changements, prendre des décisions et identifier des solutions ou des opportunités… cela prend beaucoup de temps.